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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

politique

Prostitution : pour Elisabeth Badinter, « l’Etat n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus"

Publié le 19 Novembre 2013 par Jean Mirguet dans Politique

Elisabeth Badinter, 69 ans, est philosophe. Elle a souvent pris des positions à contre-courant sur les grands sujets de débats parmi les féministes: opposée à la loi sur la parité en 2000, elle est favorable à la grossesse pour autrui sous certaines conditions. Dans son dernier ouvrage, Le Conflit: la femme et la mère (Flammarion, 2010), elle dénonçait le retour du naturalisme et de la culpabilisation des mères.

Propos recueillis par Gaëlle Dupont, journaliste au journal Le Monde

Qu'avez-vous pensé de l'appel des "343 salauds", qui s'opposent à la pénalisation des clients de prostituées au nom du respect de la liberté ?

C'était une intervention nécessaire, car je suis frappée du silence des hommes dans ce débat. Deux catégories d'individus ne s'expriment pas: les hommes, prochaines cibles de la loi, et les prostituées. La forme était contestable. Mais je n'ai pas de critiques sur le fond.

Pourquoi êtes-vous défavorable à la pénalisation des clients de prostituées ?

La pénalisation, c'est la prohibition. Je préfère parler de prohibition plutôt que d'abolitionnisme, car c'est l'objectif des auteurs de la proposition de loi. Ils font référence à l'abolition de l'esclavage ! La vente d'un individu n'est pas comparable à la prostitution, qui est une mise à disposition de son corps à des fins sexuelles, que l'on peut accepter ou refuser dès lors que l'on n'est pas prisonnière d'un réseau. Leur argument est qu'il faut tarir la demande pour qu'il n'y ait plus d'offre. Je n'arrive pas à trouver normal qu'on autorise les femmes à se prostituer, mais qu'on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n'est pas cohérent et c'est injuste.

La deuxième raison de mon opposition est que l'on prétend qu'il n'y a que la prostitution esclavagiste, dominée par les réseaux, où les femmes n'ont pas moyen de dire non. Mais il y a aussi des indépendantes et les occasionnelles, qui veulent un complément de ressources. Leur interdire de faire ce qu'elles veulent avec leur corps serait revenir sur un acquis du féminisme qui est la lutte pour la libre disposition de son corps. Même si c'est une minorité de femmes. Ce n'est pas une affaire de quantité mais de principe.

Pourquoi, selon vous, les hommes sont-ils une "cible" de cette loi ?

Je ressens cette volonté de punir les clients comme une déclaration de haine à la sexualité masculine. Il y a une tentative d'aligner la sexualité masculine sur la sexualité féminine, même si celle-ci est en train de changer. Ces femmes qui veulent pénaliser le pénis décrivent la sexualité masculine comme dominatrice et violente. Elles ont une vision stéréotypée très négative et moralisante que je récuse.

Peut-on parler de choix lorsqu'on est dans une stratégie de survie ?

Toutes les femmes qui ont besoin d'argent ne se prostituent pas pour survivre! Pour les victimes des réseaux, on ne peut plus parler de choix car il est quasiment impossible de revenir en arrière. La lutte contre l'esclavage des femmes doit donc être sans merci. Pour lutter contre les réseaux, il faut une condition sine qua non: que les prostituées puissent dénoncer leurs proxénètes à la justice sans craindre pour leur vie. Elles doivent être assurées de leur sécurité, d'avoir des papiers, et d'être aidée. La loi contient des dispositions en ce sens, mais qui me paraissent vagues. Quel est le budget? Comment le prévoir quand on ne connaît même pas le nombre de prostituées? Est-ce que la lutte contre les réseaux sera une priorité pour la police? Je n'ai pas le sentiment que cela soit le cas.

Vous acceptez que des femmes se livrent à un travail très pénible, avec parfois des séquelles psychologiques lourdes ?

Je n'ai jamais pensé que la dignité d'une femme reposait sur la sexualité. Je suis favorable à la pédagogie sur la prostitution et les séquelles qui peuvent en résulter. Mais toutes les femmes n'ont pas le même rapport à leur corps. Dans certaines conditions, la prostitution est difficile à vivre, mais il y a des femmes pour lesquelles ce n'est pas aussi destructeur qu'on le dit. Je regrette qu'on n'entende pas davantage les prostituées. Elles seules sont habilitées à parler. Mais quand l'une affirme: "Je le fais librement", on dit qu'elle ment et qu'elle couvre son proxénète. Ce sont les seuls êtres humains qui n'ont pas le droit à la parole.

Quelles seront les conséquences de la loi selon vous? Est-ce qu'elle va mettre fin à la prostitution ?

Bien sûr que non. Je ne connais aucune prohibition qui fonctionne. Elle démultiplie le pouvoir des mafieux. Les prostituées disent qu'elles ont besoin de parler avec le client pour savoir qui il est. Elles apprennent à détecter les pervers. Dans la négociation, la prostituée peut dire ce qu'elle fait ou ne fait pas. Je suis inquiète pour celles qui vont passer par Internet: elles n'auront plus la possibilité de faire cet examen. Une loi qui veut venir au secours des plus faibles va en fait multiplier les dangers. D'ailleurs, la Norvège veut revenir sur la prohibition décidée en 2009.

L'Etat ne doit-il pas dire ce qui est acceptable ou non, comme lorsqu'il interdit la vente d'organes ou fixe un salaire minimum ?

La vente d'organes est une mutilation définitive, le salaire minimum permet de lutter contre la misère. Ce n'est pas comparable. Sous prétexte de lutter contre les réseaux, c'est la prostitution qu'on veut anéantir. L'Etat n'a pas à légiférer sur l'activité sexuelle des individus, à dire ce qui est bien ou mal. Où commence et où finit la prostitution? Combien de femmes ou d'hommes sont en couple pour l'argent? Personne ne songe à aller y voir. On ne parle jamais de la prostitution masculine. Il y a aussi une misère sexuelle féminine et des femmes qui font appel à des prostitués. Il n'est plus alors question de domination masculine dénoncée par les auteurs de la loi.

La prostitution est-elle nécessaire pour l'assouvissement de certains besoins sexuels, faut-il en faire un métier comme un autre ?

Oui, et c'est pour cela qu'on ne pourra pas l'éradiquer. Sur la légalisation, il faut être prudent. On voit qu'en Allemagne, les choses dérapent, les mafieux profitent de la reconnaissance de la prostitution. Il faut donc en faire une activité sécurisée, donner aux prostituées les droits qu'elles réclament, comme celui de s'associer ou de louer un studio. Je voudrais tellement qu'on arrête de traiter les prostituées comme des rebuts de l'humanité. Un certain discours bien-pensant ne peut que les enfoncer davantage dans l'humiliation.

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Etats-Unis : la réforme de l'immigration

Publié le 2 Mai 2013 par Olivier Mirguet dans Politique

Le plan de réforme sur l'immigration pourrait offrir la perspective d'une régularisation massive de millions de sans-papiers aux Etats-Unis. La Californie, qui concentre un quart des 11 millions de clandestins, dont la moitié mexicains, est l'état le plus concerné. Si la réforme était mise en place et avec elle la régularisation de millions de sans-papiers, l'impact serait très important en Californie en terme de dépenses fiscales et de marché du travail. Qui sont ces sans-papiers concernés par la réforme ?

 

Reportage d'Olivier Mirguet dans une famille de clandestins à Los Angeles.

Arte Journal.

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La parole putanisée, par Michel Brun

Publié le 7 Avril 2013 par Michel Brun dans Politique

"La Parole putanisée". Tel est le titre d'un pamphlet publié en 2002 par Michel Waldberg, connu comme poète et romancier de l'irrévérence. Titre que je détournerais volontiers pour l'appliquer à notre ex-ministre du budget, Jérôme CAHUZAC.

 Mais crier haro sur le baudet pour conforter la vindicte populaire n'est que vaine redondance.

Ne vaudrait-il pas mieux mettre en cause les conséquences de la prostitution de la parole sur l'imaginaire des citoyens ? 

Avec la multiplication des "affaires", nous n'avons déjà que trop tendance à rejoindre la cohorte de ceux qui, désignant nos hommes politiques, répètent à l'envi : Tous des pourris ! Soit, mais il n'y a là rien de bien nouveau dans l'outrance du propos. Et l'on n'a jamais abattu un gouvernement à coup d'invectives.

 En revanche pointer l'institution du mensonge d'Etat là où devrait régner la vertu, peut servir à montrer que la République encourt deux risques majeurs : la disqualification de l'usage de la parole publique et  la perte accrue de crédibilité de ceux qui occupent le devant de la scène politique. Le mensonge d'Etat est criminel en cette période de crise où, plus que jamais, nous avons besoin d'hommes fiables pour gouverner.

La parole est l'ossature symbolique d'un être humain, et nos  institutions sont essentiellement structurées à l'aide de symboles. L'affaiblissement de la valeur de la parole des  politiciens constitue donc une menace pour notre démocratie et elle majore le désarroi du peuple. Il convient de la prendre au sérieux. Et le cas CAHUZAC n'est pas une exception. Il a valeur paradigmatique. Servira-t-il de tremplin à la restauration de la virtus romana ? L'avenir nous le dira...


 

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Utopie et pulsion de mort, par Michel Brun

Publié le 18 Mars 2013 par Michel Brun dans Politique

L'angélisme de Stéphane Hessel fait sans doute partie de ces  utopies généreuses qui permettent à l'homme de rêver un peu et de croire en l'existence d'un monde meilleur. Nous en connaissons quelques-unes qui se sont solidement implantées  au cours de l'Histoire, tel le christianisme ou le communisme. Mais la politique les a récupérées et y a retrouvé ses droits, pour le pire.  C’est-à-dire réitérer l'oppression de l'homme par l'homme, au nom de la volonté du bien. Car "cela n'est pas le mal qu'il  faut craindre" nous dit Lacan, "c'est le bien" !  Ce qui est une façon de donner tort à Descartes pour qui la seule passion concevable était la "bonne volonté". Ou encore à Kant, promoteur de l'idée d'une gouvernance mondiale qui permettrait aux hommes de vivre en paix. Or on voit ce qu'il est advenu du "machin" comme le disait De Gaulle en parlant de l'ONU.

Là où la chose politique et la psychanalyse peuvent se rejoindre c'est dans le fait qu'elles ne sont pas des humanismes, mais un mode de traitement de la division du sujet. S'adressant à des étudiants en philosophie, Lacan leur dit ceci : "la psychanalyse n'est pas un humanisme car son objet n'est pas l'homme, mais ce qui lui manque". C'est pourquoi éduquer, gouverner et psychanalyser sont des tâches impossibles car le manque qui transit leurs opérations ne saurait être nommé.

Psychanalyse et politique ont ceci de commun qu'elles sont à la recherche d'un improbable objet qu'il faut bien considérer comme perdu. Ce qui peut rendre littéralement enragé...

Pour terminer, signalons la parution à Montréal de L'instant du danger (Éditions du Passage, Montréal, 2012). Il s'agit d'un remarquable ouvrage écrit par Michel PETERSON, universitaire et psychanalyste québécois. À l’écoute pendant plus de dix ans de réfugiés politiques, d'humains déshumanisés par la torture, ou de rescapés de génocides, il nous montre à l'envi que le "plus jamais ça" n'est qu'un vœu pieux et que le règne de la pulsion de mort, cette part maudite au sein des sociétés humaines, n'est pas près de s'achever.

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Indignez-vous ?

Publié le 17 Mars 2013 par Jean Mirguet dans Politique

Stéphane Hessel est décédé le 27 février dernier. Nul ne contestera le courage de cet homme dont la vie et l’itinéraire inspirent le respect. Le lendemain de sa mort, tous les journaux (ou presque) célébraient l’exemple de bravoure qu’il était devenu, son intarissable énergie et son optimisme inépuisable ayant fait de lui un héros comme il n’en existe plus.

Cependant, on ne peut manquer de s’interroger sur les effets de son discours et de ses publications, spécialement le succès mondial de son Indignez-vous !, opuscule d’une grande faiblesse argumentative, construit sur de bonnes et louables intentions mais d’un angélisme quelque peu déconcertant.

Sans doute, le chemin de Stéphane Hessel était-il, comme l’enfer, pavé des meilleures intentions du monde, celles qu’habitent en général les belles âmes de gauche dont l’humanisme neu-neu permet d’éviter de prendre en compte la violence des rapports humains. Cet humanisme ne manque pas d’offrir un certain confort et du repos à ceux qui choisissent d’éviter d’affronter le problème du rapport de l’homme avec l’homme, question politique fondamentale.

Le philosophe et essayiste Jean-Claude Milner ramène cette question politique à la question des corps et de leur survie (voir son dialogue avec Alain Badiou, Controverse, publié au Seuil à l’automne) ; il fait commencer la politique avec la mise en suspens de la mise à mort de l’autre, c’est-à-dire parler plutôt que tuer. Cela suppose, précise-t-il, que la politique soit habitée par la division, la division inhérente à l’être parlant. C’est à cette condition que les tueries peuvent être réellement évitées. Donc, ce qui est politique n’est pas ce qui harmonise mais ce qui divise. La politique n’est pas l’oubli ou l’occultation des problèmes, ce n’est pas Labiche et son Embrassons-nous, Folleville !

Si on ramène la politique à sa nature essentiellement divisible, elle est antihumaniste. A trop parler d’humain et d’humanisme lorsqu’on se flatte de parler politique, n’en vient-on pas à dire réellement : « Fermez votre gueule sur la politique, dégagez il n’y a rien à voir » ... Sans qu’il l’ait voulu, n’est-ce pas un désengagement que risque de produire,  paradoxalement, le discours de Stéphane Hessel ?

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Un monde sans père ni mère

Publié le 7 Décembre 2012 par Jean Mirguet dans Politique

Les psychanalystes Monette Vacquin et Jean-Pierre Winter ont publié, ce mercredi dans Le Monde, un article intitulé : « Non à un monde sans sexes ! L’enfant a droit à père et mère ». Il s’agit des conséquences, très préoccupantes à leurs yeux, de la suppression dans le Code Civil des mots de père et de mère, tel que le prévoit le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Le projet de loi est fondé sur une recherche de l’effectivité du principe d’égalité.

Le remplacement des mots « père » et « mère » par celui de « parents » (sauf dans les actes d’état civil et le livret de famille dès lors qu’il s’agira de couples de personnes de sexe différent) comme celui du remplacement des mots « mari et femme » par le mot « époux »  n’est pas une simple affaire de vocabulaire et l’on n’a sans doute pas fini de mesurer les répercussions sociales et psychologiques d’une telle opération.

Dans leur tribune, Monette Vacquin et Jean-Pierre Winter s’interrogent sur les conséquences de la suppression de signifiants de la filiation. Pour eux, les signifiants père et mère se réfèrent à la transmission de la vie, condensent la différence des sexes et celle des générations, codifient notre identité.  En les supprimant, on attente au langage qui est l’atmosphère dans laquelle naît, se forme et se développe le sujet qui est effet de langage.

Supprimer de la langue des termes constitutifs de la subjectivité n’équivaut-il pas à commettre une destruction symbolique ? Pour JP Winter et M. Vacquin, l’institution du mariage est l’une de celles qui, dans notre culture, structurent notre vivre ensemble. Aussi, ce n’est pas sans risque que les gouvernants actuels s’apprêtent à « faire la loi au langage », prétendant ainsi avoir le pouvoir de franchir certaines limites anthropologiques et abolir les symboles qui les incarnent. Il se pourrait bien que cela nous revienne en pleine figure puisque, comme psychanalystes, nous pouvons témoigner de ce mécanisme psychique par lequel ce qui du symbolique est forclos fait retour dans le réel.

Il n’est pas vain de se demander quel monde cela augure si le bricolage des mots (dont une des fonctions essentielles est de signifier la différence) aboutit à réduire toujours plus les différences ? Est-ce un monde « indifférent, neutre, neutralisé » dans lequel les destructions symboliques engendreront la haine ?

On se souvient du Tueur de mots, l’opéra d’Ambrosini, représenté à l’Opéra national de Lorraine à Nancy en juin. Il met en scène un homme qui a pour profession de tuer les mots, tout en étant incapable de le faire car il sait trop bien que l’être humain est pétri de sa langue, de son chant et qu’en supprimant les mots qui ne servent soi-disant plus à rien, ce sont les hommes mêmes que l’on vise. Pour sa femme au contraire, il s’agit de faire advenir un monde efficace où l’on pense droit grâce à des mots fiables qui peuvent rendre compte d'un univers positif et surtout univoque, celui du pouvoir et de la maîtrise. La tâche du Tueur de mots  se révèlera inutilisable et l’on célébrera la naissance de la langue définitive, dans un monde monocorde et standardisé.

 

Pour nos deux collègues qui, à contre-courant d’un certain nombre de bien-pensants dits progressistes, dénoncent le terrorisme intellectuel du lobby LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), cet événement est une nouvelle preuve du recours de plus en plus fréquent à un langage qui fait la ruine de la pensée et impose son carcan intellectuel: le politiquement correct, qui évite de faire sentir à quiconque sa différence comme une infériorité ou un motif d'exclusion. Le politiquement correct remplit une fonction voisine de celle du totalitarisme de la novlangue  : uniformisation de la pensée dont les limites sont restreintes, neutralisation des différences, calibrage standardisé du discours, langage utilitaire caractéristique des sociétés de contrôle.

En confisquant les termes de « père » et de « mère », nos dirigeants ne participent-ils pas, et nous avec eux, à la promotion bigote et conformiste du langage contemporain de l’égalitarisme idéologique, rejeton de la démocratie, où la différence est perçue comme une inégalité et l’inégalité comme une injustice, ce qui aboutit, en voulant supprimer l’injustice, à nier la différence ?

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Délicieux duel

Publié le 5 Décembre 2012 par Jean Mirguet dans Politique

La relation entre Copé et Fillon, tout du moins le duel que les médias relaient, évoque irrésistiblement la matrice que Lacan nous a appris à reconnaître dans la relation à l’autre, mon semblable.

Notre image du corps se construit, pour l’essentiel, à partir de l’image du corps que nous percevons de nous-mêmes dans le miroir : l’autre dans le miroir ou l’image de moi dans le miroir, c’est moi et ça n’est pas moi (je lève le bras droit et c’est la bras gauche qui, dans le miroir, se dresse). Cette relation est dite imaginaire, non parce qu’elle est le fruit de mon imagination mais parce qu’elle a trait à l’image. Elle est ce à partir de quoi le Moi va se constituer comme une totalité.

Je me perçois, je me ressens comme une unité grâce à la médiation de l’image au miroir. Or, cette relation spéculaire est une aliénation, à l’origine d’un « ou bien toi mon semblable ou bien moi », donc à l’origine de l’agressivité propre à la relation narcissique.

 

Dans la concurrence mortifère qui les anime, Copé et Fillon sont entièrement pris dans une telle relation imaginaire, dont on connaît le caractère foncièrement paranoïaque, avec, dans ses formes les plus aiguës, une combinaison de mégalomanie, de grandeur et de persécution.

Les tentatives  de médiation et d’apaisement visant à les rabibocher ont échoué les unes après les autres, faute d’une relation symbolique pacifiante qui en passerait par des échanges de parole. A présent, c'est la lutte à mort qui les anime et les domine. 

 

Pourquoi cette multiplication et cette répétition des ratages ? Dans cet affrontement épuisant, la surenchère commande. Tout  semble opposer ces frères ennemis enchaînés par un lien étonnant qu’aucun tiers ne parvient à couper. Copé et Fillon sont devenus frères inséparables et belligérants insatiables, inassouvissables. A chacun sa volupté, à chacun sa jouissance ! Que le spectacle continue ; encore, encore ! demande le public.

 

Demandons-nous ce qui exige toujours plus de jouissance. Réponse : le Surmoi.

Car le Surmoi est un moraliste sadique qui en demande toujours plus. Il n’aime rien tant que nous bombarder d’exigences impossibles à respecter et ensuite jubiler de notre impossibilité à pouvoir y répondre.

On laisse souvent croire que le Surmoi sert d'appui à la conscience morale ... fadaises ! S'il fraye avec elle, c'est plutôt comme pousse-au-crime. Il est, affirme Lacan, loi insensée qui va jusqu’à être la méconnaissance de la Loi.

 

La crise actuelle à l’UMP témoigne de la difficulté de ce parti à se remettre de la défaite de son chef et à analyser les raisons de cet échec. On fait comme s’il n’y avait pas eu de revers. Il n’y a pas eu, à droite, de bilan critique du quinquennat sarkozyste.

Il est touchant voire pathétique d’entendre les adhérents de l’UMP, leaders et militants de base confondus, exiger un retour au respect des valeurs de la droite : respect de la hiérarchie dans laquelle chacun est censé rester à la place qui est la sienne, culture du chef charismatique, autorité de celui-ci sur le mode du chef à l’autorité naturelle.

S’ajoutent à cette situation les conséquences désastreuses du choix de l’élection démocratique du chef du parti. Il était jusqu’alors nommé ou plébiscité grâce à son charisme ; aujourd’hui, puisque l'époque l'exige, il est élu. Le choix du principe majoritaire a manifestement fragilisé les rapports hiérarchiques organisant traditionnellement le pouvoir au sein de cette famille politique. La pratique démocratique se révèle être un cauchemar pour les croyants à un ordre social hiérarchique, dont le chef autoritaire se doit d’être le garant naturel.

Depuis les élections présidentielles du Printemps, une question vitale se pose à l’UMP : comment maintenir vives les valeurs conservatrices de la droite, raisons de son existence ? Dans l’idéal, en n’oubliant pas les qualités que devrait posséder un chef légitime : la vertu, la prévalence donnée à l’intérêt commun sur l’intérêt personnel, le respect de la loi.

Pourtant, avec les tricheries, manipulations, intox, coups de force, proclamation anticipée de victoire, de ces quinze derniers jours, l’idéal se révèle singulièrement écorné. Les condamnations morales de ces agissements fusent chaque jour, sans que rien ne change. Le recours à la morale politique n’est pas, dans ce contexte, d’un grand secours. Au contraire, plus la morale s’en mêle, plus les censeurs interviennent (voir la tentative de médiation de Juppé ou l’ultimatum de Sarkozy), pire est la crise !

 

On se dit alors que ces abus, ces comportements de brigands doivent bien avoir une fonction. On se dit que ces pratiques d’arrière-cuisine étalées à ciel ouvert sont peut-être nécessaires pour, somme toute, sauver la face et tenter de rétablir l’harmonie au sein du parti.

Ne serait-ce pas ainsi que s’avouerait – à son insu - le cynisme du Surmoi de l’UMP : plus s’étalent les réprobations et les jugements sans indulgence à l’endroit des chefs (c’est-à-dire plus s’affirme la sévérité de la censure), plus ceux-ci renient les valeurs en faveur desquelles ils militent officiellement.

Loin de menacer leur parti, le fonctionnement transgressif ambigü des deux leaders ne constituerait-t-il pas, au contraire, le meilleur soutien, cyniquement pervers et inavoué, à leur domination ?

 

 

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Croyances politiques

Publié le 28 Novembre 2012 par Jean Mirguet dans Politique

UMPL’UMP, ses chefs et ses militants sont des croyants : ils croient à l’unité de la droite républicaine.

Niels Bohr, le physicien danois connu pour être un des fondateurs de la physique quantique, fut un jour visité par un ami. Celui-ci hésitait à franchir la porte de la maison sur laquelle était cloué un fer à cheval, superstition selon laquelle cela porte chance. L'ami dit à Bohr : "Tu es un scientifique de premier rang, comment peux-tu croire à ces superstitions populaires?". "Je n'y crois pas !", répondit Niels Bohr,  "mais quelqu'un m'a dit que ça fonctionne, même si on n'y croit pas !". Autrement dit, il suffit d’être partie prenante de liens collectifs, d’être fidèle à des rituels ou des conventions pour rejoindre la cohorte des croyants. On n’y croit pas vraiment, mais on fait semblant de croire que ça fonctionne puisque cela fait partie de l’ordre symbolique existant.

Tel semble être le statut de la croyance de ceux qui se rassemblent sous la bannière UMP : ils n’ont plus vraiment besoin de croire aux vertus du combat politique, il leur suffit d’agir comme s’ils y croyaient. Ainsi, ils n’auront plus besoin de croire eux-mêmes ! Il va sans dire que ce fonctionnement n’est pas l’apanage de la seule UMP qui a au moins le « mérite » de l’étaler, à ciel ouvert, sur la place publique.

En somme, comme l’avance le philosophe Slavoj Zizek, tirant les conséquences du conseil donné par Blaise Pascal aux non-croyants qui aimeraient croire, quelqu’un qui se met à genoux et prie n’a plus besoin de croire lui-même puisque sa croyance a été objectivée dans l’acte de prier. Il prie donc, moins pour renforcer sa foi que pour s’en débarrasser.

Si mes croyances se déploient dans un rituel, par exemple dans une élection prétendument démocratique, auquel j’obéis machinalement, l’acte que j’accomplis concerne des sentiments, des représentations, des croyances déconnectés de leur fond de vérité. Quand J.F. Copé propose à F. Fillon la vice-présidence de l’UMP, il est clair qu’il fait comme s’il y croyait. Il n’est pas hypocrite, il pense que, vraiment, sa proposition est honnête. Ce que Copé exprime à travers le masque du faux démocrate et qu’il feint de ressentir n’est pas quelque chose de faux : même s’il ne la ressent pas comme vraie, sa proposition n’en est pas moins authentique en un certain sens. Sa vérité s’exprime davantage sous le masque d’un personnage de fiction qu’avec son « vrai moi ».

C’est en quoi, comme l’avance Lacan, « la vérité a une structure de fiction ». Ce qu’il y a de faux dans le feuilleton de l’UMP, c’est que la démocratie qui s’y déploie est aussi réelle qu’une bière sans alcool. Comme dans un roman, « les personnages de cette histoire sont fictifs : toute ressemblance avec des personnages réels serait purement accidentelle ».

La fiction symbolique est trompeuse, mais ne manque pas d’efficacité : Copé prêchant la vertu démocratique est un hypocrite, pourtant si les militants - y compris ceux soutenant Fillon - lui prêtent l’autorité du Parti, ils ne manqueront pas de le soutenir dans sa candidature à l’élection à la Présidence de la République.

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Acte manqué ... très réussi !, par Michel Brun

Publié le 27 Novembre 2012 par Jean Mirguet dans Politique

Qu’est-ce qui préside à la hiérarchisation des informations données en pâture au public par les médias ? L’importance des sujets traités, la chronologie des événements liés à l’actualité ? Ne serait-ce pas plutôt l’impératif de jouissance scopique du sujet et sa marchandisation par la société du spectacle ? Ainsi le donner à voir devient la priorité des priorités ? Panem et circenses...

Mais il arrive parfois que quelque chose se détraque dans ce système pourtant bien rodé et que le réel fasse brutalement intrusion là où on ne l’attendait pas.

 

Journal télévisé du soir à France 2, le 25 novembre 2012 : à  la une de l’info, la guerre des chefs, Fillon et Copé se déchirent, l’UMP ne s’en relèvera pas, etc... Plus tard,  au milieu d’un poignant reportage sur les Restos du cœur apparaissent en surimpression les portraits accolés de Copé et Fillon ! Quelques minutes plus tard, en la personne de la journaliste Marie Drucker, la chaîne s’excuse du surgissement inopiné de cette image, qualifiée de “subliminale”. 

 

Etait-ce délibéré ou accidentel ? Nous ne le saurons sans doute jamais. En revanche ce qui a pu apparaître comme un lapsus de lieu, voire un acte manqué de la part de la chaîne, est en fait un acte réussi. Réussi, car cette relance de la guerre des chefs par portraits interposés, au cœur de l’exposé d’un grave problème de société, donne à penser.

 

Outre l’effet comique, le public aura eu tout loisir, grâce à ce bug, de mesurer l’écart séparant le dérisoire de l’essentiel.

 

Notons que ladite chaîne, lors de son 13h du 26 novembre, développe à nouveau les mêmes sujets… mais en inversant cette fois l’ordre de leur présentation. Est-ce  un hasard ?

 

 

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Discours politique, discours totalitaire. "Moi, la Vérité, je parle", par Michel Brun

Publié le 15 Novembre 2012 par Michel Brun dans Politique

L’intelligence et la déraison sont parfaitement compatibles. Nous connaissons tous le mythe du savant fou qui se décline selon une galerie de personnages allant du professeur Tournesol jusqu’au docteur Frankenstein. Osons un parallèle en matière politique : si nos “géniaux” gouvernants, toutes tendances confondues, n’étaient que de doux dingues, cela ne serait qu’un moindre mal. Malheureusement, leur acharnement à vouloir soutenir contre vents et marées un discours de conviction systématiquement partisan les rend fous voire dangereux. Folie qui dissimule à peine l’une des pires formes de la jouissance, celle de la haine à l’égard d’un adversaire pris pour  ennemi.

 

Je crois me souvenir que c’est à Jean Clavreul que nous devons l’invention de ce pertinent néologisme: “l’orthonoïa”. Selon Clavreul, la plupart de nos leaders politiques seraient des “orthonoïaques”, c’est-à-dire des sujets pris dans une modalité du discours paranoïaque leur laissant croire que, quoi qu’il advienne, ils auront toujours raison. Ce qui se vérifie chaque jour.

 “Moi, la Vérité, je parle”, écrivait Lacan, laissant entendre par là que la question de la vérité était essentiellement une affaire de discours. L’orthonoïaque, quant à lui, prend ce type d’énoncé à la lettre, ce qui est une manière de folie. Et se dressant sur ses ergots, il prétend détenir “La” Vérité avec un grand V, sinon l’incarner. C’est ainsi que se construit la logique du pire, allant de l’abus de pouvoir jusqu’au Goulag.

Mutatis mutandis, on peut en dire autant de l’instance de la loi, même au niveau le plus humble, par exemple lorsqu’un individu se met en posture de vouloir l’incarner au lieu de la représenter. Chacun a probablement en mémoire cette séquence télévisée, diffusée sur une chaîne nationale à une heure de grande écoute, et filmée à l‘insu de ses protagonistes : arrêtée nuitamment à l’occasion d’un contrôle d’identité, et extraite sans ménagement de sa voiture, une femme d’origine maghrébine hurlait de terreur. “Ta gueule, la loi c’est moi ! ”, lui répliqua le policier qui la brutalisait. Folie, à l’état brut (e) !

 

Revenons par ce biais au caractère le plus souvent autocentré, auto-référant et monolithique du discours politique courant pour constater, si l’on s’en tient au clivage droite - gauche, qu’il n’y a pas actuellement en France de réel débat politique. Il n’y a que de l’invective, du dialogue de sourds et de l’affrontement stérile entre orthonoïaques de tendances opposées.

Les exemples sont multiples. J’en prendrai un, celui du “débat” télévisé entre Jean-Marc Ayrault et Nathalie Kosciusko-Morizet, représentant respectivement la gauche et la droite, lors de l’émission télévisée “Des paroles et des actes” sur France 2, le 27 septembre 2012.

On y voit et on y entend NKM stigmatiser et disqualifier avec violence, sans la moindre précaution oratoire, sans nuance, son adversaire politique et le parti qu’il représente. Aucune concession, pas la moindre relativisation. Selon elle, seule la droite détient la vérité, est en mesure de mener une politique cohérente pour redresser la France et contrer les effets de la crise économique. Autrement dit : “tu as tout faux, j’ai tout bon !”.

Que démontre l’absolutisme de son discours ? D’abord la confusion des genres : un adversaire, au sens sportif du terme, est quelqu’un que l’on respecte, même si on le combat. Un ennemi, en revanche, est un être malfaisant qui doit être anéanti. NKM traite JMA en ennemi et non en adversaire, car il s’agit de l’éliminer idéologiquement. On est très loin de l’idéal démocratique qui prend appui sur la reconnaissance de l’altérité de l’autre même si l’on n’est pas d’accord avec lui. Ce n’est pas là le jeu normal de la politique car, en démocratie, la politique ne doit pas être assimilée à la guerre, faute de quoi ce sont les citoyens les plus vulnérables qui en feront les frais.

Ne strictement rien concéder au parti opposé, c’est faire fi de l’impossibilité logique à dire “toute” la vérité. Le discours totalitaire est un discours fou puisque se refermant sur lui-même, dans un déni aggravé de l’altérité.

Il semble que NKM n’ait pas disposé ce soir-là du “SMIC philosophique” convenant à quelqu’un de son niveau. Cela l’aurait probablement aidée à articuler une juste distinction entre croyance et savoir, c’est-à-dire à ne pas prendre ses propos pour vérité... d’Evangile de la droite.

 

L’intelligence, lorsque tout va mal, peut passer par l’union des bonnes volontés, soit le renoncement consenti à une part de son narcissisme, et ce, au profit de l’autre en tant qu’autre. C’est ainsi que l’on peut se mettre à son écoute et retenir  ce qu’il a d’éventuellement constructif à proposer. Mais cela ne semble pas pouvoir s’accorder avec la logique du parti à la française.

En ces temps difficiles où, pour bien des Français, il s’agit plus de survivre que de vivre, un gouvernement d’union nationale aurait-il pu apaiser les esprits ? Devant la mondialisation des problèmes économiques et sociaux et face à la crise, y a t-il vraiment une politique de parti, de gauche ou de droite, qui soit sans équivoque meilleure qu’une autre ? Cela reste à prouver et l’on peut légitimement s’interroger sur la nature de l’ambition politique des représentants du Peuple lorsqu’ils s’acharnent aveuglément à se détruire les uns les autres quand il y aurait tant à faire ensemble.

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