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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

politique

Une opposition de basse-cour 

Publié le 6 Juillet 2017 par Jean Mirguet dans Politique

 

« Opposition de basse-cour » titre Matthieu Croissandeau dans la dernière livraison de L’Obs.

Que de caquetages, en effet, de bavardages insipides, de jacasseries inconsistantes, de postures toutes faites, de vieux réflexes archaïques émanant des rescapés de la gauche et de la droite.

N’ont-ils rien entendu de ce qu’Emmanuel Macron, le Président, leur a adressé, lundi au Congrès : qu’une « obligation collective pèse sur nous, qu’elle est celle d’une transformation résolue et profonde, tranchant avec les années immobiles ou avec les années agitées » ?

Bien qu’ayant des oreilles, ils font comme s’ils ne savaient pas les utiliser et préfèrent jouir de leur solitude, tournent en rond et sont devenus amnésiques : la masturbation rend sourd, vous dis-je !

Ajoutez-y une bonne dose de mauvaise foi, autrement dit de malhonnêteté intellectuelle, et ils sont prêts, en faisant feu de tout bois pour essayer de déstabiliser E. Macron, à continuer à nous faire croire qu’on peut prendre des vessies pour des lanternes.

Face à l’incohérence des discours des Hamon, Mélanchon, Lagarde, LePen, etc…, face aux stupides critiques dénonçant la dérive monarchique, la remise en cause du fonctionnement démocratique, l’abus de pouvoir, la cohérence d’E. Macron et de son Premier Ministre a répondu, guidée par « une éthique de l’action et de la responsabilité partagée ».

Quand ces professionnels de la politique cynique et faite de platitudes comprendront-ils que « le peuple français a montré son impatience à l’égard de ce monde politique fait de querelles stériles et d’ambitions creuses et que c’est à une manière de voir la politique qu’il a donné congé ».

Si l’opposition veut retrouver quelque dignité, il lui faudra trouver le moyen de s’extirper du marais nauséabond dans lequel pataugent quelques canards sans tête. Manifestement, elle en est loin.

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La division et le non-savoir aux fondements de la démocratie.

Publié le 31 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Dans une interview donnée au mensuel Causeur il y a deux ans, le linguiste et philosophe Jean-Claude Milner rappelait ce qui, jusqu’à peu, constituait une évidence : à un moment donné, les parents choisissent toujours en lieu et place de leurs enfants, libre à ceux-ci ensuite de se rebeller contre cet héritage. Or, force est de reconnaître que, depuis quelques années, domine l’idée que ces contraintes doivent être combattues préventivement, tout simplement en les empêchant d’apparaître.

Autrement dit, pour que chaque individu puisse, dès le début de sa vie, être placé dans une relation de stricte égalité avec ses semblables, il lui faut être libre d’accepter ou de refuser ce qui lui est transmis, donc être dans la situation de celui qui conclut un contrat. Pour JC Milner, il s’en déduit instantanément une conséquence : l’enfant doit entrer dans un monde qui ait le moins de passé possible puisque ce passé est fait de choix auxquels il n’a pas pris part. Dans le cas des relations parents-enfants, le modèle du contrat, qui est égalitaire, s’oppose à celui de la transmission, inégalitaire.

Pendant longtemps, l’inégalité de savoir entre le maître et l’élève a été pensée comme un moyen de la démocratie puisque la transmission visait à affranchir l’élève des conséquences sociales de son ignorance. Or, aujourd’hui, cette inégalité de savoir est jugée comme non démocratique, à tel point qu’à force de dénoncer l’inégalité entre savoir et ignorance, on trouve de plus en plus de situations dans lesquels l’ignorant domine celui qui sait (par ex. l’impossibilité pour des professeurs d’aborder certains sujets politiques, religieux ou philosophiques car des élèves sont persuadés de détenir une vérité supérieure à la connaissance).

Nombreux sont les dirigeants politiques qui estiment que supprimer la perception de l’inégalité est gage de paix sociale, faisant de ce modèle l’idéal vers lequel doit tendre une démocratie. Cette idéologie du désamorçage des conflits qu’il faut prévenir pour qu’ils n’aient pas lieu et que s’établisse un consensus nous propose l’idéal d’un monde imaginaire harmonieux, exempt de toute division, pacifié.

Or, insiste JC Milner, la démocratie doit permettre l’émergence des conflits, elle est fondée sur la division, non sur une mirifique et chimérique harmonie.

De surcroît, elle est le régime conçu, créé et soutenu par des hommes qui savent qu’ils ne savent pas tout. « Le démocrate est modeste, écrivait Camus (« Réflexions sur une démocratie sans catéchisme », Oeuvres complètes II), il avoue une certaine part d’ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné, et à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu’il sait par ce qu’ils savent ».

La légion des donneurs de leçons qu’on entend à longueurs de journée ferait bien de ne pas l’oublier.

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Le cancer de l'islamisme

Publié le 23 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Le Manneken-Pis sur vos bombes
Le Manneken-Pis sur vos bombes

Roland Jaccard indiquait hier soir, mardi, à l’émission d’Yves Calvi, « C dans l’air », que les chiffres sur la montée du radicalisme en France étaient impressionnants : aujourd’hui, 8500 personnes ont été signalées comme autoradicalisées soit par leurs voisins, soit par leur famille, soit par les services antiterroristes. C’est deux fois plus qu’il y a un an.

Mohamed Sifaoui, journaliste, écrivain et réalisateur franco-algérien installé en France, expliquait quant à lui que « il ne peut y avoir de lutte sérieusement engagée si on n’arrive pas à se poser la question de manière sérieuse, apaisée et calme sur comment gérer le sujet islamiste, comment lutter contre l’islamisme, comment assumer la guerre contre l’islamisme, comment nommer l’islamisme, comment interdire les réseaux islamistes qui endoctrinent, comment interdire les associations qui propagent l’islamisme, comment interdire la littérature islamiste, comment prohiber les chaînes qui diffusent l’islamisme ? Une chaîne saoudienne, il y a quelques semaines, diffusait un prêche du prêcheur principal de La Mecque qui appelait à tuer tous les apostats juifs et chrétiens, européens et tous les chiites, etc…

Ça passe à la télévision nationale saoudienne, quasiment une fois par semaine au moins.

Il faut sortir de cette logique où l’on tente d’anesthésier le débat. On est en guerre ou on ne l’est pas ».

- Y. Calvi : « C’est de la naïveté ? »

- M. Sifaoui : « C’est pas de la naïveté ».

- Y. Calvi : « La volonté de ne pas voir ? »

- M. Sifaoui : « C’est du calcul politicien par électoralisme. (…) L’islamisme est une idéologie totalitaire, elle est dangereuse. Ces gens sont des salopards qui sont des militants, qu’il faut combattre, qu’il faut annihiler et faire passer devant la Justice, qu’il faut neutraliser physiquement lorsqu’il le faut. Ce sont des choses qu’il faut assumer aujourd’hui et ce propos ne doit pas être laissé à l’extrême-droite qui ne fait qu’alimenter ces islamistes » .

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Publié le 12 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

En complément à l’info publiée hier concernant le Printemps Républicain, voici quelques lignes introductives du dernier livre de Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, publié chez Stock depuis hier.

« L’abîme des perceptions entre la France d’en haut et la France d’en bas a ouvert un boulevard à la démagogie protestataire. Il a permis l’ascension effrayante du Front national. Celle-ci a créé en retour un fonds de commerce de la dénonciation du péril fasciste. Elle a suscité une troupe de procureurs bénévoles chargés de veiller à la pureté des opinions et de traquer tout propos suspect de « faire le jeu du Front national ». Les interdits appellent à leur tour des transgresseurs, de sorte que l’on a vu apparaître d’avisés entrepreneurs en provocation qui ont raflé le marché de la mal-pensance, tout en portant à leur paroxysme les cris d’orfraie des gardiens de l’orthodoxie. La boucle est bouclée, le jeu de rôles est verrouillé , la discussion publique est bloquée par une hystérie médiatique qui ne laisse le choix qu’entre le délire et le déni. Un blocage qui ne contribue pas peu à entretenir le découragement collectif ».

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Le Printemps Républicain

Publié le 11 Mars 2016 par Jean Mirguet dans Politique

Dans son article de début mars, « La gauche pour le réel », publié dans le dernier numéro de Causeur, Elisabeth Lévy prétend qu’en ce-moment, il se passe quelque chose à gauche, quelque chose d’encore imprécis et nébuleux mais qui, s’il se précise, pourrait rendre l’atmosphère intellectuelle un peu plus respirable.

Depuis, cet imprécis a commencé à prendre forme : sous la houlette du politologue et essayiste proche du PS, Laurent Bouvet, un collectif s’est créé, soutenu, entre autres, par Marcel Gauchet, Elizabeth Badinter, Marc Cohen, Roland Castro, Brice Couturier, René Frydman, Fleur Pellerin, Abderrahmane Sissako. Un Manifeste a été mis récemment en ligne http://www.causeur.fr/manifeste-pour-un-printemps-republicain-37179.html avec appel à signature.

Il défend l’idée que la République est ce qui nous est commun, que la laïcité est le ciment du contrat social républicain, que la Nation est à la fois une histoire et un destin communs, que l’universalisme se déduit des aspirations à une humanité commune, que le combat contre le racisme, l’antisémitisme ou tout autre préjugé à raison du sexe, de l’origine, de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la culture est sans répit ni repos et que le principe de l’égalité entre hommes et femmes, et plus encore le combat permanent pour sa réalisation effective, sont au fondement des sociétés modernes.

La naissance de cette gauche pluraliste, voltairienne qui se rebiffe et affirme avec Pascal Bruckner que la gauche doit se réconcilier avec le réel est une très bonne nouvelle.

Le réel (et non pas la réalité) …. un terme très en vogue actuellement, spécialement dans les domaines de l’art et de la politique. Les significations qui lui sont données mériteraient, à coup sûr, d’être précisées pour lui éviter de rejoindre le lexique de la langue de bois où il risquerait de perdre sa marque primordiale puisqu'il est ce qui résiste, ce sur quoi on bute et qu'on ne peut contourner. On peut compter sur le talent d’Elisabeth Badinter pour éviter cet écueil quand elle appelle à ne pas se laisser bâillonner par le politiquement correct, consistant précisément à ne rien vouloir savoir du poids de réel : « Il faut, dit-elle, s'accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe, qui a été pendant pas mal d'années le stop absolu, l'interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité. A partir du moment où les gens auront compris que c'est une arme contre la laïcité, peut-être qu'ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses ».

Que celles et ceux qui apprécient lire et entendre  Charles Péguy, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Régis Debray, Philippe Muray, Pascal Bruckner, Fabrice Luchini (aimablement qualifiés, avec d’autres, de néo-réacs depuis la publication du Rappel à l’Ordre de Daniel Lindenberg, paru il y a 14 ans) se réjouissent, ça sent le Printemps !

Le Printemps Républicain
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Nécessité de l’ennemi

Publié le 9 Octobre 2014 par Jean Mirguet dans Politique

Dans sa tribune du 3 octobre dernier publiée dans Le Monde et titrée « La Russie de M. Poutine et l’islamisme radical sont nos meilleurs ennemis », Pascal Bruckner rappelle cette remarque d’Alexander Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaël Gorbatchev, à l’endroit des Occidentaux (nous sommes en 1989 et l’empire soviétique s’effondre) : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ».

Rien de nouveau dans le ciel des idées puisque, sans aller jusque Matthieu et Luc qui enjoignent d’aimer nos ennemis, Karl Schmitt avait déjà montré que la fonction du politique est d’identifier l’ennemi, le politique étant selon lui le lieu de la distinction ami-ennemi.

Quant à Freud, son texte sur la Psychologie des masses démontre combien un individu peut, au sein d’une collectivité et conditionné par ses identifications, s’autoriser à se débarrasser des refoulements des pulsions inconscientes qui l’animent.

Dans les phénomènes de ségrégation, dans le racisme, la xénophobie, le nationalisme ou l’intégrisme, l’identification c’est-à-dire, comme la définit Freud, « la manifestation la plus précoce d’une liaison de sentiment à une autre personne », s’effectue toujours sur le dos de l’autre mauvais, de l’autre à détruire voire à exterminer. C’est ainsi que se constitue une communauté, autrement dit ce qui fait norme pour chacun.

Pour que cette communauté tienne, il faut qu’il y en ait au moins un qui en soit exclu. Cette condition doit-elle être le prix à payer pour réveiller les Occidentaux de la torpeur dans laquelle le confort démocratique les a bercé jusqu’il n’y a pas si longtemps ?

A cette question, Pascal Bruckner répond positivement en proposant d’être reconnaissants envers le président Poutine comme envers le « calife » Al-Baghdadi pour l’hostilité qu’ils nous manifestent. Ils seraient en somme des bienfaiteurs puisque poussant à nous mobiliser et à résister, donc à renforcer nos liens.

Identifiés comme ennemis à vaincre mais simultanément à conserver puisque c’est d’eux que nous tirons notre énergie, ils deviendraient autant détestables que nécessaires.

C’est dans ce paradoxe que nous entraînent le déchainement de barbarie et les périls dont, pour le moment et pour la plupart d’entre nous, nous ne faisons l’expérience que par l’intermédiaire de nos écrans de télévision. C’est un paradoxe périlleux qui, comme l’écrit Pascal Bruckner, peut nous détruire ; il peut aussi nous sauver.

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Un hymne à la dialectique

Publié le 5 Avril 2014 par Jean Mirguet dans Politique

Un véritable régal que l’éditorial d’Elisabeth Lévy dans le numéro de Causeur de mars.

A ceux qui tiennent son mensuel pour un repaire de collabos voire de nazis, elle interprète ces hommages de la vertu au vice comme la preuve éclatante de l’utilité de sa publication.

A ceux qui aimeraient ne plus voir Frédéric Taddei aux commandes de Ce soir (ou jamais) ou qui voudraient priver de parole les contradicteurs comme Eric Zemmour, aux pauvrets bien-pensants auteurs de ces oukases, elle rétorque qu’on ne leur a sans doute jamais dit qu’on pouvait être en désaccord avec quelqu’un sans forcément souhaiter le réduire au silence.

Dire son désaccord suppose l’argumentation mais pour argumenter, encore faut-il lire ou écouter, tâches moins jouissives que dénoncer ou insulter, ce dont ne se privent pas ceux qui accusent Causeur d’être une revue d’extrême droite ou un journal facho. La vertu de la raison critique ne produit pas de l’harmonie et de l’accord mais au contraire des différences de points de vue, des désaccords raisonnables ; elle ne produit pas du même mais de l’Autre.

Elisabeth Lévy le clame haut et fort : Causeur est un journal d’opinions (au pluriel), et de ce fait un aimable foutoir, écrit-elle, où se côtoient monarchistes, communistes, athées et cathos, européens et souverainistes, libéraux et étatistes.

La diversité y règne, ce qui ne signifie pas que toutes les opinions se valent. Mais, pas question de refuser la publication d’idées qui invitent à la controverse puisque, on le sait bien, ce ne sont pas les idées convenues qui stimulent l’esprit. Pour autant, note la directrice du mensuel, tout changement n’est pas jugé comme un progrès. En témoigne la volonté de donner force et tenue au langage qui, comme l’affirmait Francis Ponge, constitue la meilleure façon de servir la République.

A la morale de pacotille qui alimente une vision simplifiée du monde, la polémiste oppose le souci de la complexité qui devrait rendre possible de penser le caractère inopérant de la diabolisation de Marine Le Pen et le combat contre ses idées, l’antisémitisme de Dieudonné et le doute quant à l’efficacité de l’interdiction de ses spectacles, l’égale légitimité de ceux favorables au mariage pour tous et des contre, que les musulmans français sont Français et que certaines expressions de l’Islam posent problème à la République, que le politiquement correct étouffe et que le politiquement incorrect aveugle, etc …

Dans son éditorial, véritable hymne à la dialectique, elle se fait l’héritière de Voltaire qui ne craignait pas de dénoncer et railler le monde tel qu’il va.

 

Un hymne à la dialectique
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« Jour de colère » : retour des ligues?

Publié le 27 Janvier 2014 par Jean Mirguet dans Politique

Alors que la Pologne célèbre aujourd’hui le 69ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, hier dimanche 26 janvier 2014, à Paris, à l'appel du collectif "Jour de colère", des contribuables en colère aux anti-avortement en passant par des fans de Dieudonné manifestent contre François Hollande et sa politique et scandent  : « Juif, la France n'est pas à toi ». 

Face à ces slogans obscènes et à une diversité aussi inattendue que difficile à identifier, il est compliqué d’apprécier l'ampleur du mouvement – et sa suite. En quoi le mouvement "Jour de colère" peut-il être similaire aux "ligues" qui se sont développées dans la France de l'entre-deux-guerres ? En quoi le mouvement d'aujourd'hui les réinvente-t-il ?

La démocratie française est-elle malade au point d'être menacée par la montée de ligues ? Pour répondre à cette question, le site Atlantico donne la parole à Vincent Tournier, maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble, Frédéric Monier, historien et professeur à l'université d'Avignon et Bruno Jeanbart, Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway.

Vincent Tournier : A ce stade, la comparaison avec les ligues d'extrême droite n'apparaît pas du tout pertinente. Établir des comparaisons avec les années trente est une manière de délégitimer les contestations contre la politique du gouvernement. C’est de bonne guerre : la droite fait la même chose lorsque les collectifs de gauche venaient manifester, clamant que le pouvoir n’appartient pas à la rue. Pour les manifestants, les buts sont toujours les mêmes : il s’agit à la fois de faire parler de soi, de maintenir l’activisme des militants et de donner le sentiment que le gouvernement est très impopulaire. La difficulté du gouvernement actuel, c’est qu’il se voit renvoyer ses propres arguments, quand il portait un regard positif sur les manifestations en disant que c'est un signe de vitalité démocratique, une preuve de civisme.

Au fond, la gauche est prise à son propre piège : à force de vanter, pour des raisons qui tiennent à sa culture politique contestataire, les mérites de la mobilisation de rue, elle ouvre un boulevard à la droite, qui prend sa revanche depuis 2012. On peut même aller plus loin. Sur leur site, les organisateurs du "Jour de colère" retournent à leur profit un tweet de Jean-Marc Ayrault daté du 14 janvier 2012 qui dramatisait la campagne électorale contre Nicolas Sarkozy : « quand un pouvoir faillit à ce point, impuissant à rassurer son peuple, l’intérêt national est d’en changer maintenant ». Ce faisant, d’une part il autorise à porter une condamnation absolue sur le pouvoir en place, d’autre part il laisse entendre que les règles de la démocratie représentative peuvent être illégitimes. Il est logique que les opposants actuels s’en emparent.

Fréréric Monier : Quand il est question de ligues, la mémoire collective se focalise sur les ligues nationalistes – elles se disaient elles-mêmes « nationales » - et sur leur rôle en 1934. Aujourd’hui, très peu des organisations groupées dans « Jour de colère » se revendiquent explicitement comme « ligues » : la « ligue francilienne », par exemple, qui assume un rôle de défense religieuse et de lutte contre l’immigration. Les discours tenus évoquent souvent des idéologies que l’on trouve chez des ligueurs, notamment au début des années trente : contestation des gauches au pouvoir, crispation nationale, remise en cause de l’État (fiscal).

Mais ce n’est peut-être pas l’essentiel. D’autres raisons, de fond, expliquent que les organisations autour de « Jour de colère » s’inscrivent dans l’histoire des ligues.

D’abord, les ligues, qui apparaissent en France à partir de la fin des années 1860, facilitent la politisation de la société française : elles apportent des « formes modernes de participation à la vie publique » (N. Sévilla). L’éclosion et l’essor de ligues contribue, souvent, à une évolution forte du champ politique, et témoigne du fait que le rapport d’une partie des Français à leur État est en train de changer.

Les ligues sont protéiformes : leurs organisations, leurs objets et leurs orientations idéologiques sont extrêmement variés. Entre la ligue de l’enseignement, républicaine, née en 1866, et la ligue des jeunesses patriotes née en 1924, en réaction à la victoire électorale des gauches, le spectre est très large.

Pourtant, il y a aussi des caractères communs : même quand elles s’affirment comme apolitiques et citoyennes, les ligues entretiennent des rapports complexes avec les partis, entre complémentarité et concurrence. De même pour le rapport avec les pouvoirs publics, souvent ambivalent, et qui ne se réduit pas à la manifestation de rue.

Bruno Jeanbart : Je pense que cette manifestation ressemble assez peu aux mouvements des ligues sauf dans le rejet de la politique, à comprendre dans le sens du rejet de ceux qui la font. Nous avons mesuré cela encore récemment dans nos enquêtes d'opinion. C'est quelque chose qui était déjà très fort dans les années trente avec l'antiparlementarisme. En revanche, sur le reste, la situation est vraiment différente et il y a peu de choses en commun. Le pays a bien changé, et les mouvements qui appellent à la manifestation aujourd'hui ne sont pas vraiment les mêmes : il y avait dans les ligues des mouvements d'anciens combattants, d'autre proches de la droite extrême mais qui n'ont vraiment plus grand-chose à voir avec ce que serait la droite extrême aujourd'hui.

Les partisans de "Jour de colère" expriment une défiance vis-à-vis des institutions. Pourquoi la démocratie française, dont le modèle semi-parlementaire n'est pourtant pas le même que celui qui collectionnait les reproches autrefois, est-elle à ce point rejetée par une partie de l'opinion qui pourrait se retrouver dans "Jour de colère" ?

Vincent Tournier : Contrairement à ce que l’on dit volontiers, je ne suis pas sûr que la défiance dans les institutions politiques soit aujourd’hui si importante, en tout cas pas au point de provoquer une crise de régime. Un signe ne trompe pas : personne ne parle de changer de régime politique, personne ne suggère de passer à une Sixième République comme le faisait naguère la gauche, Arnaud Montebourg en tête. Il est même assez troublant de constater que les contestataires ne mentionnent jamais cette option (ce qui n’était pas du tout le cas dans les années 1930, où une partie des manifestants voulaient abattre le régime républicain au profit d’autres régimes, comme la monarchie). Il est possible que la droite n’ose pas s’engager sur ce terrain, d’une part parce qu’elle reste gaulliste dans sa culture, d’autre part parce qu’elle risque d’être accusée de vouloir solder la République. Mais plus fondamentalement, la culture républicaine est aujourd’hui bien assise et rien ne permet de pronostiquer son effondrement à terme. Cela ne veut pas dire que la situation soit bonne car les tensions liées à la crise économique s’accumulent et les mécontentements sont entretenus par le sentiment général d’une coupure entre les citoyens et les élites. Mais les demandes actuelles ne consistent pas à revendiquer un grand coup de balais, c’est au contraire un appel à l’aide, un appel à se ressaisir.

Bruno Jeanbart : Le système institutionnel français est basé sur un Président fort. Depuis quelques années – depuis Jacques Chirac approximativement – le Président devient très vite impopulaire et il n'a plus cette capacité de rassemblement et de compensation dans un pays qui n'a jamais beaucoup aimé les parlementaires. Cela rend les choses évidemment plus difficiles, et n'empêche pas les critiques alors même que la France n'est effectivement pas un système intégralement parlementaire.

Fréréric Monier : Certains moments historiques catalysent la création de ligues, ou de groupes qui participent de ce phénomène. Ainsi les années 1898-1901, avec l’affaire Dreyfus, les mouvements de défense catholique et la légalisation des partis. Ou, sur un mode très différent, le début des années 1970, avec une poussée des contestations sociales, une reconfiguration du champ politique et l’invention de nouvelles formes d’action collective. Il est très probable que l’on se situe aujourd’hui dans l’un de ces moments critiques.

D’un côté, ces ligues ou groupements poussent à la constitution de certains sujets de société en questions politiques, mais aussi à leur reformulation par les partis. De l’autre, ces ligues se caractérisent aussi par un refus ponctuel de certaines politiques publiques (l’écotaxe, par exemple). Au-delà, il s’agit de contestations de processus de modernisation de longue durée, ainsi pour les groupes de défense des contribuables. À partir de la fin du XIXe siècle, ils militent avant tout pour refuser les réformes, dans une logique « de protection des individus face aux empiètements de la puissance publique » (N. Delalande). L’antifiscalisme, en France, est lié non seulement à une prise à partie des pouvoirs publics mais aussi à une remise en cause du système politique. Cela fait surgir, par contrecoup, des cultures de l’antiparlementarisme, même si la République des députés a disparu depuis longtemps.

La manifestation d’aujourd’hui participe donc de cette longue histoire : elle met en cause la légitimité des réformes et des gouvernants, mais aussi des partis politiques.

Les manifestants de "Jour de colère" reprochent au gouvernement de ne jamais les écouter et appellent à une meilleure prise en compte de leur opinion (via par exemple des référendums d’initiative populaire). Y a-t-il selon vous un vrai déficit démocratique de ce côté-là ? Y a-t-il des pistes d'amélioration ou bien les revendications dans ce domaine ne sont-elles qu'un symptôme de colère de ceux qui ne sont pas démocratiquement majoritaires ?

Vincent Tournier : Le paradoxe actuel (qui ne concerne pas que la France) est qu’on n’a jamais autant parlé de la démocratie et de son approfondissement, on n’a jamais autant dit qu’il fallait mieux prendre en compte l’avis des citoyens, ce qui s’est même traduit par la mise en place de nombreux mécanismes de démocratie dite « participative » et, en même temps, la démocratie n’a jamais été aussi peu pratiquée. Force est en effet de constater que les citoyens n’ont jamais été aussi peu consultés. En 1973, les Français avaient été appelés à voter pour savoir si le Royaume-Uni pouvait entrer dans la Communauté européenne. Aujourd’hui, qui envisage sérieusement de faire voter les Européens sur les nouveaux élargissements (la Croatie vient d’entrer dans l’indifférence générale) ? Quant au traité de Lisbonne, qui reprenait en gros les dispositions du traité constitutionnel, il a été adopté sans onction populaire, alors même que les Français l’ont rejeté en 2005.

D’une certaine façon, il y a donc une régression démocratique, ce qui peut expliquer le désarroi des citoyens. Ils peuvent même avoir le sentiment qu’on se moque d’eux, par exemple quand on leur dit que, désormais, l’Europe leur donne le droit d’adresser des pétitions pour faire valoir leurs griefs. Venir expliquer aux Français, dont le passé révolutionnaire est tout de même assez riche, que ce type de démocratie octroyé par les élites est un grand progrès, c’est soit du cynisme, soit du mépris.

Bruno Jeanbart : Le sentiment de na pas être écouté est le grand classique de tous les mouvements sociaux en général. Par définition, ce sont des gens qui pensent que des mesures ont été prises contre leurs opinions. On retrouve cela aussi dans les mouvements syndicaux. Mais ce sentiment de ne pas être entendu augmente fortement dans la crise politique que nous traversons. Si on regarde le baromètre que nous établissons pour le Cevipof, 13 % seulement des Français pensent que les politiques s'occupent réellement d'eux, et le qualificatif "être à l'écoute" enregistre des scores très faibles quand il est proposé pour définir François Hollande (moins de 30 %). C'est assez classique mais c'est renforcé dans le cas du mouvement d'aujourd'hui car on est face à des gens qui ont le sentiment de ne pas avoir été écoutés lors de manifestations qu'ils ont récemment menées ("manif pour tous" ou "bonnets rouges" notamment).

Il y a probablement des choses qui correspondent à la réalité, certes, mais derrière cela, il y aussi une incompréhension du système politique dans lequel on vit. Les gens sont en demande d'une démocratie plus directe alors que nous sommes dans une démocratie représentative. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de remises en cause de ce principe même. Cela se voit particulièrement dans l'idée que l'on peut contester la mise en place du mariage pour tous alors que le François Hollande l'avait inclus dans son programme. De nombreuses personnes ont considéré cette décision comme étant illégitime, or dans un système de démocratie représentative, elle est doublement légitime car annoncée par le Président élu, et voté par le Parlement.

Pourquoi les partis d'opposition – l'UMP notamment – ne semblent-ils pas peser dans cette manifestation, et pourquoi paraît incapable de récupérer le mouvement ? Alors que l'UMP partage en principe les mots d'ordre de "Jour de colère", pourquoi la frontière entre les deux reste-t-elle fermée ?

Vincent Tournier : Les partis de gouvernement ne sont jamais à l’aise avec ces mouvements de contestation. En général, ils n’en sont pas à l’origine et ils ont du mal à les contrôler, à les intégrer dans leur stratégie politique, dans leur calendrier. De plus, les mouvements contestataires sont porteurs de revendications souvent radicales que les partis de gouvernement ne pourront pas intégrer dans leur programme sous peine de perdre leurs électeurs modérés, qui constituent le gros de leurs troupes. On voit bien que le Parti socialiste, quand il était dans l’opposition, n’a jamais été proche des mouvements de gauche radicale, pourtant très actifs, et c’est pourquoi il les soutenait souvent du bout des lèvres.

Si on est un peu cynique, on peut même considérer que ces mouvements portent tort au principal parti de l’opposition. Prenons par exemple l’un des principaux mots d’ordre sur le matraquage fiscal : l’UMP peut-elle vraiment se lancer dans ce type d’argument après avoir été au pouvoir pendant 10 ans ? C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’UMP a du mal à s’engouffrer dans la critique : elle doit assumer son bilan gouvernemental, qui est encore trop récent pour être oublié.

En outre, la contestation de rue peut même s’avérer contre-productive : elle finit par ressouder les électeurs du parti au pouvoir, qui finissent par s’agacer des outrances de l’opposition et du manque de reconnaissance envers la légitimité électorale de leurs représentants.

Bruno Jeanbart : Les demandes faites au sein de ce mouvement sont vraiment hétéroclites. Les "bonnets rouges" et la "manif pour tous", ce n'est pas exactement la même préoccupation. Je pense aussi que sur un certain nombre de sujets – je pense au mariage homosexuel et à l'adoption – il n'y a pas une ligne commune à tout l'UMP qui pourrait satisfaire l'ensemble des manifestants. Enfin, je crois que l'on est dans un mouvement qui traduit une défiance contre l'ensemble de la politique, et l'UMP est une organisation politique, même si le parti est actuellement dans l'opposition.

Ceci étant, ce n'est pas dramatique pour l'UMP de ne pas parvenir à cette récupération car je vois mal le mouvement d'aujourd'hui bifurquer vers de l'action politique organisée pour les prochaines élections. Cela n'incite pas les partis à faire beaucoup d'efforts en ce sens. Ils n'ont pas de raison d'être très inquiets – pour le moment – d'une force capable de représenter quelque chose sur la scène politique. Je conteste les analyses décrivant ce mouvement comme l'émergence d'un Tea Party à la française. Le système institutionnel américain, avec l'organisation de primaires à tous les niveaux, et notamment à l'échelle locale, a permis de faire émerger des membres du Tea Party pour représenter les Républicains. Rien de tout cela n'existe en France.

Comment faudra-t-il interpréter politiquement l'importance – ou l'échec éventuellement – de la mobilisation d'aujourd'hui ? A quel niveau de participation les organisateurs pourront-ils affirmer que le mouvement est un succès ? Et si succès il y a, de quoi sera-t-il la représentation ?

Vincent Tournier : Pour un mouvement comme Jour de colère, la difficulté est qu’il arrive après des grands mouvements sociaux qui ont fixé la barre très haut. D’une certaine façon, ils paient le prix d’être dans un pays où les manifestations de rue ont une longue histoire, ce qui n’est pas le cas de tous les pays, où des manifestations de quelques dizaines de personnes suffisent parfois à faire office de mouvement de masse.

Bruno Jeanbart : Il est difficile de dire un chiffre, mais si on atteignait des mobilisations approchant celles de la "manif pour tous", on pourra parler de succès. Ce ne peut pas être interprété comme une victoire s'il n'y a que quelques dizaines de milliers de manifestants. Cela ne voudrait pas dire que le mouvement ne pèse rien, bien sûr, mais ce ne sera pas très marquant, médiatiquement parlant.

Même s'il y a des centaines de milliers de manifestants, il y aura tellement de gens différents qui auront défilé qu'il sera très dur de faire émerger des représentants. Ce qui est certain en revanche, c'est que si un mouvement important de mobilisation se forme, ce serait une première, voire une surprise, en effet les mouvements disparates appelant à la mobilisation n'ont jamais réellement permis de fédérer de larges foules. Même pour la "manif pour tous" cela n'a pas été le cas. Malgré l'importance de la mobilisation, les personnes qui défilaient le faisaient très largement contre la question du mariage, sans trop sortir du sujet. Ce serait donc une première : le succès d'une manifestation un peu "fourre-tout" et qui en plus ne s'oppose pas à un projet de loi en discussion, mais sur des dispositions déjà votées, sur lesquelles on ne reviendra pas. Et vu que le succès serait une première, il est d'autant plus difficile de prévoir qui pourrait récupérer cela.

Un mouvement réunissant aussi bien des groupes de contribuables en colère, des anti-avortement, des défenseurs du monde paysan, des opposants à l'éolien ou à l'immigration a-t-il une chance sérieuse de déboucher sur autre chose qu'une journée de manifestation ? Comment cette opposition peut-elle se structurer sans se retrouver face à des contradictions ?

Vincent Tournier : Rappelons que les manifestations contre le mariage homosexuel ont mobilisé jusqu’à un demi-million de personnes ; celles contre la réforme des retraites ont compté plusieurs millions de personnes. Il sera donc très difficile de battre de tels scores. D’autant que, comme on le voit, ces précédents sont très différents de la situation actuelle puisqu’ils concernaient d’importantes réformes de société (les retraites, le mariage). En somme, c’est la nature du projet contesté qui fait l’ampleur des manifestations. Or, aujourd’hui, les manifestants ne peuvent pas s’en prendre à un projet d’envergure. Ils doivent donc se contenter d’un catalogue de mécontentements dont aucun n’est en soi suffisant pour drainer des millions de personnes. Une addition de micro-causes ne suffit pas à faire une véritable cause.

Bruno Jeanbart : La seule solution serait d'investir le champ électoral pour peser dans les élections à venir, notamment les européennes qui seront la seule élection un peu nationale d'ici 2017. On a déjà eu des cas de listes contestataires et sociétales pour ce scrutin précisément, et il y a déjà eu des scores surprenants à cette élection (Bernard Tapie en 1994, De Villiers/Pasqua en 1999, voire Europe-Ecologie en 2009). Après, l'autre option – qui serait très "à l'américaine" – serait d'investir la primaire de l'opposition en 2016. Mais c'est un horizon lointain et je pense que le mouvement aura du mal à tenir jusque-là.

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Un péril contemporain

Publié le 9 Décembre 2013 par Jean Mirguet dans Politique

Dans son dernier livre, L’identité malheureuse, Alain Finkielkraut évoque une forme d’autorité, peu contestée, née des temps démocratiques : « l’autorité de l’opinion » dont le pouvoir s’exerce avec une efficacité d’autant plus remarquable qu’il n’est pas ressenti comme tel par ceux à qui il s’applique. « L’homme démocratique pense comme tout le monde en croyant penser par lui-même (…) C’est bien au chaud dans la doxa du jour qu’il déboulonne les idées moribondes et qu’il mène contre les tabous chancelants une guerre impitoyable ».

Cet apparent confort obéit à l’idéologie dominante du politiquement correct, une idéologie née, pour Finkielkraut, du « Plus jamais ça » dont la mission consiste à endiguer les passions criminelles, à étouffer l’intolérance. On se fait adepte du politiquement correct moins pour faire comme tout le monde que pour éviter les fantômes du passé, pour esquiver le retour du politiquement abject.

Rien ne garantit, en effet, que la majorité, ne pouvant agir sur les crises qu’elle subit, ne puisse trouver dans la désignation de boucs émissaires un exutoire à son angoisse et un moyen de reconstituer l’unité du corps social. La cohésion peut de nouveau reposer sur le pire, « tous les chemins de la bonne pensée de notre temps mènent à Auschwitz », avertit Finkielkraut dans une interview publiée par Causeur.

Il rejoint ainsi la leçon ultime que tire Richard L. Rubenstein de la shoah : création et cruauté barbare sont deux aspects inséparables de ce que nous appelons civilisation. Freud l’avait déjà énoncé, en 1929, donc bien avant le cataclysme nazi : « Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups ».

Se trouve ainsi vérifiée la mise en garde d’Hannah Arendt quand elle avertit que « la transformation d’un peuple en horde sociale est un péril permanent à notre époque ».

Mais le besoin d’illusion actuel est-il si fort que nombre de nos concitoyens aient besoin de croire que l’imposture n’a qu’une adresse, le racisme un seul visage, que nous sommes tous des Juifs allemands, des Noirs, des Arabes, des Christiane Taubira ?

Faut-il, pour rester fidèle à l’idéal romantique de l’altérité et chasser les hideux démons du racisme, s’employer à ne se représenter le monde qu’en noir et blanc et à se passer de tout réel ? Ce « monde sans réel » (cf. le livre du psychanalyste Hervé Castanet, portant ce titre), comme celui des contes de fées est un monde où l’on rêve, où l’on dort, où la vie est pareille à un songe jusqu’à ce que l’irruption d’une rencontre en fasse découvrir son envers. C’est un monde où tout est possible, d’où est exclu l’impossible.

Nous avons un devoir d’objection à ce monde sans réel. La psychanalyse prend sa part à cette objection, une grande part, raison sans doute des attaques dont elle est si souvent l’objet.

Entre le Même et l’Autre, il n’y a pas à transiger, c’est l’Autre qu’il y a lieu de choisir mais à la condition de ne pas faire de l’Autre une nouvelle divinité quand, habités par la passion égalitaire, nous luttons contre la discrimination (nous sommes tous, ces jours-ci, des Mandela) jusqu’au point où tout risque de finir par se valoir et s’égaler.

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Penser au pas cadencé

Publié le 5 Décembre 2013 par Jean Mirguet dans Politique

Les insultes ignobles et révoltantes proférées à l’encontre de la Ministre de la Justice ont provoqué une levée de boucliers générale laissant penser que, non seulement, la France se laissait aller à ses vieux démons, mais qu’entre racistes et antiracistes pouvait être tracée une frontière très claire, défini un monde dominé par la bipolarité.

Les choses ne sont pas si simples et, peut-être, convient-il d’essayer de penser ce qui se passe d’une manière un peu différente de celle qu’on nous donne à voir et à entendre.

De la « Une » raciste de Minute au « Assez ! » de Libération et de l’appel « Nous sommes tous des singes français » s’est dégagé un espace où se déploie le spectacle gênant de l’instrumentalisation de cet épisode et de la jubilation prise dans l’indignation voire de la complaisance à répéter les mots de cette fillette angevine: « C’est pour qui les bananes ? C’est pour la guenon ! ».

Dans la foulée, Christiane Taubira s’est vue décerner le titre de « Femme de l’année » par le journal Elle, récompensée moins pour ce qu’elle a réalisé que pour ce qu’elle a subi.

Ainsi, l’émotion – dont je ne conteste nullement la légitimité, encore qu’une émotion ne puisse être jugée ni légitime ni illégitime, elle est – est devenue, dans les médias, le seul élément de valeur.

En désignant les salauds, clairement identifiés, on s’évite d’avoir à se poser la question de ce que signifie ce grand branle-bas de combat médiatique qui fait passer la raison à la trappe, qui nous fait croire, avec la bénédiction des antiracistes (dont je suis, bien sûr), que nous pourrions vivre dans un monde sans problèmes, sans dilemmes, sans conflits, que l’harmonie est à portée de mains.

N’y a-t-il pas dans les grandes et vibrantes déclarations antiracistes que nous avons entendues quelque chose de troublant ? Quelque chose comme une gêne éprouvée à entendre les uns ou les autres, des proches le plus souvent, accueillir et relayer cette affaire presque comme une bénédiction, comme si l’antiracisme était le seul projet mobilisateur qui pourrait actuellement nous rassembler.

Est-ce si évident et si simple de se déclarer antiraciste ?

Voyez Le Monde du 17 novembre dernier et la tribune de l’historien Emmanuel Debono qui s’interroge sur la pertinence de la notion de racisme anti-Blancs, non conceptualisée, regrette-t-il et réduite le plus souvent à un buzz. Cette non-pertinence réduit-elle à néant les propos révoltants du style « sales Blancs », « faces de craie », « sales Français » ou « sale céfran » proférés par de jeunes cons ? Quid de ces insultes racistes ?

Pourquoi, au nom du politiquement correct, n’admettre que l’antiracisme convenable, celui qui conforte l’idée simple et grossière selon laquelle la France, comme masse, succomberait à la tentation raciste, celle du Blanc envers le Noir, l’Arabe ou le Rom ?

On ne saurait méconnaître, écrivait Freud, que dans la masse, quelque chose comme une contrainte à s’aligner sur les autres, à rester en accord avec le plus grand nombre, est à l’œuvre.

Suivre l’exemple qui s’offre partout à la ronde, répéter dans les journaux ou au bistrot les mêmes slogans jusqu’à les vider de leur contenu, rassure en procurant le sentiment du bien-être entre soi mais il a son envers : cultiver l’entre-soi et la chaleur du dedans instaure du même coup un dehors menaçant.

Ce conformisme de la pensée a évidemment un prix, celui consistant pour les empêcheurs de penser en rond à subir les leçons de morale voire les injures de toutes celles et ceux qui, imbus de certitude et voulant notre bien, ne supportent pas une pensée autre que la leur.

L’actuelle campagne antiraciste ne conduit-elle pas aussi à cela : pour s’assurer une normalité et rester dans le standard, il conviendrait d’épouser les courbettes de la société du Bien et de penser au pas cadencé.

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