Décidément, il est des moeurs qui, dans notre pays, sont empreintes de fonctionnements qui fleurent bon la paranoïa quand elles
n’émanent pas de personnalités flirtant avec la perversion.
Embrochons-en quatre qui forment un beau chapelet de mystificateurs : Dominique Strauss Kahn et le Sofitel – Jacques-Alain Miller et
sa pétition en faveur de Mitra Kadivar – Jérôme Cahuzac et son compte en Suisse – Gilles Bernheim et son agrégation, tous de brillants sujets, occupant ou ayant occupé des positions de
responsabilité et de pouvoir prestigieuses.
Alors que DSK s’enfonce dans les limbes, que le tsunami déclenché par l’affaire Cahuzac produit quotidiennement son lot de ravages et
que l’autorité morale du Grand Rabbin de France est sérieusement écornée, du côté du monde en principe plus feutré de la psychanalyse, les invectives et les anathèmes pleuvent, au moment où, de
plus en plus, la psychanalyse et ses praticiens sont mis sur la sellette et déconsidérés.
Au début du mois d’avril, Michel Rotfus, administrateur de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la
psychanalyse (SIHPP), porte à la connaissance de tous la querelle dont Jacques-Alain Miller est l’auteur. Ce-dernier intente un procès à la SIHPP, à sa présidente Elisabeth Roudinesco, à son
secrétaire Henri Roudier et à Philippe Grauer, membre du CA de la SIHPP. Il s’estime publiquement diffamé par ceux-ci à la suite de sa pétition en faveur de la psychanalyste iranienne Mitra
Kadivar, enfermée, selon lui, pour des raisons politiques dans un établissement psychiatrique de Téhéran.
J’ai déjà évoqué cette affaire dans un
précédent article : après une rapide enquête sur Internet, il était facile de douter de la fiabilité de ces informations, le docteur Kadivar n’ayant pas été victime d’une sanction
politique, mais d’une hospitalisation consécutive aux plaintes des voisins de son immeuble, relative à un épisode psychotique.
On lira le récit des événements sur le site de Philippe Grauer ou sur celui d’Olivier Douville. A lire également le
blog de Thierry Savatier
Les doutes quant à la pétition de Miller conduisirent la SIHPP à alerter l’opinion, au travers d’articles à la tonalité franchement ironique à l’endroit de JAM qui, considérant ces textes diffamatoires, a judiciarisé le conflit et porté plainte.
Il ne manque pas d’air alors que, lui-même, dans son blog hébergé par La règle du jeu, ne
se gêne pas pour comparer Roudinesco à une matrone, une plaie, une grenouille, une autodidacte, une sauvage qui fait peur, etc... On reste confondu par ce déchaînement de signifiants, ce
déferlement de haine émanant d’un psychanalyste qui, compte-tenu de son audience, n’est pas sans responsabilité dans la diffusion de l’image de la psychanalyse dans le public.
Réponse du berger à la bergère, un collectif d’universitaires, d’écrivains, de psychiatres et de psychanalystes choqués par ces propos
a mis en ligne un appel de soutien à celle-ci.
De quel malaise ce climat est-il le signe ? Alors que le mensonge et l’imposture
s’affichent d’autant plus facilement qu’avec Internet on peut (presque) tout dire, que l’intimité y est mise sans vergogne sur la place publique, à ciel ouvert, on découvre que l’indignité de
l’un conduit à jeter l’opprobre sur de nombreux autres.
Comme le rapporte le sociologue Gérard Bronner dans une tribune récente du Monde, la
propension de certains à se servir des médias pour nous raconter les fables qui les arrangent aboutit à mettre en série des liens disparates et à les assembler en vue de produire toutes les
interprétations possibles.
Ces associations favorisent une lecture de l’actualité teintée de paranoïa dans laquelle nous pouvons, comme le souligne Gérald
Bronner, céder rapidement à « l’effet de halo » c’est-à-dire à l’illusion consistant à ne retenir que les informations confirmant une première impression, pour ensuite les employer afin
d’attribuer les caractéristiques d’une personne à la catégorie à laquelle elle appartient (les politiques tous des pourris, les psychanalystes tous des imposteurs, les juifs tous des
menteurs).
Il est facile de voir que cet effet de halo a vite fait de transformer un juste sentiment d’indignation en discours généralisateur,
possiblement démagogique et populiste dans lequel dominent le soupçon, la méfiance, la suspicion et où se mettent à flamber les mécanismes d’accusation et de stigmatisation, qui pourraient se
révéler très couteux pour notre démocratie.
Quel singulier usage de la langue, spécialement pour les psychanalystes dont la responsabilité première est à l’endroit du langage.
Les mots que nous partageons avec autrui permettent de bâtir un monde commun, écrit Jean Birnbaum dans son commentaire de La Nostalgie, que vient de
faire paraître la philosophe Barbara Cassin aux éditions Autrement.
Les mots en toc ou ce qu’on appelle aujourd’hui les « éléments de langage » intoxiquent la langue, la truquent et la
trahissent au point que, colonisés par cette novlangue, nous avons le sentiment de nous retrouver expulsés de notre langue.
C’est pourquoi, quand le mystificateur joue avec la langue en la manipulant ou en laissant les mots s’emballer, il fait bien plus que
nous raconter des salades, il brise ce qui fait lien et ruine notre vraie patrie, notre seule demeure : celle du langage.