Jean-Claude Maleval, souvent cité dans ce blog pour la qualité de ses travaux et de ses publications à propos du
traitement de l’autisme, publie une lettre ouverte à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. On pourra en lire l’intégralité sur http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2013/06/LQ-330.pdf
Cette lettre dénonce le mauvais ficelage du 3e plan autisme, concocté par Marie-Arlette Carlotti, ministre
déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l’exclusion, et par sa bureaucratie partisane.
La ministre et ses fonctionnaires s’emploient à vouloir exclure la psychanalyse du champ du traitement de l’autisme en
imposant, sans débat et autoritairement, leur choix exclusif en faveur de stratégies éducatives reposant sur des bases prétendument scientifiques et incontestables, celles recueillies par le
rapport de la Haute Autorité de Santé publié en 2012.
Pourtant, l’une des conclusions majeures de celui-ci stipule qu’il n’existe aucune preuve scientifique solide
permettant de prôner quelque méthode que ce soit dans la prise en charge des autistes. Les conclusions de la HAS restent prudentes et incertaines, très éloignées des déclarations des auteurs du
3e plan, quand ils glorifient les méthodes « qui marchent ».
De surcroît, l’ANESM signale, dans ses recommandations de bonne pratique d’avril 2012, que du fait de l’hétérogénéité
des profils cliniques, la diversité des professionnels et des structures est nécessaire pour répondre aux besoins spécifiques des enfants et adolescents ayant un trouble envahissant du
développement.
Ceux qui, aujourd’hui, accompagnent quotidiennement les sujets autistes, savent bien que cette diversité, alliant
stratégies éducatives et prise en compte de la subjectivité et de la singularité des autistes, est le gage d’une clinique pragmatique offrant aux autistes de sortir de leur monde immuable et
sécurisé, et de leur ouvrir ainsi un accès à la vie sociale.
Dans le travail avec les enfants autistes, le thérapeutique, le pédagogique et l’éducatif, sont en permanence
intriqués. Aussi, opposer l’orientation psychanalytique du traitement à une approche éducative constitue un non-sens dont les personnes autistes pourraient bien faire les frais dès la mise en
application de ce plan.
C’est pourtant une telle absurdité qui anime la récente lettre des députés du groupe d’étude sur l’autisme,
aimablement publiée par Médiapart et adressée au Président de la République. Celle-ci qualifie le 3e plan autisme de « plan ambitieux » qui « entend fermement
tourner la page de la psychanalyse appliquée à l’Autisme » (sic !). Resic : « En ne donnant les moyens d’agir qu’aux seules structures utilisant les méthodes comportementales
et éducatives, le Gouvernement a permis que les personnes avec autisme, leurs familles et les associations soient enfin reconnues et puissent enfin croire en l’avenir ». Car, bien sûr,
auparavant, les familles étaient laissées sur le bord du chemin !
À la lecture de cette lettre, on se dit que, décidément, ces députés sont ignorants ou mal informés ou incultes.
Toutefois, le paragraphe suivant ne laisse aucun doute sur les intentions partisanes de ses auteurs quand il affirme que, depuis l’annonce de ce plan, « le lobby de la
psychanalyse », particulièrement ancré dans notre pays, conscient du risque de pertes financières en sa faveur, est particulièrement virulent à l’encontre de Marie-Arlette Carlotti et du
Gouvernement, au point de demander le retrait de ce Plan largement concerté. Et de parler d’une « offensive inacceptable » face à laquelle ces
députés réaffirment leur soutien aux engagements du 3e Plan Autisme et demandent à François Hollande de veiller à la bonne application de ce Plan en ne finançant que les structures basées sur une
prise en charge adaptée.
La messe est dite. Fermez le ban ! Rentrez dans les rangs !
Il y a pourtant une approche psychanalytique contemporaine de l’autisme
dont les principes restent méconnus, non seulement par les responsables politiques mais également par de nombreux spécialistes. Elle met l’accent sur les inventions des autistes et sur leur «
savoir implicite » pour lutter contre l’angoisse. JC Maleval précise, en outre, que l’approche psychanalytique de l’autisme à laquelle il est fait référence dans le courant lacanien trouve son
fondement dans « la pratique à plusieurs », qui donne une fonction prépondérante au « savoir implicite » de l’autiste, à ses points forts et à ses inventions, en particulier celles qui sont
construites à partir de son bord (objet autistique, double et îlot de compétence). Une position de non-savoir de la part des soignants est une condition nécessaire pour que les enfants sortent de
leur repli et se risquent à inclure l’Autre dans leurs opérations.
Pour être en mesure
d’accueillir les inventions des autistes, l’inattendu doit pouvoir trouver place dans le fonctionnement institutionnel.
En surplomb des indications techniques, la HAS insiste sur la dimension éthique de la prise en compte des autistes. Sa
première recommandation consiste « à respecter la singularité de l’enfant /adolescent et de sa famille ». La recherche de l’adhésion de l’enfant est essentielle, il convient de le faire
participer aux décisions, il faut prendre en compte ses goûts et ses intérêts. « Il doit être reconnu dans sa dignité, avec son histoire, sa personnalité, ses rythmes, ses désirs propres et ses
goûts, ses capacités et ses limites». Toutes indications auxquelles les psychanalystes souscrivent depuis longtemps et s’efforcent, depuis toujours, d’appliquer.
Peut-être me reprochera-t-on de faire des amalgames, mais je ne peux m’empêcher de mettre en série :
- les méthodes des militants antipsychanalyse, répandant leurs certitudes dans les médias en évitant soigneusement
tout débat contradictoire pendant que d’autres établissent sur Internet une « liste noire » des formations sur l’autisme qui ne respecteraient pas
les recommandations de la HAS ou protestent contre la tenue de colloques portant sur les approches psychanalytiques de l’autisme,
- les méthodes des opposants au mariage pour tous
- la recrudescence dans notre pays et en Europe de mouvements idéologiques qui, au siècle dernier, conduisirent au
pire.
JC Maleval est donc fondé à poser cette question : que se passera-t-il si le gouvernement auquel appartient
Madame Carlotti décide d’interdire les recherches universitaires sur les approches psychanalytiques de l’autisme?
Ne voit-elle pas, elle et les députés signataires de la lettre à F. Hollande, qu’en excluant la psychanalyse et ses
praticiens, c’est à la liberté de penser qu’ils s’en prennent ?
La frénésie de la norme, telle que 3ème plan autisme la conforte, pourra-t-elle rester longtemps compatible
avec ce qui, historiquement, différencie la gauche de la droite : son rapport au changement ?