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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

L’autisme, un diagnostic pas toujours définitif chez l’enfant

Publié le 27 Novembre 2015 par Jean Mirguet dans Autisme

L’autisme, un diagnostic pas toujours définitif chez l’enfant

Compte-tenu de la propension de certaines équipes à vouloir orienter trop tôt des enfants vers des établissements du type IME, les collègues liront avec intérêt cet article du Dr Jean-Marc Retbi, paru récemment dans le Journal International de Médecine

Il est bien établi que certains des enfants « souffrant de troubles du spectre autistique » [TSA] perdent leur étiquette de TSA en grandissant. Pour expliquer l’abandon du diagnostic de TSA chez ces enfants on invoque une guérison, spontanée ou grâce aux interventions dont ils ont bénéficié, ou une erreur de diagnostic. Une étude américaine, basée en population, a analysé les abandons du diagnostic de TSA chez des enfants d’âge scolaire.

En 2009-2010 une enquête randomisée, par téléphone, avait touché les enfants âgés de 0 à 17 ans ayant des besoins de santé spécifiques. En 2011, une 2e enquête a précisé les cheminements vers le diagnostic et les soins prodigués enfants de 6 à 17 ans inclus dans la 1ère enquête, qui présentaient des TSA, un retard mental ou un retard de développement.

Diagnostic abandonné dans 13 % des cas

Il a été estimé que le diagnostic de TSA avait été abandonné chez 13,1 % des enfants étiquetés TSA lors de la 1ère enquête (Intervalle de Confiance 95 % [IC95 %] : 8,9 %-18,7 %).

Les parents de 1 607 enfants étiquetés TSA, dont 187 pour lesquels le diagnostic n’avait pas été maintenu, ont accepté un entretien téléphonique.

Dans presque 75 % des cas, le diagnostic de TSA a été abandonné à la suite de nouvelles informations. Les autres raisons données par les parents sont que le diagnostic de TSA avait servi à obtenir une prise en charge chez des enfants souffrant d’autres troubles (24 %) ou encore que les interventions et/ou la maturation avaient entraîné la guérison des TSA (21 %). Les parents ne parlent d’erreur de diagnostic que dans 1,9 % des cas.

Le trouble de l’attention/hyperactivité est le premier diagnostic de remplacement de celui de TSA.

Des différences avec ceux pour lesquels le diagnostic a été conservé

Par comparaison avec les 1 420 enfants qui ont conservé le diagnostic de TSA, les 187 qui l’ont perdu se débrouillent mieux dans les activités de la vie quotidienne (toilette, alimentation ...), manifestent plus de curiosité, et posent moins de problèmes de comportement social (scores plus bas au CSBQ [Children’s Social Behavior Questionnaire]).

A posteriori, il s’avère qu’ils avaient aussi des particularités à l’époque où ils avaient reçu l’étiquette de TSA, par comparaison avec des enfants ayant conservé le diagnostic de TSA, appariés dans la proportion 2 : 1 (en tenant compte des scores de propension). Leurs parents avaient une plus faible probabilité de s’être inquiétés au sujet de leur langage, de leur communication non verbale, de leurs apprentissages ou de gestes inhabituels. Ils avaient deux fois moins de chances d’avoir été adressés à des spécialistes et que le diagnostic ait été posé par ceux-ci (Odds Ratio ajusté : 0,46 ; IC 95 % : 0,22-0,95). Enfin, ils avaient une plus faible probabilité d’avoir été pris pour un syndrome d’Asperger ou un autisme.

Cette étude suggère que le diagnostic de TSA, quel que soit le type des troubles, est difficile. Il doit être posé par des spécialistes s’appuyant sur un bilan spécifique. Il peut rester hésitant quelque temps ou être révisé secondairement, mais cela ne doit pas retarder les interventions.

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Un mal radical

Publié le 20 Novembre 2015 par Jean Mirguet

Je viens de relire « Tuer », un texte de la psychanalyste Marie Moscovici, paru dans le premier numéro de la revue L’inactuel du printemps 1994. Marie Moscovici est décédée il y a peu.

Elle cite un passage de Les Naufragés et les rescapés, quarante ans après Auschwitz, de Primo Levi : « Nous, les survivants, nous sommes une minorité non seulement exigüe, mais anormale (…). Ceux qui ont vu la Gorgone ne sont pas revenus pour raconter, ou sont devenus muets (…). Nous, nous parlons à leur place, par délégation ». Il ajoute, à propos des psychanalystes : « Je ne crois pas que les psychanalystes (qui se sont jetés sur nos problèmes embrouillés avec une avidité professionnelle) soient compétents pour expliquer cette impulsion. Leur savoir a été construit et mis à l’épreuve « au-dehors », dans le monde que, pour simplifier, nous appelons « civilisé » (…). Leurs interprétations me paraissent approximatives et simplifiées, un peu comme si quelqu’un voulait appliquer les théories de la géométrie plane à la résolution de triangles sphériques ».

Ces remarques pourraient s’appliquer aux deux textes que Freud a écrit sur la guerre, le premier en 1915, le second en 1932 dans lesquels il relie le penchant pour la guerre au fonctionnement du psychisme et des sociétés humaines. Freud avait cru en la supériorité du pouvoir de la culture sur la tendance à l’autodestruction inhérente à l’espèce humaine. Sa découverte de la pulsion de mort signera l’échec de ses espoirs mis dans la civilisation et le conduira à écrire en 1938 que « nous vivons en un temps particulièrement curieux. Nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. »

Les équipées sauvages du vendredi 13 décembre constituent une nouvelle preuve de la réalité de ce pacte et de l’inscription de l'inhumanité au cœur même de la modernité. En conséquence, nous n’avons pas d’autre choix que, comme le formule Myriam Revault d’Allonnes dans Ce que l’homme fait à l’homme, d’organiser notre existence en tenant compte que rien n’est plus inquiétant que l’homme, capable d’anéantir l’humain avant de porter atteinte à la vie.

Ce pacte avec le diable n’est pas une idée fumeuse faite pour effrayer les braves gens. Elle trouve, par exemple, sa traduction concrète dans les camps, quels qu’ils soient . C’est ainsi que les camps de Daech , qui sont des camps, n’échappent pas au thème des camps. Quand Varlam Chalamov écrit dans Les Récits de la Kolyma son expérience de dix-sept années de sa vie passées dans les camps du Goulag, il est très précis : « Le thème des camps dans son principe, et dans une large acception, est aujourd’hui le problème fondamental ». Problème plus crucial que celui de la guerre car rejoignant la question capitale : « Qu’est-ce que le genre humain? ».

Répondant à cette question, Myriam Revault d’Allonnes démontre que peuvent survivre des hommes dont l’humanité a été détruite « soit parce qu’ils ont été transformés en spécimens d’une « sorte » d’espèce humaine, soit parce que leurs agissements ne sont pas imputables à des causes ou à des motifs que la reconnaissance du semblable nous permettrait de comprendre». En somme, des hommes ordinaires peuvent rester en vie « en cessant d’être du monde, après qu’ils ont tout désappris des sentiments, des intérêts et des réactions ordinaires ». Après quoi, ils pourront froidement exécuter d’autres êtres humains et les détruire comme des objets jetables. C’est cet échantillon du genre humain qu’ont croisé, dans la nuit de vendredi à samedi, nos semblables, innocentes victimes issues de la génération Bataclan.

Face à la barbarie, ne craignons pas de reprendre les questions scandaleuses de l’auteure de La crise sans fin : « Combien de temps faut-il à une personne ordinaire pour vaincre sa répugnance innée au crime ? Comment, par quelles procédures de neutralisation de la conscience éthique et politique, lui fait-on vaincre cette répugnance ? ».

Malgré les attentats du siècle précédent, malgré Charlie, sommes-nous redevenus si sourds et si aveugles , peut-être même anesthésiés par notre confort, pour avoir oublié qu'une espèce nouvelle avait été créée, pour qui tout, désormais, devient possible, pour qui l’impossible n’existe plus, qui vit dans un monde duquel l’impossible est exclu. Pourtant, Hannah Arendt nous a averti: « Cette espèce entièrement nouvelle de criminels est au-delà des limites où la solidarité humaine peut s’exercer dans le crime ».

Il y a un au-delà de l’humain, écrit Myriam Revault d’Allonnes, « un au-delà de la reconnaissance du semblable par le semblable, par l’imagination et la sympathie qui nous portent vers autrui et nous font exister à ses yeux ». Ouvrons les yeux et voyons : l'au-delà des limites est non seulement déjà arrivé mais il peut arriver de nouveau. « La violence utile ou inutile est sous nos yeux (…), écrit Primo Levi. Elle n’attend plus que le nouvel histrion qui l’organise, la légalise, la déclare nécessaire et légitime » : ce que le sinistre El-Baghdadi, promoteur d’une violence héritière de celle qui a régné dans l’Allemagne nazie, s’est déjà employé à faire.

Nous l’avions peut-être oublié mais dorénavant nous le savons : la destruction d’un peuple et d’une civilisation est possible. Il nous faut vivre et, lucidement, faire avec cette possibilité d’un mal radical, seule manière de ne pas tomber dans le piège du pacte avec le diable.

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Lettre ouverte aux djihadistes qui nous ont déclaré la guerre, par Brice Couturier, France Culture

Publié le 19 Novembre 2015 par Jean Mirguet

Pour ceux qui n’en ont pas pris connaissance, je reproduis cette chronique de Brice Couturier, du 18 novembre, sur France Culture.

Chers djihadistes,

Grâce à vous, je comprends un peu mieux ce qui me relie à ce vieux pays, la France. Ayant vécu ici ou là, du Liban à la Pologne, j’en étais arrivé à me considérer comme un homme aux semelles de vent. Il n’y a pas longtemps, je me serais bien identifié au nomade hyperconnecté de Jacques Attali, libre de choisir son pays d’attache comme on décide d’un hôtel ; en vertu du ratio qualité des prestations sur niveau des prélèvements. Ma capitale à moi, ce pouvait être Londres, Bruxelles, voire New York. Je jugeais Paris provinciale.

Je dois vous l’avouer, chers djihadistes, la France ne m’était pas grand-chose. Son exceptionnalité m’énervait. Je rêvais de la noyer dans la normalité européenne. Mais tout de même, me disaient mes amis, tes grands-pères, tous deux officiers de réserve, ont porté l’uniforme pendant les guerres. Serais-tu prêt à abandonner à n’importe qui une terre pour laquelle ton père a pris le maquis à 18 ans, frôlé la mort dans les Ardennes à 19 ?

Comme à bien des hommes et femmes de ma génération, ces querelles d’Allemands m’apparaissaient comme quasi-préhistorique. Du sang perdu.

Pourquoi alors, chers djihadistes, ai-je voilé de tricolore ma photo de profil sur Facebook, comme l’ont fait, en un week-end, des centaines de milliers de gens – phénomène sur lequel feraient bien de réfléchir nos sociologues ? Pourquoi cette Marseillaise, entonnée par un Congrès debout, à Versailles ? Si j’étais le conseiller en communication de François Hollande, je lui conseillerais d’orner son revers d’un badge aux couleurs de son pays, comme le font dorénavant les présidents américains. Ridicule hier, cette marque de patriotisme apparaîtrait courageuse aujourd’hui.

C’est que, chers djihadistes, j’ai bien compris votre message. Dans votre communiqué de guerre, vous vous vantez d’avoir attaqué « la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la Croix en Europe, Paris ». Vous vous vantez d’avoir massacré à la kalachnikov des amateurs de rock désarmés dans une salle de concert, « le Bataclan, où étaient rassemblés », dites-vous, « des centaines d’idolâtres dans une fête de la perversité ». Assassiner des civils désarmés, quel glorieux fait d’arme, en vérité !

Vous croyez avoir semé la panique dans cette ville qui vous fait horreur, Paris, parce qu’elle est la capitale de la liberté de penser, de croire et de ne pas croire. Oui, chez nous, hommes et femmes, jusqu’à nouvel ordre, marchent côte à côte dans les rues, s’asseyent aux mêmes tables de cafés et de restaurants. Nos regards se croisent avec cette liberté que les bigots de votre espèce condamnent comme une effronterie. Les visages ne sont pas masqués, parce que l’expérience d’autrui prend la forme du visage - comme nous l’a appris Lévinas. C’est dans nos universités, très anciennes, que s’est développé cet esprit critique, qui vous fait si peur parce que vous craignez qu’il dissipe bientôt les ténèbres de votre crasse ignorance. Nos Lumières nous ont apporté une supériorité matérielle dont nous avons abusé dans le passé. Ce n’est plus le cas.

Nous sommes une nation d’individus, fiers de leur émancipation, et désireux de la proposer à tous ceux qui viennent nous rejoindre, sans distinction de race ou de religion. Nous sommes les enfants de Descartes et de Voltaire et c’est pourquoi nous soumettons toutes les croyances à l’épreuve de la raison, tous les pouvoirs à celui de la critique. A nos yeux, aucune puissance terrestre ne peut se targuer d’une origine divine. Cette liberté de critiquer, de se moquer, nous l’avons gagnée par les armes, à la suite de nos révolutions.

De tout cet acquis, il n’y a rien à négocier. C’est à prendre ou à laisser.

Pour toutes ces raisons, pour Pascal et Paul Valéry, pour Montaigne et Proust, Watteau et Debussy, pour Lamartine en février 1848 et Charles de Gaulle en juin 1940, je me sens soudain fier d’être Français. Vous croyez pouvoir nous soumettre par la terreur, vous vous trompez. Vous courez de grands risques en prenant notre longue tolérance pour de la lâcheté. Nous détestons la violence et sommes lents à répondre aux provocations. Mais sachez que, dans le passé, nous avons affronté des ennemis bien autrement redoutables que vos hordes miteuses. Et que nous les avons vaincues. Par vos provocations sanguinaires, vous nous avez réarmés moralement. C’est une bonne chose. C’est pourquoi la peur va changer de camp. Vous voilà prévenus.

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"Sortir du noir", un texte du site de poésie Sitaudis

Publié le 16 Novembre 2015 par Jean Mirguet

SORTIR DU NOIR, tels sont les premiers mots que vous pouvez lire à la une de Sitaudis en ces tristes jours de novembre 2015 : c’est le beau titre du dernier livre de Georges Didi-Huberman, ce pourrait être aussi une prescription, un devoir d’avenir. Sortir du noir tous unis en évitant de tomber dans le bleu blanc rouge, dans le repli crispé sur les « valeurs » du stade et du bistrot, en condamnant toutes les réponses symétriques habituées, mécaniques, aveugles et vaines, on le sait bien. Souvenons-nous de ce qu’écrivit Péguy :

« Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut qu’un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. Ça n’est pas difficile ; ça n’est pas malin. Il faut des mois et des mois, il a fallu du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu’un briquet pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire pousser un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et du travail et des travaux et des travaux de toutes sortes. Et il suffît d’un coup pour tuer un homme. Un coup de sabre, et ça y est. »

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Céline’s Big Band

Publié le 11 Novembre 2015 par Jean Mirguet dans Spectacles

Céline’s Big Band

A ceux qui ont aimé (mais également aux autres ...) le Y en a que ça emmerde qu’il y a des gens de Courbevoie , interprété par Stanislas de la Tousche, je signale la parution de Céline’s Big Band, D’un lecteur l'autre, un recueil de textes rassemblés par Emeric Cian-Grangé, paru récemment aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

Extrait du 4ème de couverture :

« Les auteurs [des témoignages] qui sont réunis ici ne sont pas, quelques-uns mis à part, des céliniens et pas non plus des professionnels de la critique. Ce sont de purs lecteurs, engagés pour le reste dans toutes sortes d'activités. Tous, ici, se proposent en principe la même tâche : non pas écrire sur Céline en général, mais retrouver la vérité de leur premier contact avec son oeuvre, et le contexte personnel qui était de nature à éclairer ce contact. Connus ou inconnus, et avec toute leur diversité, ils sont ici, à égalité, des lecteurs qui cherchent à dire ce que Céline a été pour eux lors de cette rencontre, et, pour presque tous, le reste de leur vie. » Henri Godard (extrait de la préface).

Céline s Big Band propose de vous faire découvrir ce que l'oeuvre célinienne peut susciter chez des lecteurs sensibles à la « petite musique » de l'auteur de Voyage au bout de la nuit. Chacun ne s'y reconnaîtra pas, cela va sans dire. Mais quel plaisir, n'est-ce pas, de cheminer d'un texte à l'autre, d'un lecteur l'autre, désorienté, rassuré, intrigué, chahuté, ému... brinquebalé ! Que l'on se souvienne : « Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. »

Céline’s Big Band
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Les réacs vus d’en face, de Pascal Bories (Causeur)

Publié le 9 Novembre 2015 par Jean Mirguet

Quand la bêtise des supposés « progressistes » est clouée au pilori : un article jubilatoire, de Pascal Bories, rédacteur en chef de Causeur.

D’avance, pardon pour l’amalgame. Mais il se trouve que depuis quelques mois, les mots choisis par Le Monde, Libération, L’Obs, Mediapart, Les Inrocks ou France Inter pour parler d’une poignée d’intellectuels médiatiques se ressemblent étrangement. Désemparés face aux impressionnants succès de librairie d’un Zemmour, d’un Houellebecq ou d’un Finkielkraut, nos petits concurrents méconnus nous assomment de couvertures, de tribunes et d’éditos assimilant ces quelques empêcheurs de progresser en rond – et Causeur avec – à une sorte d’internationale de la haine, dont le rouleau compresseur menacerait de transformer en crêpe moisie le paysage intellectuel français. Trois, c’est trop ! Sans compter le sociétal-traître Onfray…

Il faut comprendre la sidération de nos petits camarades. Après des décennies de croisière idéologique ensoleillée, sans le moindre contradicteur audible à l’horizon, on n’a plus trop l’habitude de ferrailler. Et, alors qu’on croyait le débat sur certains sujets interdit à tout jamais, on supporte mal que tout le monde meure d’envie d’avoir justement ce débat. Bref, quand une seule apparition d’Alain Finkielkraut a plus d’impact que trente éditos de Laurent Joffrin, l’heure est grave : le parti de l’Autre découvre avec stupeur qu’une autre pensée est possible. Inadmissible ! Le problème, c’est que plus on les stigmatise, plus on les diabolise, plus on les ostracise, plus Houellebecq, Onfray ou Zemmour font recette, et afficher leurs trombines à la Une est devenu la garantie d’un record de ventes… Du coup, la gauche médiatique s’affole, perd pied, et bricole dans l’urgence une rhétorique aussi poilante qu’acrobatique. Tentons ici de la décrypter.

Lire la suite sur Causeur.fr

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Lumières de la vieillesse

Publié le 5 Novembre 2015 par Jean Mirguet

A rebours de la norme contemporaine qui nous veut jeune jusque dans notre vieillesse la plus avancée, j’aspire plutôt à « entrer vivant jusque dans la mort », selon l’expression de Winnicott qui souhaitait être vivant lors de sa propre mort et refusait de lui voir échapper la réalité de sa mort sans qu’il puisse la vivre.

La vie trace ainsi un chemin qui emprunte des réseaux partagés par tous mais qui serpente également hors des sentiers battus, dans ce que Kenneth White appelle « l’espace nomade », un grand espace où « les coordonnées ne se dessinent que peu à peu », à la différence de l’espace borné du sédentaire.

Cette route est inséparable d’un art de vivre dont Michel Foucault définit un des principes dans sa préface à l'Anti Œdipe : «Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ».

Paul Ricoeur exprimait un souhait voisin. A l’aube de ses 90 ans, il disait dans une interview au magazine La Croix que « les dangers du grand âge sont la tristesse et l'ennui. La tristesse est liée à l'obligation d'abandonner beaucoup de choses. Il y a un travail de dessaisissement à faire. La tristesse n'est pas maîtrisable, mais ce qui peut être maîtrisé, c'est le consentement à la tristesse. Ce que les Pères de l'Église appelaient l'akedia. Il ne faut pas céder là-dessus. La réplique contre l'ennui, c'est d'être attentif et ouvert à tout ce qui arrive de nouveau. C'est ce que Descartes appelait l'admiration, qui est la même chose que l'étonnement ».

Telle n’est pas la voie qu’emprunte depuis plusieurs semaines divers éditorialistes localisés à gauche dans notre hexagonal paysage politique. Supportant mal la diversité des points de vue, ils « pensent » aussi puissamment qu’un rouleau compresseur en pratiquant l’amalgame (que, par ailleurs, ils dénoncent), l’invective, en déversant des flots de haine sur ceux, Finkielkraut-Debray-Onfray-Zemmour-Houellebecq, qui incarnent pour eux l’Autre immonde, doté d’une pensée « nauséabonde ».

Cette « vision binaire de la nouvelle gauche divine » (d’un côté, les néo-réacs, de l’autre, les résistants, encenseurs du petit livre beige de Stéphane Hessel, militant de l’indignation … certes nécessaire mais assurément pas suffisante) a aussi son langage, en usage à L’Obs, chez Laurent Joffrin à Libération, au Monde également. Un langage binaire (est-ce celui-là que leurs lecteurs ont envie d’entendre ?) qui ne sait compter que jusque deux, qui ignore le multiple et annule les questions, qui abolit les interrogations et la réflexion.

Dans La seule exactitude d’Alain Finkielkraut, récemment paru, un article à propos de Stéphane Hessel rappelle à notre souvenir ces vers du « Booz endormi » de Victor Hugo :

Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme

Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand

(…)

Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,

Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière

L’indignation que Stéphane Hessel nous enjoint à partager est celle d’un adolescent qui ne s’est pas assagi. S’il n’y a pas à juger le bien-fondé de sa révolte, il y a par contre un jugement à porter sur l’époque qui porte aux nues son injonction. Epoque, écrit Finkielkraut, qui « reconnaît en S. Hessel, le choix qu’elle a fait de l’intensité contre l’intelligence ». Et d’en déduire la signification du culte contemporain de la jeunesse : « extinction de la lumière et adoration du feu », promotion de l’intensité contre l’intelligence.

Indignez-vous ! Oui, certainement mais en restant grand ouvert à la surprise pour ne pas succomber à la tristesse et à la haine.

Car « il ne faut pas trop se hâter de créer des unités », écrit Kenneth White au début de La route bleue, « mieux vaut garder tout pluriel en mouvement ». Et de nous laisser cette question en forme de proposition, dans Investigations dans l’espace nomade, un petit livre constitué de notes et de fragments : « Pourrait-on parvenir à penser en termes de culture ouverte, de monde ouvert, en dehors des agglomérations asphyxiantes et du terrorisme des territoires ? ». Les promoteurs de discours simplificateurs et réducteurs (à l’Un) devraient y songer.

A suivre …

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