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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Psychose à Los Angeles

Publié le 30 Mai 2012 par Jean Mirguet dans Villes

Après avoir survolé et un peu arpenté Los Angeles, je me suis demandé ce qui pouvait rendre solidaires l’espace gigantesque et illimité de cette ville et ce qui la rend si désirable voire ce qui fait d’elle un objet de jouissance.

Un rapport pourrait-il exister entre l’hypercroissance de cette cité et la fonction symbolique qui, du point de vue de la psychanalyse, fait limite à l’obtention d’une jouissance sans limites c’est-à-dire le Père ?

Serait-il par trop aventureux et fantaisiste de vouloir établir un lien entre ce que Jacques Lacan a formulé comme déclin du Père et la démesure de cette mégapole ?

Pure spéculation, pourra-t-on me rétorquer. C’est bien possible, mais je vous livre néanmoins mes réflexions.

 

Ma supposition, c’est qu’un des effets de l’affaiblissement de la fonction paternelle pourrait se traduire, du fait d’un recul voire d’un effacement des limites, par une étendue en extension, par un accroissement d’espace disponible.

Cette conquête d’espace se réalise dans un mouvement qui n’est pas sans rappeler celui des pionniers partis à la conquête de l’Ouest américain ou celui des aventuriers qui se sont précipités dans la ruée vers l’or californien à la fin du XIXème siècle.

Autre exemple emprunté à la géographie urbaine : à la différence des clôtures entourant la plupart des maisons individuelles françaises, le territoire américain se caractérise par son accessibilité et son ouverture. Rues et routes s’étendent à l’infini, absence de clôtures entre les maisons et facilité avec laquelle les Américains entrent chez leurs voisins, le naturel avec lequel ils communiquent avec des inconnus dans des lieux publics ou par téléphone.

Cette ouverture existe encore dans la plupart des quartiers de Los Angeles malgré la « bunkerisation » très localisée de Downtown. Les Angelenos construisent leurs maisons comme s’ils étaient en pleine campagne. Certains, toutefois, sont passés sans transition d’une absence totale de protection à tout un arsenal de moyens de défense.

 

Si le signifiant Père sert à  poser des limites, son dépérissement devrait impliquer un recul voire un effacement des limites, donc un espace plus ouvert et moins fini

Pour renforcer la validité de cette hypothèse, je pourrais ajouter que, dans la psychose, le défaut de signifiant phallique produit cet état dans lequel un sujet psychotique ne saura plus démêler le dedans du dehors, ne saura plus faire la distinction entre réalité extérieure et réalité psychique. C’est donc dans un espace illimité qu’il va se mouvoir.

Quelque chose de cette nature est impliqué dans l’usage nouveau du terme de psychose ordinaire : la psychose ordinaire est devenue une notion attractive car, n’ayant pas de définition rigide. Elle fait entrevoir qu’au-delà du Père s’ouvrent des espaces insoupçonnés, elle donne de l’ampleur, elle produit de l’étendue en participant à l’extension du domaine des psychoses. Pas étonnant alors qu’y soient associées les notions de trouvaille et d’invention.

 

Dans son article sur la psychose ordinaire paru dans la revue Quarto (n° 94-95), Jacques-Alain Miller fait une remarque, en forme de question, qui résonne particulièrement avec mes impressions de voyageur  : « Que veulent les Américains ? ».

Ce que veulent les Américains, répond-il, c’est des concepts très définis, des définitions nettes. Ils veulent du savoir défini, utilisable. Pourquoi les Américains réclameraient-il du savoir net et utilisable si ce n’est parce que celui-ci leur fait défaut ? Et qu’il leur est indispensable pour s’orienter dans leurs immenses espaces, dans leurs villes sans limites.

Élément fondamental du cadre de vie américain, l’espace est un espace pour la pensée et pour la jouissance. Les Américains ont de l’espace pour penser et jouir, leur pensée et leur jouissance ont de l’espace pour se mouvoir, davantage que nous n’en avons, nous les Européens, confinés voire étriqués dans les limites de notre hexagone ou de nos provinces. Quand on a de l’espace, on a davantage de place pour s’y déplacer, pour y produire des déplacements d’idées, pour penser et confronter ses points de vue mais également pour que la jouissance puisse s’y déployer.

Avoir beaucoup d’espace donne de la liberté, mais la contrepartie est qu’on peut s’y perdre... bien qu’on dise qu’à Los Angeles, on ne se perd pas puisque, où qu’on soit, il y a toujours,, comme dans la plupart des villes américaines, un panneau qui vous indiquera les quatre points cardinaux.

 

Quant à la jouissance angelinienne, c’est bien sûr par son expression violente qu’elle est la plus manifeste : 1965 puis printemps 1992 quand ont éclaté les émeutes raciales les plus violentes qu’aie connu l’Amérique, avec des incendies, des pillages qui ont duré plus d’un mois.

Il y a une autre violence, naturelle celle-là, potentielle, réelle, qui est la violence du Big One, le séisme auquel tout le monde se prépare.

Ville de « nulle part », l’immense Los Angeles et son déploiement à perte de vue forment un espace devenu lui-même objet impur, scandaleux, à la réputation sulfureuse, au goût de pêché. Un objet de jouissance en somme.

 

Si des débordements de jouissance comme des passages à l’acte violents se manifestent tant sur le plan individuel que social voire dans la nature, et s’ils sont la résultante d’une panne dans l’usage du signifiant paternel, il y a peut-être un rapprochement fécond à faire entre la structure de la psychose et la structure urbaine de l’espace angelinien.

Si, dans la psychose comme à Los Angeles, il y a un lien entre jouissance et espace (Lacan, à propos du cas du Président Schreber parle de son « hyperespace ) il n’est pas illégitime de se demander si le déclin du Père symbolique ou l’existence de nouveaux usages du signifiant paternel, n’invite pas à vouloir conquérir toujours plus d’espace, à faire reculer l’horizon ?

Cela n’est-il pas le nom même de ce que nous appelons la mondialisation ?

 

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Promotion de la singularité

Publié le 24 Mai 2012 par Jean Mirguet dans Politique

Dans sa dernière livraison, la revue de Marcel Gauchet, Le débat, revisite le thème des inégalités à l’occasion de la parution, l’an passé, de la Société des égaux de Pierre Rosanvallon.

Cette publication arrive à point nommé, à l’occasion du changement présent et à venir consécutif au retour de la gauche aux postes de commandement. « Le changement, c’est maintenant »... mais encore ?

 

Dans un article intitulé « Repenser l’égalité », Robert Castel, directeur d’études à l’EHESS, commente l’émergence de ces nouvelles figures dominantes de la société d’Europe occidentale, que P. Rosanvallon appelle « la désindividualisation du monde » et « la consolidation de l’Etat social-redistributeur », deux notions qualifiant l’espèce de chambardement dans lequel nous sommes embarqués et qui remet en question ce que nous prenions comme une manière admise et avérée de bâtir une société des égaux.

Ce bouleversement que P. Rosanvallon nomme « un grand retournement », affecte autant le mode et la pratique gouvernementaux que les citoyens à qui s’adressent les nouvelles politiques.

 

Or, comme l’indique R. Castel, un nouveau régime du capitalisme a vu le jour depuis les années 1970 : on a vu progressivement se désagréger les éléments constitutifs de l’appartenance collective. Les individus, mis en concurrence les uns avec les autres, sont mis en demeure de se prendre en charge eux-mêmes. D’où l’émergence d’un « capitalisme de la singularité » succédant Singularitéau capitalisme d’organisation et l’apparition des nouvelles normes que sont le changement et l’innovation.

Du coup, l’égalité ne s’obtient plus seulement grâce à des politiques sociales ayant l’ambition d’assurer une redistribution équitable, mais elle nécessite de prendre en compte la promotion de la singularité, en encourageant, par exemple, les usagers à participer activement aux opérations qui les concernent (par ex. la démocratie dite participative, forme de partage et d’exercice du pouvoir).

 

Il y a là incontestablement un progrès, mais le prix à payer peut être lourd, et socialement et subjectivement, quand, comme le remarquent R. Castel et P. Rosanvallon, est reportée sur l’individu la responsabilité principale de trouver lui-même la solution à ses difficultés, et s’il échoue, de l’en rendre fautif.

C’est ainsi qu’au nom du respect de la singularité, on stigmatise les échecs des plus démunis au lieu de les aider et que s’amplifient les inégalités.

 

Pour P. Rosanvallon, une société des égaux ne peut plus uniquement s’envisager à partir d’une seule redistribution des ressources. Puisque la singularité est mise au premier plan, il s’agit aujourd’hui de faire prévaloir une « égalité de relation » dans laquelle les égaux ne s’identifient pas dans des groupes homogènes, mais soient complémentaires dans leurs différences.

Encore faut-il que cette différenciation ne (re)produise pas une domination des plus forts excluant les plus faibles, ce qui implique, ainsi que l’énonce R. Castel, qu’elle soit strictement réglée par des rapports de droit c’est-à-dire des rapports permettant de se conduire comme des citoyens, autrement dit comme ceux qui ont droit de cité.

 

Enfin, ultime ouverture vers d’autres vastes questions  : puisque la psychanalyse est fondée sur l’écoute des singularités et des particularités, ne participe-t-elle pas, comme appareil social organisé, à la reproduction de l’idéologie dominante du « capitalisme de la singularité » ? À suivre...   

 

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"Soleil vert", la suite...

Publié le 14 Mai 2012 par Michel Brun

Réalisé par Richard Fleisher en 1973, Soleil vert est un film d’anticipation crépusculaire où, en 2022, l’humanité qui a épuisé ses ressources naturelles en est réduite à se nourrir avec une sorte de substance élaborée à base de chair humaine recyclée. Seuls quelques initiés sont au courant du secret de sa nature et de sa fabrication.

 

Nous aurions tort d’imaginer que la transgression du tabou du cannibalisme ne concerne plus que quelques rares “primitifs” ou encore que sa mise en scène relève exclusivement de l’œuvre de fiction.

 

Le 11 mai dernier, un site médical, Médisite, a diffusé sur le net une information selon laquelle les Chinois auraient mis au point et commencé à commercialiser des gélules labellisées “booster de force physique”, “rajeunissantes”, ou encore recommandées pour les malades du cancer en fin de vie, et produites à partir de fœtus, de bébés mort-nés et de placenta humain réduits en poudre.

 

De quoi frémir d’horreur, du moins chez ceux qui ont la mémoire courte. Les usages les plus baroques du corps humain ont été faits  au cours de l’Histoire. Dans l’Egypte du XIXème siècle, par exemple, les mécaniciens alimentaient leurs locomotives avec des momies. Anne Godfraind-De-Becker ( in “Revue des Questions Scientifiques”, Bruxelles, 2010, 181 (3): 305-340) est l’auteur d’une étude scientifique montrant à quel point a été répandu un peu partout en Europe et ailleurs l’usage médicinal des momies. Celui-ci fut encore très prisé dans l’Angleterre victorienne où l’extrait de “moumie” était réputé avoir des vertus roboratives.

 

Au-delà du fantasme d’immortalité gisant au fond de cette coutume, on peut se questionner sur ce curieux tropisme par lequel l’homme se mange lui-même. Pour sa part Pline l’Ancien évoque cet animal mythique -mais au fond s’agissait-il réellement d’un animal ?- le Catoblépas, qui se dévorait lui-même en commençant par les pieds.

 

Si “manger le Livre” (cf.  l’ouvrage du même nom) est, selon Gérard Haddad, prendre sa place dans l’histoire humaine d’un groupe, se manger les pieds relèverait plutôt des forces de déliaison fomentées par la pulsion de mort. Manger son semblable ou se manger soi-même est équivalent sur le plan imaginaire. Mettons de côté le cannibalisme totémique et ses enjeux symboliques, ce n’est pas ce dont nous parlons ici. En revanche celui qui se mange lui-même a perdu tout espoir et s’exclut de la communauté des humains. Tel est le sort du sujet psychotique qui se mutile pour s’auto-dévorer.

Et qu’en est-il lorsque, par métaphore, une société se dévore elle-même ? Devient-elle folle ? Est-elle là dans l’amorce de sa décadence ? A y bien réfléchir il nous semble que l’autophagie, comme subversion de la relation au symbolique, est un mode de jouissance mutique dont le seul horizon ne peut-être que le néant.

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Dernière minute : décret sur le titre de psychothérapeute

Publié le 9 Mai 2012 par Jean Mirguet

Si vous êtes titulaire du titre de psychologue et que vous avez accompli le stage professionnel lié à l'obtention de ce titre, vous pouvez ipso facto être autorisés à faire usage du titre de psychothérapeute, c'est ce qu'annonce le A votre écoutenouveau décret sur l'usage du titre de psychothérapeute.

Est-ce une happy end ? En ce cas, que de temps perdu il y a deux ans dans les paperasseries et autres procédures.

Quoiqu'il en soit, la vigilance reste de mise.

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Los Angeles 20 ans après les émeutes

Publié le 9 Mai 2012 par Coralie Garandeau & Olivier Mirguet dans Villes

29 avril 1992 : des centaines d'habitants de Los Angeles laissent exploser leur colère et leur indignation après qu'un jury ait acquitté quatre policiers ayant passé à tabac Rodney King, un automobiliste noir américain. Entre 50 et 60 personnes furent tuées et environ 2300 blessées. Après un important déploiement de la police et de la Garde nationale, plusieurs milliers de personnes furent arrêtées. Pendant six jours,  les émeutes embrasèrent Los Angeles, la laissant dévastée et traumatisée.

Vingt ans après, Olivier Mirguet et Coralie Garandeau sont retournés sur les lieux des émeutes, dans le quartier de South Central.

Reportage pour Arte Journal du 30/04/2012

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