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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

philosophie

Delphine Horvilleur ou les mots au-delà des mots.

Publié le 4 Mars 2021 par Michel Brun dans Philosophie

Delphine Horvilleur, la troisième femme rabbin de l’hexagone, nous a parlé le 3 mars sur France Culture du rapport à la mort. Mais n’était-ce pas en réalité un prétexte pour célébrer le vivant ? Ce qu’elle a fait de manière éblouissante. Et cela m’a donné l’envie d’extraire quelques perles de son discours.

Par exemple, la laïcité ne consiste pas à opposer deux mondes : celui de  ceux qui sont croyants à celui de ceux qui ne le sont pas, mais à faire de la place à l’autre. Pour que soient possibles le partage et le vivre ensemble.

On peut ailleurs entendre à demi-mot dans les propos de Delphine Horvilleur que la barbarie s’accompagne nécessairement d’une confusion entre le sacré et le profane. Car en fait « ne pas pouvoir rire de Dieu, c’est le profaner ».

Autre audace de la pensée chez Delphine Horvilleur, sous la forme d’un rapprochement entre la tradition rabbinique et la psychanalyse dans la place qui est faite à l’interprétation : porter un texte au second degré, c’est-à-dire lui donner un nouveau sens,  permet de raccourcir la distance entre la bouche et l’oreille. Comment ne pas y déceler une forme insue de l’amour, celle qui, en  nous restituant notre impensé, nous donne accès à notre propre altérité. Car là où il y a de l’altérité il y a de l’amour. Belle occasion  de rendre ici hommage à Levinas pour qui l’infini est impossible à totaliser. Infini dont la trace se révèle dans le visage de l’autre.

Bref, Delphine Horvilleur illustre au mieux ce qu’est une parole ouverte. Et c’est un vrai bonheur, car elle nous montre qu’il est toujours possible de combiner les ressorts de l’intelligence aux ressources du cœur. 

 

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DU TROP PLEIN À LA PLÉNITUDE DU VIDE, par Michel Brun.

Publié le 4 Mai 2020 par Jean Mirguet dans Philosophie

Michel Brun est psychanalyste et philosophe. Il exerce à Epinal, pratique et enseigne également le yoga. 

Il s’intéresse depuis plus de trente ans aux différents aspects de la pensée orientale auxquels il a consacré divers articles. Il a publié Dieu, encore ? Jalons pour une théologie négative contemporaine, Collection Voix psychanalytiques, Montréal, Liber, 2012.

Dans son article, il articule le négatif du manque à être et la positivité du vide et met en perspective l’actualité brûlante du Covid et Démocrite, ce philosophe grec du IIIè siècle av. J-C qui affirmait : « Le quelque chose n’est pas plus que le rien »

 

La pandémie qui nous touche se mesure d’abord à ses effets en termes de santé publique. Elle exerce aussi des ravages sur l’équilibre de l’échiquier politique, sur l’économie, le travail et l’emploi. Mais il ne faudrait pas sous-estimer son impact psychologique, abstraction faite des polémiques que la virulence du Covid19 a pu susciter ici ou là.

Etant décentrés de nos modes de vie territoriaux, familiaux, amicaux, amoureux et socio-professionnels, nous voici psychologiquement déstabilisés. Déconfinés de nos automatismes et habitudes mentales par le confinement. Voire confrontés à une sorte de vertige existentiel, rançon d’une brutale perte de repères…

Assigné à résidence, notre corps, sous contrainte, n’est plus tout à fait cette demeure sécurisante, ce camp de base à partir duquel nous créons notre vision du monde et de la réalité quotidienne. 

Pour certains sujets, les plus créatifs, surgit alors une occasion de défier l’adversité de mille et une manières, mais pour d’autres, ceux qui ne supportent pas le bouleversement de leur « Umwelt », se déclenche une apocalypse intime. Et chacun tente de négocier comme il le peut avec sa propre fragilité…

En ce temps de pandémie se dessine l’envers du décor qui nous est familier. Que sont devenus l’Etat Providence, la société du spectacle, la promesse des jouissances à venir, l’offre continue d’objets publicitaires appelés à combler l’infantile d’une demande insatiable ? 

La mort est là, réelle ; elle rôde, elle nous guette. Sa proximité subvertit notre habitus, mettant à mal cet incoercible besoin d’une  sécurité permanente, que nous pourrions « freudiennement » désigner comme envers d’un fantasme anxiogène d’invulnérabilité, voire d’immortalité. 

En quoi est-ce révélateur de nos sociétés occidentales ? Ne  fonctionneraient-elles pas dans une logique du trop plein, dans le déni qu’il puisse y avoir de l’aléatoire, du vide ou du manque quelque part, et ce à tous niveaux ? Que penser notamment de l’inflation asymptotique des textes législatifs et règlementaires ? Comment comprendre la référence constante au principe de précaution, devenu grotesque par sa démesure même ? N’est-elle point le symptôme d’une névrose collective ?

Le paradoxe, souligné par Lacan, c’est que nous sommes névrosés, non pas parce que nous manquons de quelque chose, mais bien plutôt parce que nous manquons de manque. Osons une ellipse pour faire l’hypothèse que cette frilosité vis à vis du risque inhérent au fait de vivre peut générer une morale d’esclave à grande échelle : au nom d’un excessif besoin de sécurité nous courons tout droit vers la servitude volontaire, celle qu’attendent de nous les Etats fascisants, pourtant réputés démocratiques. Et il convient de ne pas se leurrer : derrière chaque texte de loi se cache un dispositif policier…

Imaginons maintenant une sorte  d’univers totalement plein, sans vide. Cela serait l’étouffement, l’angoisse, en raison d’une insupportable proximité avec les objets. À titre d’exemple nous savons bien qu’un enfant phobique ne l’est qu’à l’aune de l’envahissement maternel. Ou encore que la jeune fille anorexique n’a que son refus de nourriture pour en jouer comme d’un désir au singulier, exigeant par là même que sa mère ait enfin un désir en dehors d’elle.

Ainsi, la problématique, mieux, la dialectique du plein et du vide est au cœur de nos existences, dans une combinatoire d’incidences philosophiques et psychologiques.

Avec la physique d’Aristote s’inaugure en Occident quelque chose comme une culture du plein : au livre IV de la « Physique » Aristote nie l’existence du vide et affirme son incompatibilité avec le mouvement. Et de la physique on passe à cet énoncé quasi métaphysique : « la Nature a horreur du vide ». Au point que « l’horror vacui »  débouche par la suite sur une confusion entre vide et néant.  

Cette prééminence du substantiel pour définir l’Etre se retrouvera des siècles plus tard chez Spinoza avec sa conception du  « Deus sive Natura » : « Dieu, ou la Nature » et de manière moins littérale, Dieu, c’est la Nature.

Mais à se vouloir le thuriféraire du plein, et dans la mesure où Dieu est mort, on en arrive à une éthique contemporaine selon laquelle le Souverain Bien, soit  le bonheur, c’est d’être comblé… de préférence grâce à des objets. Les publicitaires le savent bien car leur stratégie passe par le maniement d’un ressort puissant, la frustration.

En fait le trop-plein est mortifère. On en crève comme l’a bien illustré le film de Marco Ferreri,  « La grande bouffe ». Quatre amis se réunissent pour un « séminaire gastronomique » qui est en fait le moyen choisi par eux pour mettre en acte leur suicide collectif. 

Quasi contemporain d’Aristote, Démocrite quant à lui accorde une place éminente au vide.  Pour les philosophes de l’école d’Abdère, à laquelle il appartient, l’opposition entre le plein et le vide est en même temps une opposition entre l’être et le non-être. Démocrite affirme l’existence du vide, d’où il résulte que le non-être existe. La thèse de Démocrite débouche alors sur cette formule pour le moins surprenante : « Le quelque chose n’est pas plus que le rien ».

En somme, cette formule positive le vide, conférant à celui-ci une dignité, une réalité équivalente à celle de l’être. Ce qui permet donc d’attribuer une fonction causale au vide dont on trouvera aussi la mise en valeur dans les philosophies traditionnelles de l’Extrême-Orient et la physique contemporaine. 

Le Taoïsme, le Védanta, le Shivaîsme du Cachemire, le Bouddhisme n’ont cessé à leur manière de célébrer la souveraineté du vide, comme lieu de l’Ouvert et de l’Originaire, comme alpha et oméga de tout phénomène. La vacuité est notre visage originel, celui qui a précédé la naissance de nos parents. Tel est l’enseignement du plus célèbre des Koans Zen.

Et le rien, habituellement supposé être le lieu de l’angoisse, est en fait le lieu de la plénitude. L’Absolu est l’ami des interstices. « Le trou, l’espace libre, dit tout simplement le Bhagavata-Purana, est la marque caractéristique de l’Atman «  kham lingam âtmanah » (III,5,31) .

Comment articuler le négatif du manque à être et la positivité du vide ? La Chine l’a bien compris avec sa dialectique tourbillonnante du yin et du yang. Et au bout du compte peut-être avons-nous besoin du vide comme lieu des transformations silencieuses, comme antidote à ce que peut avoir de bruyant le trop-plein. Promotion aussi des bonheurs minuscules et invisibles.

Et si l’acceptation du manque à être, en tant qu’elle révèle notre finitude, était après tout notre gloire, la seule qui nous permette de cueillir la saveur de l’instant et son parfum d’éphémère ?

Je laisserai Henri Michaux conclure :

            CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l'esclaffement, le sens que contre toute lumière je m'étais fait de mon importance.

             Je plongerai.

Sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous

ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée

à force d'être nul

et ras...

et risible...

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« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », René Char

Publié le 2 Février 2019 par Jean Mirguet dans Philosophie

A l’occasion d’une discussion avec Roger Errera, en octobre 1973, diffusée par l’ORTF et reproduite dans Edifier un monde. Interventions. 1971-1975(Seuil, 2007), Annah Arendt déclarait : « L’un des grands avantages de notre temps, c’est ce qu’a dit René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (Les Feuillets d’Hynos, écrits entre 1943 et 1944). Cela veut dire que nous sommes entièrement libres d’utiliser où que nous le voulions les expériences et les pensées du passé (…). Cette liberté (…) ne repose que sur la conviction que chaque être humain en tant qu’être pensant peut réfléchir aussi bien que moi et peut former son propre jugement s’il le veut. Ce qu’on ne sait pas, c’est comment faire naître ce désir en lui. Réfléchir, cela signifie de toujours penser de manière critique, cela signifie que chaque pensée sape ce qu’il y a en fait de règles rigides et de convictions générales ».

Cette question venait déjà sous la plume de Freud, quand, reprenant une réplique du Faust de Goethe, il disait : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder ».

Cette acquisition invite à s’affranchir de la répétition et à faire de l’acte de penser, un acte de désobéissance, comme le suggère Frédéric Gros dans son récent Désobéïr (Albin Michel, 2017) : « La sagesse, c’est de penser en acte, à la verticale de la question, non pas en agitant les cendres des savoirs appris, des dogmes répétés, des certitudes acquises (…). Penser, c’est se désobéir, désobéir à ses certitudes, son confort, ses habitudes. Et si on se désobéit, c’est pour ne pas être les traîtres de nous-mêmes ».

Beau programme d’émancipation en ces jours où la jaunisse dont sont atteints certains de nos concitoyens provoque une capitulation de leur pensée.

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France Gall, une stoïcienne

Publié le 12 Janvier 2018 par Jean Mirguet dans Philosophie

         

En hommage à France Gall, décédée il y a quelques jours, France 3 diffusait, en début de semaine, un document de 2001, France Gall par France Gall .

            La chanteuse y retrace sa vie, émaillée de ce qui furent des blessures indélébiles   (les morts de son mari Michel Berger et de sa fille Pauline, particulièrement) mais dont elle a su, manifestement, tirer une force : de la même façon qu’on dit qu’une plante « reprend », elle témoigne dans ce document de la façon dont elle a développé de nouvelles racines et dont sa vie a repris vigueur. D’autres parleraient de résilience.

            Elle a repris sa vie – à entendre littéralement - au sens où François Jullien écrit, dans Une seconde vie, que grâce au recul acquis, à tout ce qui est traversé, « une interrogation renaît, un intérêt reprend, et même plus fort que précédemment parce que je sais mieux ce que j’en attends ».

 

            Cette femme – qui est loin d’être la poupée nunuche qu’on pourrait être tenté de voir - a su opérer un travail de décantation, celui qui lui a permis de mettre à distance, de se déprendre des événements traumatiques qui ont émaillé sa vie : blessure dans l’après-coup de l’interprétation de Sucettes à l’anis, meurtrissures amoureuses, mort de son mari, de sa fille…

 

             Dans ce document, une femme lucide parle.

            Lucide au sens où, par exemple, François Jullien écrit que la lucidité est issue d’un devenir : « On devient lucide par expérience » c’est-à-dire au contact des choses. La lucidité « s’atteint processuellement et par dégagement : de la lumière vient d’elle-même, par immanence, à partir de tout ce qu’on a vécu et traversé (…) La lucidité naît d’un dépouillement laissant émerger ce qui n’est plus enjolivé – ni enrobé ni embué ni englué » : elle constitue un savoir y faire avec un « réel à nu, déshabillé ». Aussi, une vérité se découvre-t-elle de ce qui la masque dans le discours.

          Le document démarre sur les chapeaux de roue quand France Gall déclare tout de go que très peu de gens n’ont pas peur, « moi, je n’ai aucune peur … de rien », affirme-t-elle. A l’entendre aussi déterminée, on ne doute pas un instant de la vérité profonde de son propos.

            « J’y vais, envers et contre tout », continue-t-elle. Cela a été sa manière, par exemple, d’aborder Poupée de cire poupée de son à la télévision. Elle n’avait manifestement rien à perdre, en sachant rester une énigme pour un Serge Gainsbourg qu’elle admirait et qui, perversement perspicace avait su percevoir qui se cachait derrière cet angélisme de façade, cette apparente candeur.

Il lui fera chanter :

Mes disques sont un miroir 
Dans lequel chacun peut me voir 
Je suis partout à la fois 
Brisée en mille éclats de voix

Il lui interprétera :

Toi, tu n'es qu'un bébé

Rien qu'un bébé loup

Tu as des dents de lait

Pas des dents de loup

A quoi elle répliquera :

Oui je suis un bébé

Rien qu'un bébé loup

Oui, j'ai des dents de lait

Des dents de lait de loup

 

            Elle avoue avoir été une petite fille exerçant un métier d’adulte … fausse ingénuité ou fraîcheur de l’innocence (… pour ceux qui croient encore à l’innocence des enfants) ?

            Avec Les sucettes à l’anis dont elle dit que cette chanson l’a incroyablement blessée, elle s’est trouvée confrontée, dans l’après-coup, au traumatisme de la sexualité : « ça a changé mes rapports avec les garçons. Je les voyais tous lubriques. Je ne suis pas sortie pendant des mois après ce disque. J’avais 18 ans. Je n’ai pas ajouté ce poids à Serge Gainsbourg en lui parlant de ma blessure. A partir du moment où c’était fait, il l’avait fait, le mal était fait. J’ai fait comme si de rien n’était (…) C’était ce qu’il imaginait de moi, ce que j’étais, ce que je projetais qui était intéressant et qu’il avait envie de dire et c’est en cela qu’il était Gainsbourg ».

            « Lucidité, un niveau auquel a accédé la conscience », écrit encore François Jullien ; lucidité qui dit « la sortie d’une indistinction par laquelle on se laissait abuser », qui vous met face à une réalité dépouillée de ses illusions.

            « Résultant d’une expérience décantée », la lucidité décape

 

            A la mort de sa fille âgée de 19 ans,  elle s’est sentie investie d’une force. Il fallait assurer et elle a eu le sentiment qu’on lui donnait cette force. Ce qui lui importait était de savoir comment faire pour que ses enfants trouvent à nouveau la vie belle.

            Elle ne craint pas d’articuler des paroles que plus d’un pourraient juger scandaleuses : « C’est tellement extraordinaire de vivre un truc pareil, je voulais vraiment le vivre en face. J’ai tout de suite voulu être la maman qui réussit le plus au monde à survivre et à intégrer cette idée d’avoir perdu un enfant. Parce que sinon on est foutu si on est dans le regret. Ma façon de penser a été de me dire que ça avait été extraordinaire de l’avoir connue pendant 19 ans. On me l’a reprise mais j’ai pensé : quelle chance j’ai eu de la rencontrer. Ce sont des idées très fortes qui m’ont aidées. C’est pas le bonheur qui nous fait évoluer, c’est ces choses qu’on nous donne, incroyables à surmonter et je crois que je les ai surmontées ».        

Elle ajoutera discrètement qu’elle a lu Les Consolations de Sénèque.

            François Jullien, à propos de ce que la maladie nous apprend ou plutôt de ce dont elle nous déprend, écrit que « naît bien un soupçon “dangereux “ à l’égard de tout ce que à quoi jusqu’à présent ingénument on se fiait ; mais ce soupçon lui-même est fécond à hauteur du risque affronté ».

            … Et, découvrant à quel point elle aimait chanter, c’est ainsi qu’elle s’est soignée.

 

           

Puisque Sénèque, et donc le stoïcisme, sont sa référence, concluons par ces lignes écrites, dans La vie heureuse, par ce grand philosophe de l’Empire romain.

            « Vois-tu ces hommes qui vantent l’éloquence, qui suivent la richesse, qui flattent le crédit, qui exaltent la puissance ? Tous ou sont des ennemis, ou ce qui revient au même peuvent être des ennemis. Le peuple des envieux est aussi nombreux qu’est nombreux celui des admirateurs (…)

            Personne en effet ne peut être dit heureux qui est chassé de la vérité. Donc la vie heureuse est celle dont un jugement droit et sûr fait la base immuable. Alors, en effet, l’esprit est purifié et libéré de tout mal, puisqu’il évite non seulement les  déchirures, mais encore les égratignures en demeurant toujours là où il est établi et en retrouvant son équilibre même si la Fortune le harcèle de sa fureur (…).

          La vertu suffirait-elle pour vivre heureux ? Parfaite et divine qu’elle est, pourquoi n’y suffirait-elle pas ? Elle a même plus qu’il ne faut. Que peut-il manquer, en effet, à un être placé en dehors de toute convoitise ? Qu’a-t-elle affaire de l’extérieur, l’âme qui rassemble tout en elle ? Quant à l’homme qui chemine vers la vertu, quels que soient déjà ses progrès, il a besoin de quelque indulgence de la fortune, lui qui lutte encore dans l’embarras des choses humaines, tant qu’il n’a pas délié ce nœud et rompu tout lien mortel. Où donc est la différence ? C’est que les uns sont attachés, les autres enchaînés ; d’autres n’ont pas un membre qui soit libre.            

        L’homme qui touche à la région supérieure, qui a gravi plus prés du faîte, ne traîne après lui qu’une chaîne lâche ; sans qu’il soit libre encore, il est déjà bien prés de l’être. »

 

 

 

 

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Dégagement

Publié le 19 Octobre 2017 par Jean Mirguet dans Philosophie

Dans Une seconde vie (Grasset, 2017), François Jullien distingue la « connaissance dégagée » et la « connaissance décochante »

Cette dernière déclenche des jugements pour ou contre « comme le ressort d’une arbalète ». Son souci majeur réside dans la jouissance de la riposte quand, faute d’arguments, ne restent que l’anathème et l’insulte (cf. la capitulation intellectuelle à l’œuvre  dans le discours de certains hommes politiques), témoins d’une pensée bavarde, étriquée, vétilleuse dans laquelle « l’esprit se retrouve aux portes de la mort » et où « plus rien ne lui laisse recouvrer la lumière » … « et l’on reste dans l’incompréhension du monde qui se produit inépuisablement sous nos yeux ».

La « connaissance dégagée » fait voir, quant à elle, « non pas autre chose, mais autrement les choses ». Elle fait exister autrement les choses. François Jullien souligne que dégager ne signifie pas seulement délivrer de ce qui fait obstacle mais dit aussi ce qui permet de mettre en valeur, en l’extrayant, ce qui a été enfoui. « Dégager n’invente ni ne requiert autre chose, n’est en attente de rien d’extérieur, mais déploie la ressource contenue, par retrait de ce qui la renfermait ».

Ce dégagement n’est pas un désengagement ; en lui se « libère une capacité, et ce seulement par désadhérence et dilution du compact et de l’opacité ». C’est ainsi que, comme il l’écrit dans Dé-coïncidence (Grasset, 2017), « quelque chose d’inouï, d’inédit, subrepticement émerge : quelque chose qui n’a pas encore de nom peut commencer de se détacher, peut commencer de s’extraire de l’indéfini des possibles, de prendre pied dans l’effectif et d’exister (…) C’est par dé-coïncidence qu’advient l’essor ».

« Le dégagement ne débouche pas sur une vérité émanant d’un autre monde », en quoi il n’a rien à voir avec la catégorie si commode (et paresseuse) du dégagisme. « Il produit un affranchissement du monde-se-bornant-au-monde, du monde se bordant en monde, qui permet d’évoquer ce monde – le seul -  en le lavant de son opacité, à son stade suprême d’essor et de limpidité ».

 

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D'Occident en Orient, de quoi la mort est-elle le nom ?

Publié le 30 Septembre 2012 par Jean Mirguet dans Philosophie

Vanité HirstNous étions une cinquantaine venus écouter, ce 22 septembre aux Prés Français, Michel Brun, psychanalyste et Thierry Receveur, professeur de philosophie qui intervenaient sous le thème de la mort, pensée du point de vue de l'Occident et du point de vue de l'Orient.

Belle et passionnante rencontre que vous pourrez (re)découvrir grâce à cet enregistrement réalisé par Christine Pierret (durée 2h23mn).

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Dieu, encore ?

Publié le 12 Septembre 2012 par Jean Mirguet dans Philosophie

Dieu, encoreJ’ai beaucoup de plaisir à annoncer la sortie de Dieu, encore ?, le livre que Michel-Yvon Brun vient de publier aux éditions Liber.

 

Philosophe de formation, Michel pratique la psychanalyse en Lorraine depuis plus de trente ans. Il est passionné par la pensée  orientale, le yoga en particulier, qu’il enseigne depuis de nombreuses années. Auteur d’articles parus dans diverses revues de psychanalyse, on lui doit également une thèse de doctorat en philosophie portant sur la problématique comparée de l’inconscient dans le yoga et la psychanalyse.

 

Dans la présentation des « jalons pour une théologie négative contemporaine », l’auteur estime que la relation au divin n’est pas dépassée car elle nourrit notre existence dans ce qu’elle a de plus profond. Pourtant, le mode de représentation de Dieu qu’on nous en propose est une insulte à la raison et débouche sur des énoncés aporétiques. Aussi, pour expurger la figure de Dieu de son excès d’anthropomorphisme, Michel-Yvon Brun lui substitue la proposition d’une théologie négative, élaborée au terme d’une critique psychanalytique et sociologique. La théologie négative, ou apophatisme, ne s’attache à aucune image de Dieu. Elle est bien connue de quelques-uns de nos grands mystiques occidentaux dont Maître Eckart n’est pas le moindre. Et par-delà les océans lui répondent le Yoga, le Védanta, le bouddhisme, ou encore le taoïsme, autrement dit l’universel d’une sagesse que l’on peut qualifier de « non duelle ». Fécondée par sa relation à la « vacuité », via l’Extrême-Orient, la théologie négative est appelée à se décentrer de la morale religieuse  traditionnelle pour s’ouvrir à une nouvelle éthique susceptible de réconcilier l’homme avec les multiples aspects de la réalité. Elle apparaît comme une voie possible pour enfanter cette sagesse dont nous avons aujourd’hui le plus grand besoin. Un sage, qu’on appellera « non-sujet », c’est-à-dire un être à la fois désencombré de lui-même et d’un Dieu fantoche, pourrait en être le support et le modèle.

 

Michel-Yvon Brun sera présent au Livre sur la Place à Nancy, au stand des éditions La Dragonne, à partir du vendredi 14 septembre.

Vous pourrez également l’écouter et échanger avec lui lors d’une rencontre qui se déroulera le samedi 22 septembre après-midi, aux Prés-Français dans les Vosges, où il interviendra avec le philosophe Thierry Receveur sur le thème : « De quoi la mort est-elle le nom ? » (renseignements : jeanmirguet@yahoo.fr)

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