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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

La division et le non-savoir aux fondements de la démocratie.

Publié le 31 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Dans une interview donnée au mensuel Causeur il y a deux ans, le linguiste et philosophe Jean-Claude Milner rappelait ce qui, jusqu’à peu, constituait une évidence : à un moment donné, les parents choisissent toujours en lieu et place de leurs enfants, libre à ceux-ci ensuite de se rebeller contre cet héritage. Or, force est de reconnaître que, depuis quelques années, domine l’idée que ces contraintes doivent être combattues préventivement, tout simplement en les empêchant d’apparaître.

Autrement dit, pour que chaque individu puisse, dès le début de sa vie, être placé dans une relation de stricte égalité avec ses semblables, il lui faut être libre d’accepter ou de refuser ce qui lui est transmis, donc être dans la situation de celui qui conclut un contrat. Pour JC Milner, il s’en déduit instantanément une conséquence : l’enfant doit entrer dans un monde qui ait le moins de passé possible puisque ce passé est fait de choix auxquels il n’a pas pris part. Dans le cas des relations parents-enfants, le modèle du contrat, qui est égalitaire, s’oppose à celui de la transmission, inégalitaire.

Pendant longtemps, l’inégalité de savoir entre le maître et l’élève a été pensée comme un moyen de la démocratie puisque la transmission visait à affranchir l’élève des conséquences sociales de son ignorance. Or, aujourd’hui, cette inégalité de savoir est jugée comme non démocratique, à tel point qu’à force de dénoncer l’inégalité entre savoir et ignorance, on trouve de plus en plus de situations dans lesquels l’ignorant domine celui qui sait (par ex. l’impossibilité pour des professeurs d’aborder certains sujets politiques, religieux ou philosophiques car des élèves sont persuadés de détenir une vérité supérieure à la connaissance).

Nombreux sont les dirigeants politiques qui estiment que supprimer la perception de l’inégalité est gage de paix sociale, faisant de ce modèle l’idéal vers lequel doit tendre une démocratie. Cette idéologie du désamorçage des conflits qu’il faut prévenir pour qu’ils n’aient pas lieu et que s’établisse un consensus nous propose l’idéal d’un monde imaginaire harmonieux, exempt de toute division, pacifié.

Or, insiste JC Milner, la démocratie doit permettre l’émergence des conflits, elle est fondée sur la division, non sur une mirifique et chimérique harmonie.

De surcroît, elle est le régime conçu, créé et soutenu par des hommes qui savent qu’ils ne savent pas tout. « Le démocrate est modeste, écrivait Camus (« Réflexions sur une démocratie sans catéchisme », Oeuvres complètes II), il avoue une certaine part d’ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné, et à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu’il sait par ce qu’ils savent ».

La légion des donneurs de leçons qu’on entend à longueurs de journée ferait bien de ne pas l’oublier.

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« Une physique du mot »

Publié le 24 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Langage

Motérialité
Motérialité

Lu ce bref passage écrit par Kenneth White dans La Route bleue (1983) où il conte son voyage au Labrador, un pays quasi mythique dont il rêve depuis longtemps et où il va confronter le rêve à la réalité.

Dans ce récit initiatique, le voyageur se confronte aux changements de la notion et de la sensation du « soi-même », au fur et à mesure qu’il approche du Nord.

Arrivé à Schefferville, ville minière en plein cœur de la péninsule du Labrador, « un endroit rouge et cru (…) partout de la boue rouge, de la poussière rouge. Les restes d’une violation brutale », il se demande ce qu’il est venu faire ici et répond : « Disons : des méditations géomentales ».

Il cite alors Mishima dont il vient de lire l’essai autobiographique intitulé Le Soleil et l’acier (1973) qui relate sa découverte tardive de la vie du corps et, par elle, une vie nouvelle de l’esprit. Mishima invente avec ce titre ce qu'il a appelé la critique confidentielle : "J'y vois un genre crépusculaire à mi-chemin entre la nuit des confessions et le grand jour de la critique. Le "je" qui va m'occuper ne sera pas le "je" qui se rapporte strictement à l'histoire de ma personne, mais autre chose, ce qui reste après que tous les autres mots que j'ai proférés ont fait retour en moi, quelque chose qui ne se rapporte ni ne fait retour à moi-même (…) Réfléchissant à la nature de ce « Je », je fus amené à conclure que le « je » en question correspondait très précisément à l’espace que j’occupais physiquement… ». Prolongeant Mishima, Kenneth White indique que « c’est ce sens spatial du moi que j’essaye de développer ici, sur le plateau du Labrador ».

Il poursuit avec le souvenir d’un autre livre, La Steppe. Histoire d’un voyage, une nouvelle de Tchekhov : « La vie en territoire inconnu, sans refuge, sans repères. La fraîcheur d’images surgies tout droit de la terre. Ici, pas de style, quelque chose comme une physique, une physique de l’esprit, une physique du mot. Pas de discours fadasse charriant des mondes morts. Quelque chose qui va plus loin, qui vous relie à l’univers ».

Comment ne pas entendre dans la lecture de ces lignes que cet « autre chose » qu’évoque Mishima ou cette « physique du mot » à quoi fait référence White sont dans un rapport de voisinage avec la rencontre entre les mots et le corps, avec la matérialité des mots dont Lacan a rendu compte en forgeant le terme de motérialisme pour dire la matière de l’inconscient, soit ce qui de l’équivoque de la langue résonne dans le corps : « C’est dans la rencontre de ces mots avec le corps que quelque chose se dessine ».

Ce n’est plus le langage comme instrument de communication dont il s’agit ; c’est le signifiant pris dans sa sonorité et sa matérialité.

Le matérialisme du mot se rapporte à ce qui reste en dehors du sens dans le mot, à savoir les lettres ou, dans le vocabulaire de Kenneth White, « la physique du mot ».

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Le cancer de l'islamisme

Publié le 23 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Le Manneken-Pis sur vos bombes
Le Manneken-Pis sur vos bombes

Roland Jaccard indiquait hier soir, mardi, à l’émission d’Yves Calvi, « C dans l’air », que les chiffres sur la montée du radicalisme en France étaient impressionnants : aujourd’hui, 8500 personnes ont été signalées comme autoradicalisées soit par leurs voisins, soit par leur famille, soit par les services antiterroristes. C’est deux fois plus qu’il y a un an.

Mohamed Sifaoui, journaliste, écrivain et réalisateur franco-algérien installé en France, expliquait quant à lui que « il ne peut y avoir de lutte sérieusement engagée si on n’arrive pas à se poser la question de manière sérieuse, apaisée et calme sur comment gérer le sujet islamiste, comment lutter contre l’islamisme, comment assumer la guerre contre l’islamisme, comment nommer l’islamisme, comment interdire les réseaux islamistes qui endoctrinent, comment interdire les associations qui propagent l’islamisme, comment interdire la littérature islamiste, comment prohiber les chaînes qui diffusent l’islamisme ? Une chaîne saoudienne, il y a quelques semaines, diffusait un prêche du prêcheur principal de La Mecque qui appelait à tuer tous les apostats juifs et chrétiens, européens et tous les chiites, etc…

Ça passe à la télévision nationale saoudienne, quasiment une fois par semaine au moins.

Il faut sortir de cette logique où l’on tente d’anesthésier le débat. On est en guerre ou on ne l’est pas ».

- Y. Calvi : « C’est de la naïveté ? »

- M. Sifaoui : « C’est pas de la naïveté ».

- Y. Calvi : « La volonté de ne pas voir ? »

- M. Sifaoui : « C’est du calcul politicien par électoralisme. (…) L’islamisme est une idéologie totalitaire, elle est dangereuse. Ces gens sont des salopards qui sont des militants, qu’il faut combattre, qu’il faut annihiler et faire passer devant la Justice, qu’il faut neutraliser physiquement lorsqu’il le faut. Ce sont des choses qu’il faut assumer aujourd’hui et ce propos ne doit pas être laissé à l’extrême-droite qui ne fait qu’alimenter ces islamistes » .

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Publié le 12 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

En complément à l’info publiée hier concernant le Printemps Républicain, voici quelques lignes introductives du dernier livre de Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, publié chez Stock depuis hier.

« L’abîme des perceptions entre la France d’en haut et la France d’en bas a ouvert un boulevard à la démagogie protestataire. Il a permis l’ascension effrayante du Front national. Celle-ci a créé en retour un fonds de commerce de la dénonciation du péril fasciste. Elle a suscité une troupe de procureurs bénévoles chargés de veiller à la pureté des opinions et de traquer tout propos suspect de « faire le jeu du Front national ». Les interdits appellent à leur tour des transgresseurs, de sorte que l’on a vu apparaître d’avisés entrepreneurs en provocation qui ont raflé le marché de la mal-pensance, tout en portant à leur paroxysme les cris d’orfraie des gardiens de l’orthodoxie. La boucle est bouclée, le jeu de rôles est verrouillé , la discussion publique est bloquée par une hystérie médiatique qui ne laisse le choix qu’entre le délire et le déni. Un blocage qui ne contribue pas peu à entretenir le découragement collectif ».

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Le Printemps Républicain

Publié le 11 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Dans son article de début mars, « La gauche pour le réel », publié dans le dernier numéro de Causeur, Elisabeth Lévy prétend qu’en ce-moment, il se passe quelque chose à gauche, quelque chose d’encore imprécis et nébuleux mais qui, s’il se précise, pourrait rendre l’atmosphère intellectuelle un peu plus respirable.

Depuis, cet imprécis a commencé à prendre forme : sous la houlette du politologue et essayiste proche du PS, Laurent Bouvet, un collectif s’est créé, soutenu, entre autres, par Marcel Gauchet, Elizabeth Badinter, Marc Cohen, Roland Castro, Brice Couturier, René Frydman, Fleur Pellerin, Abderrahmane Sissako. Un Manifeste a été mis récemment en ligne http://www.causeur.fr/manifeste-pour-un-printemps-republicain-37179.html avec appel à signature.

Il défend l’idée que la République est ce qui nous est commun, que la laïcité est le ciment du contrat social républicain, que la Nation est à la fois une histoire et un destin communs, que l’universalisme se déduit des aspirations à une humanité commune, que le combat contre le racisme, l’antisémitisme ou tout autre préjugé à raison du sexe, de l’origine, de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la culture est sans répit ni repos et que le principe de l’égalité entre hommes et femmes, et plus encore le combat permanent pour sa réalisation effective, sont au fondement des sociétés modernes.

La naissance de cette gauche pluraliste, voltairienne qui se rebiffe et affirme avec Pascal Bruckner que la gauche doit se réconcilier avec le réel est une très bonne nouvelle.

Le réel (et non pas la réalité) …. un terme très en vogue actuellement, spécialement dans les domaines de l’art et de la politique. Les significations qui lui sont données mériteraient, à coup sûr, d’être précisées pour lui éviter de rejoindre le lexique de la langue de bois où il risquerait de perdre sa marque primordiale puisqu'il est ce qui résiste, ce sur quoi on bute et qu'on ne peut contourner. On peut compter sur le talent d’Elisabeth Badinter pour éviter cet écueil quand elle appelle à ne pas se laisser bâillonner par le politiquement correct, consistant précisément à ne rien vouloir savoir du poids de réel : « Il faut, dit-elle, s'accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe, qui a été pendant pas mal d'années le stop absolu, l'interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité. A partir du moment où les gens auront compris que c'est une arme contre la laïcité, peut-être qu'ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses ».

Que celles et ceux qui apprécient lire et entendre  Charles Péguy, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Régis Debray, Philippe Muray, Pascal Bruckner, Fabrice Luchini (aimablement qualifiés, avec d’autres, de néo-réacs depuis la publication du Rappel à l’Ordre de Daniel Lindenberg, paru il y a 14 ans) se réjouissent, ça sent le Printemps !

Le Printemps Républicain
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