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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Le psychanalyste et le bruit

Publié le 8 Mars 2024 par Jean Mirguet dans Psychanalyse et psychanalystes

Alors que les médias et le grand public se gargarisent des accusations de viols et d’agressions sexuelles portées contre Gérard Miller, le « psychanalyste star des plateaux télé », interrogeons-nous sur l’usage du titre de psychanalyste et sur les effets de l’usage de ce titre sur la psychanalyse elle-même.

"Gérard Miller, psychanalyste", ne cesse-t-on de lire et d’entendre … Oui, certainement, dans l’intimité de son cabinet, mais ailleurs ?

Est-il psychanalyste lorsque, dans un communiqué de presse, réfutant les accusations portées contre lui, il affirme comprendre que l’on puisse dire qu’un rapport inégalitaire existait avec les femmes bien plus jeunes que lui qu’il séduisait ? « Psychanalyste, universitaire, auteur, chroniqueur télé et radio, j’étais de fait un homme de pouvoir », dit-il. Il ajoute « qu’il y avait dès lors une dissymétrie “objective”, dont on peut se dire aujourd’hui qu’elle était rédhibitoire». Quid alors de sa place de psychanalyste dans cette dissymétrie ?

Est-il encore psychanalyste dans les multiples lieux où ses nombreux talents le conduisent ? Il enseigne, écrit, est réalisateur, acteur de cinéma et de théâtre, chroniqueur et éditorialiste à la radio et à la télé, militant politique.

Est-il psychanalyste partout et toujours ? Peut-on être psychanalyste partout et toujours ? À en faire son identité, à être psychanalyste à part entière, ne commet-on pas une usurpation ? Que deviennent le psychanalyste et la psychanalyse dans ce foisonnement d’activités et cette recherche persistante de l’audience ?

On pourra me rétorquer que, après tout, rien n’interdit à un homme comme lui de faire étalage de ses innombrables dons et de son habileté dans le vaste domaine de la représentation.

Rien n’interdit cela sauf que, quelque soit le lieu de ses interventions, sa qualité de psychanalyste, donc sa fonction de psychanalyste, toujours accolée à son nom, ne va pas sans poser la question d’un manquement à l’éthique.

Gérard Miller, élève de l’École fondée par Jacques Lacan et diffuseur avec d’autres de son enseignement,  n’ignore sans doute pas ce qu’énonçait Lacan dans une conférence prononcée en 1967 à Rome, connue sous le titre « La psychanalyse. Raison d’un échec » (Jacques Lacan, Autres écrits, 2001). Lacan y livre sa pensée sans détour : « Le bruit ne convient pas au psychanalyste, et moins encore au nom qu’il porte et qui ne doit pas le porter »

Ce jugement sans appel est la conséquence logique des préoccupations que Lacan a toujours eues concernant l’enseignement de la psychanalyse et la clinique analytique. Il faut rappeler qu’il avait fondé son École en vue d’un travail qui, je cite « - dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité ; – qui ramène la praxis originale de la psychanalyse dans le devoir qui lui revient en notre monde ; – qui par une critique assidue, y dénonce les déviations et les compromissions qui amortissent son progrès en dégradant son emploi».

Tout au long de son parcours, il n’aura de cesse de dénoncer les déviations, tels, par exemple, les effets de groupe.

Lacan ne courait pas après le succès de la foule ; pour lui, le psychanalyste n’est ni bateleur, ni comédien, ni cabotin. Le succès qu’il recherche est ailleurs, c’est celui du rapport de la tâche à l’acte : « La tâche, dit-il, c’est la psychanalyse. L’acte, c’est ce par quoi le psychanalyste se commet à en répondre. »

Les accusations auxquelles Gérard Miller est confronté, qui se multiplient, qui se répètent comme si elles revenaient toujours à la même place, attestent que quelque chose en lui n’a pas marché, ce qui est la définition même du symptôme. Des accusations qui viennent faire échec aux pratiques de celui cruellement surnommé « Divan le terrible ».

Un constat s’impose : celui d’une rencontre manquée, d’une rencontre ratée entre ce personnage bavard, tapageur et la psychanalyse.

Il est trop tôt pour mesurer les effets de cet événement sur les rapports du public et de la psychanalyse, déjà mise à mal et attaquée depuis quelques années.

Mais, ayant oublié ou refoulé ce que Lacan lui avait enseigné en matière d’éthique, Gérard Miller vient de rendre un fort mauvais service à cette science qu’il a piètrement servie.

 

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En Israël comme en Palestine, boiter n’est pas pécher

Publié le 23 Février 2024 par Jean Mirguet dans Israël et Palestine

Un peu plus de quatre mois après le pogrom du Hamas en Israël, Delphine Horvilleur s’interroge dans son nouvel essai, Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre (Grasset, à paraître le 21 février), sur le choc du 7 octobre et ses conséquences multiples, pas tant dans la vie des Israéliens et des Palestiniens que dans les nôtres, ici. Où plus rien ne semble aller de soi.

Au cours de deux entretiens parus l’un dans Le Monde, l’autre dans Télérama, elle explique la nécessité dans laquelle elle s’est trouvée d’avoir recours à l’écriture pour tenter de renouer un peu de ce qui s’est brisé. En prenant la plume, elle s’est lancée dans des conversations virtuelles avec elle-même, ses enfants, Israël… Et les fantômes de son histoire familiale qui lui revenaient en plein cœur. « Le point de départ de ce livre, explique-t-elle, ce sont certes des conversations, mais d’abord avec mes propres fantômes. En particulier avec ceux de mes grands-parents : après le 7 octobre, j’ai eu le sentiment que mon histoire familiale et ses douleurs hurlaient en moi ».

De son écriture, elle a fait une « entreprise de survie », les événements qui ont bouleversé ses certitudes et mis à nu ses fragilités, l’ayant plongée dans un abîme de questionnements. « Je me demande encore pourquoi, par exemple, les organisations féministes dans le monde ont si peu condamné la violence sexuelle du Hamas à l’égard des Israéliennes, malgré des faits parfaitement documentés. Ces organisations ont toujours dénoncé les viols comme crimes de guerre. Quand ça touche des Juives, il n’y aurait plus personne ? Ce silence est sidérant. »

Pareillement, le refus de certains de ses proches de participer à la marche contre l’antisémitisme le 12 novembre dernier (alors que les actes antijuifs étaient en pleine recrudescence) l’a anéantie : « Des gens que je connais bien, parfois des amis, ont refusé de s’y rendre au prétexte que le Rassemblement national s’y trouvait. Moi non plus, je n’ai pas envie de défiler avec le RN… Mais pourquoi m’abandonner comme juive, me laisser seule, au prétexte qu’ils sont là ? Si dans ces moments essentiels, nous ne sommes plus côte à côte, que se passe-t-il pour l’avenir de nos combats ? Ces derniers mois, j’ai vu des failles, des lâchetés, qui sont difficiles à digérer. »

A la question de comment rendre compte de la permanence de l’antisémitisme, elle répond que « l’antisémitisme, sur lequel elle travaille depuis des années, continue à la bluffer par sa puissance et sa capacité mutante à faire feu de tout bois. Selon les époques, on a accusé les Juifs d’être trop riches ou trop pauvres, trop féministes ou trop patriarcaux. De ne pas avoir d’État et, maintenant, d’en avoir un. L’antisémitisme n’a pas attendu la colonisation ou les frappes de Tsahal pour se manifester, il est constamment recyclé. Aujourd’hui, on présente le Juif comme étant, en toutes circonstances, le fort, le dominant, l’être en contrôle. C’est grotesque. Parmi ceux qui relayent ces clichés, beaucoup le font sans même réaliser ce que leur bouche dit. Ils parlent comme les ventriloques d’un antisémitisme ancestral. »

Qu’est-ce donc, se demande-t-elle, que le conflit israélo-palestinien réveille  au plus profond de nous ? « L’antisémitisme n’a rien à voir avec les juifs (…) Le juif est le nom de ce qu’il est de bon ton de haïr pour fédérer », dit-elle. Comme Obama qui avait déclaré que nous sommes tous des Juifs parce que l’antisémitisme est un condensé, l’expression d’un mal qui traverse tant l’histoire humaine ou comme Frantz Fanon qui nous avertissait,  en reprenant les paroles de son propre professeur de philosophie : "Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ». « Il y a dans la haine du juif une problématique de rapport à nos origines, liée au fait que, pour les chrétiens et les musulmans, les juifs sont ceux qui étaient là « avant ». Or, faire face à celui qui était là avant oblige à faire face à nos dettes. Que doit-on au monde qui nous précède ? ».

En s’exprimant ainsi, elle dit craindre que les gens considèrent qu’elle ne minimise la souffrance palestinienne. Ce serait mal comprendre son propos car « ce qui se passe au Proche-Orient est, dit-elle, terrible pour les uns et les autres. Les Palestiniens ont des droits sur cette terre et leur rêve d’autodétermination est légitime. Mais la justice et la paix ne viennent jamais de la diabolisation de l’autre ».

Elle rappelle que, dans la Bible, « Israël est le nom d’un homme, celui du patriarche Jacob qui ressort victorieux de sa lutte contre un ange qui lui donne le nom d’Israël. Mais s’il a gagné son combat, Jacob-Israël demeurera boiteux pour le restant de ses jours ». Son frère jumeau est Esaü, l’homme conquérant et puissant. Pourtant, ce n’est pas par lui que passera l’alliance avec Dieu, mais par Jacob le boiteux. Tout au long du texte biblique d’ailleurs, l’alliance passe par ceux qui acceptent leur vulnérabilité : Abraham va devoir vivre avec sa stérilité, Isaac avec son aveuglement, Moïse avec son bégaiement. Celui qui, à l’instar d’Esaü, mise sur la force fait un choix dramatique qui l’éloigne de la promesse biblique. 

« L’histoire d’Israël dans la Bible, c’est donc la conscience qu’on ne sort pas indemne des combats qu’on a menés dans l’existence, qu’il faut apprendre à vivre avec tout ce qui claudique dans nos vies. Il y a là une vraie leçon pour Israël, qui, ces dernières décennies, a cru être à l’abri des claudications de l’histoire juive. Or, l’Etat d’Israël s’est construit sur un narratif de force qui l’a mené – en particulier l’actuel gouvernement – vers une hubris de pouvoir. En galvanisant les extrêmes, ce narratif de puissance menace aujourd’hui son avenir ».

Plus généralement, la rabbine juge ce récit biblique pertinent pour chacun d’entre nous puisqu’il pose la question de savoir comment continuer notre chemin avec nos failles. Aussi, « le 7 octobre a-t-il eu cet effet sur beaucoup d’entre nous de ne pas pouvoir réparer le drame absolu de cette jeunesse décimée en Israël, de ces enfants morts en Palestine. Mais il nous faudra apprendre à vivre avec notre claudication éternelle. Elle nous oblige. La mort de tous ces enfants et innocents est un drame absolu. Il ne faut jamais cesser de le répéter. Pourtant, à chaque fois qu’on m’interroge, je sais que, quoi que je dise, ce n’est pas suffisant pour mon interlocuteur. En tant que juive, pour apparaître légitime, je dois commencer mes phrases en rappelant à quel point la situation à Gaza est terrible, avant d’évoquer la douleur israélienne, elle aussi insupportable. Notre langage est comme pris en otage, lui aussi parasité par les passions, et on voudrait en permanence que je somme je ne sais qui que tout s’arrête immédiatement… ».

Mais, dit-elle, il y a, « dans chaque camp, une forme d’idolâtrie. Du côté juif, Israël est devenu, pour certains, une sorte de veau d’or qui annihile tout esprit critique. De même, la place que joue aujourd’hui la Palestine dans la conscience arabe est un drame. Elle censure bien des paroles mesurées dans un soutien inconditionnel où la fin justifierait tous les moyens, déresponsabilisant ainsi les assassins. Rares sont les voix qui osent le dire librement ».

Au lendemain du 7 octobre, elle dit avoir été « dévastée par le silence de voix palestiniennes en France et leur absence de condamnation de la barbarie du Hamas ». Il lui semblait si simple de dire à quel point le combat des Palestiniens était légitime, tout en se désolidarisant de la barbarie terroriste. Elle a alors cherché à converser avec de nombreux amis arabes et à tout faire pour éviter cet entre-soi des douleurs. « Tenter de comprendre combien ce conflit nous défigure et l’empêcher de nous rendre étranger à l’autre : voilà le défi infini ».

Elle ne croit pas que la solution viendra des généraux ou des politiques, mais qu’elle viendra davantage des poètes, de ceux qui donnent au langage une dimension de vérité pour faire naître des idées et des sens bien au-delà du texte écrit. C’est pourquoi, dit-elle, son livre s’ouvre avec un poète palestinien et se termine avec un poète israélien.

Heureusement, affirme-t-elle, « nous ne sommes pas “que” ce qui nous est arrivé… seulement ce qu’on en fera ». On pense alors au « Boiter n’est pas pécher », citation du poète Rückert, tirée des Deux florins, avec laquelle Freud termine son Au-delà du principe de plaisir et dont Lucien Israël donne, dans son livre au titre éponyme, cette traduction :

Je boîte mais non pour le plaisir de boiter,

Je boîte pour manger, je boîte pour boire,

Je boîte où des étoiles d’espérance me font signe

Je boîte où des florins me font un clin d’œil.

Ce qu’on ne peut obtenir d’un coup d’aile, il faut l’atteindre en boitillant.

Il vaut mieux boiter que se perdre corps et biens.

L’écriture dit : que boiter n’est pas péché.

« Nous sommes tous hantés par des voix intérieures, conclut Delphine Horvilleur. Aujourd’hui, je dévoile celles qui m’habitent. Et j’espère nouer la conversation avec celles et ceux qui sont prêts, eux aussi, à exhiber leur vulnérabilité. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vivre sa « Meilleure vie » avec Coralie Garandeau

Publié le 28 Janvier 2024 par Jean Mirguet dans Littérature

Le décor : l’étang de Berre, le deuxième plus vaste lac salé d’Europe, une petite mer intérieure reliée à la Méditerranée par un canal, bordé par l’immense site de l’ancienne raffinerie de pétrole TotalEnergies, surplombé par la carrière des Boutiers où le calcaire est transformé en blocs pour les digues du port ou en sable pour la construction. Le quartier de La Mède qui, sous les torches de la raffinerie, ne respire pas l’air du large, au contraire.

Et, au sein de ce paysage industriel, une villa des années 80, « camp de base » de l’association Wings of the Ocean que Coralie Garandeau rejoint durant un mois. Elle y retrouve une communauté d’une vingtaine de joyeux et enthousiastes militants, à l’énergie contagieuse, engagés dans des actions de dépollution du littoral. Un peu plus loin, amarrés le long de l’unique quai du port de la Mède,  attendent les bateaux-dortoirs des bénévoles.

Mais « qu’est-ce que je fais là au juste ? », se demande la journaliste, bien qu’elle sache vouloir s’engager pour la cause qui lui tient à cœur, être prête à répondre à l’urgence climatique.

D’emblée, puisqu’elle est journaliste, il lui est proposé d’intégrer le pôle investigation mais un questionnement la taraude et qui ne la lâchera plus : comment concilier son éthique de journaliste indépendante et l’engagement militant ? Est-elle capable de tout lâcher pour suivre un mouvement auquel elle croit ? L’idée de « passer de l’autre côté, d’arracher son étiquette et rejoindre ceux qui dansent » est palpitante. Se dépouiller d’une partie de ce qui l’identifie, sortir de sa zone de confort et ne pas céder sur son désir ? Ce n’est pas si simple mais « vivre une expérience d’engagement de l’intérieur, pleinement, et sans distance ni contrainte », c’est là son désir, celui d’une femme courageuse, prête à tenter l’aventure en terre inconnue. Elle, ce qu’elle veut vivre, « c’est l’engagement désintéressé et la liberté », un terme que l’on retrouve  souvent au fil des pages.

Elle participe à son premier événement, la 46e opération de dépollution qui se déroule à la plage du Jaï, à Marignane : ramassage des déchets qui, pour la plupart d’entre eux, sont du polystyrène et des morceaux de plastique, le matériau roi de la grande consommation.

Puis, c’est la découverte du Kraken qui vient d’être amarré au beau milieu du Vieux Port de Marseille, à l’occasion du Congrès mondial de la nature. Cet ancien chalutier reconverti en trois-mâts, symbole de l’association Wings of the Ocean, va « servir d’appât pour attirer donateurs, journalistes et bienfaiteurs ». Maud, la responsable de la communication de Wings, lui lâche dans un souffle que, comme d’autres, sa rencontre avec ce bateau mythique l’a conduit à laisser tomber des projets en cours : « Tu te laisses grignoter par la cause qui te motive. Je suis loin d’être la seule à avoir vécu ça chez Wings ! Fais gaffe, ça pourrait t’arriver à toi aussi ! Le journalisme, c’est comme la com, c’est bien, à condition d’en sortir ! ».

Notre héroïne acquiesce … manifestement, la petite graine de l’engagement a commencé a germé. Mais à quoi cet embryon va-t-il donner naissance ?

Elle est enthousiasmée par la première « Fashion Wings » qui se déroule un samedi après-midi en plein Vieux Port de Marseille. Il s’agit d’un faux défilé de mode en forme de flashmob, à l’humour décalé, qui dénonce sans culpabiliser.

Au fil de son récit, elle nous fait découvrir plusieurs des bénévoles : parmi eux, Julien qui dirige l’association et dont la personnalité, écrit l’auteure, suscite autant de commentaires positifs que caustiques. Son personnage fascine. Ayant, selon ses dires, une propension à se mettre « dans un déséquilibre vers l’avant », le directeur de Wings est un électron libre qui s’éprend des bateaux comme des gens, sur un coup de tête, n’est jamais là où on l’attend, toujours occupé à déployer l’association un peu plus loin. « Il a cette capacité », témoigne Salomé, à faire confiance, et faire sentir aux gens qu’ils sont chez lui chez eux », il sait mettre à l’aise et se rendre disponible à chacun.

Victor, qui dit vivre sa meilleure vie, est le photographe du Kraken et responsable de la communication de l’association.

Il y a Justine, la cheffe de projet, qui anime avec virtuosité le briefing quotidien.

Augustin, diplômé d’HEC, est également chef de projet.

Quant à Vincent, il est passé d’un ancien travail dans l’évènementiel  à la préparation de la manifestation de fin de mission de l’étang de Berre.

De son côté, Rosalie, l’ex assistante sociale, après avoir mené des actions de choc, est arrivée à Wings pour participer à des combats plus apaisés. Pour elle, « tout le monde en venant ici se trouve à la croisée des chemins et vient chercher des expériences différentes. Au final, ils éprouvent tous cette sensation d’être au bon endroit, au bon moment et avec les bonnes personnes ».

Loïc, le cuisinier, a, pour sa part,  besoin d’alterner le militantisme doux de Wings et l’activisme de terrain comme le blocage de bateaux de pêche au cours desquels on risque sa vie.

Er puis, il y a les nombreux couples qui naissent au sein de l’association : Quentin et Marie, à l’origine de la mission de l’étang de Berre, Julie et Victor les responsables du Kraken, Tom et Ninon « les perdreaux de l’été ». « Un vrai love boat, écrit l’auteure, comme dans La croisière s’amuse ».

De ses rencontres avec ces aventuriers qu’elle admire, Coralie Garandeau confie qu’elle en ressort un peu ivre.  Reste qu’elle n’est pas dupe de cet enchantement car, au fond d’elle, un doute subsiste : a-t-elle misé sur le bon cheval ?

Le type de bénévolat adopté par l’association Wings of the Ocean s’apparente à celui des woofers qui, en échange d’un travail, sont nourris, logés, blanchis par la communauté qui les accueille. L’association salarie également quelques personnes mais il n’y a pas de différence notable entre bénévolat et salariat puisque ce sont les compétences transversales des uns et des autres qui sont valorisées, générant une mixité sociale entre intermittents activistes et jeunes diplômés à l’orée de leur carrière.

Le dossier de presse de Wings mentionne que l’association est « un centre de rencontre où sont partagées des inquiétudes et des solutions et idées vis-à-vis de la crise environnementale. Ce partage se matérialise dans des actions concrètes et collaboratives, créant une communauté de personnes engagées ».

Chemin faisant, Coralie Garandeau nous apprend, grâce à Kay, que pendant longtemps, on a beaucoup trié en espérant que plastiques mous et plastiques durs pourraient être revalorisés avant de découvrir que certains déchets n’étaient pas recyclables. Seul espoir les concernant : la réutilisation, matériau par matériau. C’est ainsi qu’une société montpelliéraine récupère des bouteilles transparentes pour fabriquer des planches de surf éco-conçues, que le plastique dur est récupéré pour en faire du carburant, que les bouchons en plastique retrouvent une nouvelle vie en devenant des bijoux, etc …sachant que, selon la chercheuse Nathalie Gontard, « recycler 100% de nos plastiques à l’infini et faire ainsi disparaître nos déchets est une illusion ». Il y a une énorme supercherie consistant à faire croire aux consommateurs que les produits siglés avec les deux flèches vertes imbriquées sont recyclables : argument de vente des fabricants particulièrement trompeur.

Pour pouvoir vivre, l’association a besoin d’argent donc de sponsors qui apportent des financements mais peut-on choisir par qui on est financés ? Reste-t-on purs en acceptant ces partenariats ? Ces questions  qui agitent l’association sont également celles auxquelles sont confrontés les acteurs de l’environnement, des ONG aux chercheurs, soutenus par les gouvernements et les entreprises. Le directeur de l’association en est conscient : la kyrielle d’entreprises sponsors (Louis Vuitton, Nutella, Heineken, Veolia, etc…) ne donnent pas toujours une note d’irréprochabilité, ce dont risquent de se saisir tous ceux qui vont les traiter de faux écolos vendus à tel pétrolier ou telle marque de grande distribution.

Alors que la fin de l’aventure se profile et que le retour à la vie « normale » se fait jour, la journaliste  fait part de son trouble né de la sensation d’avoir deux vies parallèles, impression largement partagée par la plupart des participants car l’expérience cristallise des questionnements et divise voire déchire chacun, entre l’engagement bénévole et le retour à la vie « d’avant ». La question « tu vas faire quoi ? » est dans toutes les têtes … à chacun une ébauche de réponse.

Manifestement, cette expérience immersive que toutes et tous ont vécu les a transformé et les a invité à interroger leurs choix de vie tout en provoquant maints remaniements subjectifs.

Cette chronique passionnante, à la fois drôle et sérieuse, très agréable à lire nous fait à notre tour artisan des actions, dans les petites victoires comme dans les défaites et nous confronte à la question essentielle de l’engagement dans son rapport à la cause écologique.

Comme chacun des protagonistes de ce livre, comme après une grand voyage, le lecteur reprend sa route singulière, toujours habité voire renforcé dans ses convictions écologiques.

La meilleure vie, Coralie Garandeau, Bayard Editions, 2024.

 

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« La meilleure vie », un livre de Coralie Garandeau

Publié le 17 Janvier 2024 par Jean Mirguet dans Littérature

Dans son livre, La meilleure vie, publié aux éditions Bayard Récits, disponible en librairie dès aujourd’hui, la journaliste Coralie Garandeau relate comment, en août 2021, elle se retrouve sur le quai de La Mède, au bord de l'étang de Berre, après avoir répondu à l’annonce de l’UICN, l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Elle rejoint cette ONG qui lutte contre la prolifération des déchets dans la mer et se retrouve, comme elle le raconte, embarquée volontaire sous le soleil de Marseille, pour une mission de dépollution des littoraux,

Son livre raconte ce que fut pour elle cette expérience inédite de bénévolat. Elle fait le récit de la vie des bénévoles de l’association, de leurs motivations multiples, de leurs états d’âme jusqu’aux difficultés du retour à la « vie civile », en passant par l’apport qu’ils en tirent sur leur vie personnelle et professionnelle.

Elle nous fait découvrir les journées de ramassage au cours desquelles les ramasseurs cueilleurs et les chasseurs trieurs sont chacun à leur tâche, l’équipe de sensibilisation les accompagnant  pour valoriser, non pas les déchets, mais l’action de ramassage. En effet, la collecte des déchets sur les plages n’a pas pour but principal de réduire le volume de déchets, mais de sensibiliser le public. « L’action de terrain ne sert à rien sans plan de communication soigné ». Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. La collecte à elle seule serait dérisoire face à la quantité de déchets. C’est à la source qu’il faut intervenir, auprès des consommateurs et des entreprises créatrices d’emballages et autres matériaux, recyclables ou non. Aussi, les bénévoles « communicants » sont-ils les bienvenus, car le succès dépend du rayonnement des actions concrètes qui, ensuite, donneront matière à communication.

Avec elle, on partage la vie du collectif aux côtés du président hyperactif, de la vice-présidente modèle, de la chargée de communication stressée ou des capitaines des trois bateaux à peine plus âgés que ses fils. À travers cette expérience, Coralie Garandeau interroge le rapport au groupe, la capacité à aligner ses convictions écologiques avec son mode de vie et le degré de radicalité nécessaire pour protéger la planète.

Cette expérience se révèle être pour elle un réelle aventure humaine, où avec son groupe de joyeux bénévoles, navigateurs ou non, elle met en œuvre son désir d’agir pour secouer les consciences sur les enjeux climatiques. Elle témoigne des qualités de la nouvelle génération de militants de l'environnement, chaleureux et enthousiastes. Cela lui réchauffe le cœur, écrit-elle, tant leur élan est inspirant.

Voici donc en substance ce dont elle témoigne dans ce récit, avec des rires, des larmes et des informations sur la pollution plastique dont notre planète étouffe... Tout cela, ajoute-t-elle, grâce aux conseils de Claire Alet, à la confiance des antennes de Wings of the Ocean, une association qui, sur l'Etang de Berre, lutte contre la pollution plastique dans le but de préserver le vivant et aux éditions Bayard.

C’est, à n’en pas douter, un livre à sa procurer sans délai, écrit par Coralie Grandeau, ma talentueuse belle-fille.


 

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Gaza n’est pas Auschwitz

Publié le 9 Janvier 2024 par Jean Mirguet dans Racisme et antisémitisme

Dans une tribune publiée en novembre 2023 par le site AOC, l’anthropologue Didier Fassin avait relevé de « préoccupantes similitudes » entre un massacre suivi d’un génocide commis au début du XXe siècle en Afrique australe et les exactions perpétrées dans la guerre en cours entre le Hamas et Israël.

En 1904, en effet, une partie des Herero, ethnie majoritaire de la future Namibie, alors colonisée par les Allemands, se rebellent contre ces derniers, qui, après avoir rompu l’accord de protectorat, se sont approprié leurs meilleures terres et multiplient les brimades ; les Herero tuent 120 colons. Un massacre qui, en retour, provoquera l’extermination programmée des Herero, dont 80 % de la population a disparu entre 1904 et 1911.

Précisant que « comparaison n’est pas raison », Didier Fassin estimait qu’« il y a une responsabilité historique à prévenir ce qui pourrait devenir le premier génocide du XXIe siècle. Si celui des Herero s’était produit dans le silence du désert du Kalahari, la tragédie de Gaza se déroule sous les yeux du monde entier ».

Les réactions d’une partie de ses collègues universitaires furent cinglantes. Un collectif comptant, notamment, les sociologues Luc Boltanski et Danny Trom, et les philosophes Bruno Karsenti et Julia Christ considère que « Didier Fassin réactive un geste antisémite classique qui procède toujours par inversion : accuser les juifs d’être coupables de ce que l’on s’apprête ou que l’on fantasme de leur faire subir (…) Les civils palestiniens qui meurent à Gaza sous les bombardements israéliens méritent autant de compassion que ceux massacrés par le Hamas. Mais la leçon de symétrie humanitaire dispensée par Didier Fassin est surdéterminée par une grille de lecture qui ne cesse de nous signifier qu’une vie juive vaut bien moins que toute autre, et que la réalité de la violence antisémite doit s’effacer derrière le racisme et l’islamophobie ».

 

Cette comparaison perverse conduisait déjà Jankelevitch à écrire dans L’impresciptible que « l’antisionisme  est une  introuvable  aubaine,  car  il nous  donne  la  permission et même le droit et même le devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est  la  permission  d’être  démocratiquement  antisémite.  Et  si  les  juifs  étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre : ils auraient mérité leur sort».

 

…un « raisonnement » pernicieux dénoncé dans le récent éditorial de Yonathan Arfi, Président du Crif, reproduit ci-dessous :

 

Non, Gaza n'est pas Auschwitz.

Parmi les accusations portées contre Israël, la comparaison entre le sort des Palestiniens aujourd'hui et celui des Juifs pendant la Shoah mais également l'accusation mensongère de « génocide » sont les plus infamantes.

La formule est connue : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur de ce monde » écrivait Albert Camus en 1944. Alors que doit se tenir à la Cour Pénale Internationale cette semaine l'audience d'Israël face à l'Afrique du Sud, nombreux sont les acteurs du débat public qui ont recours à ces accusations fallacieuses, depuis le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) dans ces derniers communiqués jusqu'au Président turc Erdogan comparant Netanyahou à Hitler, depuis les élus La France Insoumise (LFI) parlant de génocide jusqu'à certaines instances internationales…

Sans rien retirer par ailleurs à l'empathie légitime pour la souffrance de la population civile palestinienne, victime et otage de cette guerre déclenchée par le Hamas, ces accusations doivent être rejetées fermement.

Alors, à quoi correspond cette accusation de génocide ? Que signifie cette nazification d’Israël ? Apposer l’image du génocide sur la guerre à Gaza, vise à accoler l’étiquette de l’ultime infamie sur l’État d’Israël. Infondée matériellement et juridiquement, cette accusation vise en fait d'autres buts, politiques.

D'abord, cette inversion perverse transforme l'État refuge des victimes de la Shoah, en un État de bourreaux, et vise la perturbation des boussoles morales du public. Puis, en affublant ainsi symboliquement Israël du qualificatif de nazi, l’accusation soulage les consciences européennes de la culpabilité de la Shoah. Enfin, en maximisant la représentation de la culpabilité morale d’Israël, l’accusation minimise la gravité des exactions du Hamas le 7 octobre. Accuser Israël de génocide est au fond la stratégie la plus efficace pour passer sous silence les pogroms du 7 octobre et la pulsion exterminatrice qui a animé les terroristes du Hamas massacrant, violant et suppliciant des populations civiles israéliennes...

Ce renversement accusatoire n’est pas nouveau. La cause palestinienne a souvent utilisé le miroir de l’Histoire juive pour formuler son propre récit. Ainsi, le choix du mot Nakba (« catastrophe », en arabe) pour qualifier la date historique de l’indépendance de l’État d’Israël et les déplacements d’une partie des populations juives et arabes alors présentes, répond au sens du mot « Shoah » en hébreu.

Mais surtout, ce renversement accusatoire désinhibe toutes les violences. Accuser Israël de mener un génocide, d’être le nouvel État nazi, justifie les discours les plus radicaux, allant jusqu’à normaliser l’exigence du démantèlement d'Israël. Face à un État prétendument génocidaire, quelle violence ne serait pas légitime ?

Ne soyons pas naïfs : ceux qui ont recours à cette terminologie ne le font que pour accuser Israël. Leur indignation sélective épargne les exactions des grands régimes autoritaires du monde et occulte les victimes ouighours en Chine, rohingyas en Birmanie ou chrétiens du Nigéria... Comme bien entendu, ils n’ont jamais critiqué les opérations militaires occidentales contre Daech à Mossoul et Raqqa, ou contre Al Qaida en Afghanistan, malgré des victimes civiles là aussi malheureusement nombreuses.

Ce renversement accusatoire est donc bien une stigmatisation volontaire et calculée du seul État juif. Et, hélas, nous le savons, l'opprobre qu'elle suscite s’étendra mécaniquement sur les Juifs, où qu'ils vivent.

Nous, Français juifs, avons la responsabilité de dénoncer ces amalgames dangereux tant qu'il est encore temps.

Car non, Gaza n'est pas Auschwitz.

 

 

 

 

 

 

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L’idéologie nocive de « l’autodétermination de l’enfant »

Publié le 21 Novembre 2023 par Diane Drory, Jean-Yves Hayez, Jean-Pierre Lebrun dans Gente et sexualité

C'est un décret qui ne cesse de faire débat en Belgique. Adopté à la quasi-unanimité par le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le jeudi 7 septembre, il oblige l'ensemble des élèves de sixième et de seconde, du sud du pays, à suivre des séances relatives à l'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras). Une décision loin de faire l'unanimité et fermement critiquée dans cette Tribune, publiée récemment dans La Libre Belgique et signée Diane Drory (psychologue et psychanalyste, spécialiste de l’enfance), Jean-Yves Hayez (pédopsychiatre) et Jean-Pierre Lebrun (psychiatre et psychanalyste).

En voulant nous libérer des limites oppressantes, nous avons rejeté les limites structurantes. La boussole du ressenti ne peut pas prendre la main. L’enfant n’est ni autonome, ni d’emblée responsable. Le mettre à la même place que l’adulte, comme le fait le guide Evras, est un non-sens.

La question se pose : pourquoi les professionnels de la santé rencontrent-ils de plus en plus d’enfants et de jeunes manquant des repères dont ils ont besoin pour se construire psychiquement ? Pourquoi rencontrent-ils de plus en plus de parents en désarroi de ne plus trouver d’appui dans le discours social pour soutenir leur autorité ?

Il faudra interroger la nouvelle conviction actuellement promue : “l’autodétermination de l’enfant”. L’individualité de l’enfant devrait trouver son épanouissement sans entrave, sans aucun appui sur une limite qui lui serait imposée et pour ce faire, il s’agirait seulement de l’entourer d’amour. Ceci est devenu l’axe éducatif qui devrait désormais s’imposer à tous, sans qu’il y ait eu débat pour en valider les fondements ! Si l’autonomie responsable est un programme tout à fait légitime et bienvenu pour les citoyens en démocratie, il n’est pourtant pas inscrit d’emblée dans la tête de l’enfant. Aucun enfant ne peut se construire seul, ni trouver en lui-même le sens de sa vie.

Une fausse conviction

Cette fausse conviction demande qu’en place d’un cadre clair et bien défini s’impose un cadre flou laissant à l’enfant tout le loisir du choix et de la décision ; “Penses-tu que c’est l’heure de ton repas ?”“D’accord d’aller se coucher ?”… Ce programme d’éducation demande des négociations sans fin comme par exemple dans cette famille où dès leur réveil les enfants rentrent en concurrence bruyante et parfois musclée pour avoir “la” bonne place à table. À peine levés, les enfants sont alors sous l’emprise de la loi de la jungle.

Au nom de l’épanouissement, cette autodétermination sacralise les droits de l’enfant au point de délégitimer les parents. Les normes sont alors décrites comme un frein à la liberté de l’enfant. On le veut autonome alors qu’il n’a pas encore intégré ce qu’implique cette autonomie.

S’il fallait tirer le fil rouge de ce changement, nous avancerions que, certes, une volonté d’égalité démocratique accrue nous guide depuis un demi-siècle, mais aussi qu’une grande méconnaissance s’est glissée dans ce programme : en voulant nous libérer des limites oppressantes, nous avons rejeté les limites structurantes. C’est alors la boussole du ressenti qui a pu prendre la main…

Des parents emportés dans cette “idéologie”

Nous entendons de plus en plus de parents emportés dans ce qu’il faut bien appeler cette “idéologie”. Ainsi, certains veillent à ne plus appeler leur enfant d’un prénom sexué, pour d’autant mieux le laisser choisir au cas où, plus tard, il voudrait changer de genre. Pourtant, à regarder les choses d’un peu plus près, il est étonnant que lesdits parents ne s’aperçoivent pas, non seulement qu’ils n’ont fait que substituer une exigence (ne pas nommer l’enfant comme sexué) à une autre (le nommer sexué) mais qu’en plus, cette nouvelle contrainte veut faire croire à l’enfant qu’il va pouvoir choisir son genre indépendamment de son sexe anatomique – ce qui est un mensonge parce que le sujet devra toujours faire avec son anatomie de départ même s’il change d’identité de sexe ou de genre.

Le dogmatisme du guide Evras

Que penser alors du guide Evras qui explique avec une certitude parfois dogmatique que la théorie du genre devrait primer sur les caractéristiques sexuelles biologiques. Qui promeut explicitement de nous dégager de toute “hétéronormativité” et annonce l’effacement du sexe biologique au profit du genre qui vise à faire primer le ressenti. Ou lorsqu’il soutient des façons de dire comme “la notion de genre assigné à la naissance”. Ou qu’il propose “le droit à l’autodétermination indépendamment de l’âge de l’enfant comme droit humain fondamental”. Tout ceci allant à contresens du développement psychique d’un enfant.

Groupes de pression infiltrés dans les cabinets ministériels

D’où vient que les responsables politiques se soient laissés ainsi quasi unanimement convaincre au point d’adopter un décret (7 septembre 2023) qui permet d’entériner un guide dans lequel on trouve un ensemble de considérations favorables à l’autodétermination par l’enfant de son identité de genre ? Pour avoir sans coup férir la permission pour un enfant de changer de prénom dès l’âge de 12 ans (loi du 25 mai 2017). Pour se faire tellement prier pour interdire avant la majorité légale les médicaments bloqueurs de puberté, et ce malgré toutes les recommandations scientifiques ? Ce n’est pas parce que d’aucuns se sont organisés en groupes de pression et infiltrés dans les cabinets ministériels que nous avons à acquiescer à cette volonté de mainmise.

Manière de concevoir la sexualité plutôt que d’être d’abord à l’écoute des jeunes

Cela fait depuis plusieurs années que de nombreux cliniciens interviennent, efficacement et utilement, en faisant de l’EVRAS (de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) dans les écoles pour permettre que les questions qui se posent aux jeunes soient entendues. Travail indispensable et fructueux. Mais aujourd’hui c’est un renversement qui est à l’œuvre : le dernier-né “guide Evras” soutient, décrit en détail pour chaque tranche d’âge, les pré-acquis et nouveaux acquis à construire. L’ensemble des 300 pages ressemble à un enseignement demandant d’appliquer une manière de concevoir la sexualité plutôt que d’être d’abord à l’écoute des jeunes. C’est une orientation que nous ne pouvons que refuser, celle de penser devoir apporter des réponses avant que de pouvoir poser ses questions ; celle de penser que l’on doit ne plus imposer une hétéronormativité sans s’apercevoir que c’est une autre normativité qu’alors on impose, celle qui exclut les termes “hommes” et “femmes” et contraint de parler de “personnes ayant un utérus” et de “personnes ayant un pénis”.

Si d’aucuns ont des doutes à ce sujet, qu’ils interrogent simplement pourquoi le guide est-il écrit en écriture inclusive ? ; pourquoi l’enfant doit-il être informé de la pertinence de son ressenti à un âge où il ne se pose pas ces questions ? ; quel intérêt à faire entendre à l’enfant qu’il pourra choisir son genre indépendamment de son anatomie ? ; qu’un ado éprouvant un malaise par rapport à son sexe biologique devrait d’emblée être soutenu dans son désir de transgenrer ? Avons-nous vraiment la liberté de tout choisir, et même si nous l’avions, ceci nous dispenserait-il d’aider l’enfant à accepter de renoncer à ce qu’il n’a pas choisi ?

Fausse route

À croire pouvoir mener toujours plus loin et plus jeune l’émancipation de l’individu, ne faisons-nous pas fausse route ? Cette autodétermination trop précoce fait perdre à l’enfant le sens de la transmission entre générations. Grandir demande de rencontrer des adultes qui n’obligent pas l’enfant à prendre des responsabilités qui ne sont pas les siennes en lui demandant son “D’accord !” pour tous les faits et gestes de son quotidien.

Quand allons-nous nous apercevoir qu’inviter, voire inciter au libertarisme de l’autodétermination des enfants a des conséquences délétères sur la vie collective ? Cette dernière a apparemment perdu sa prévalence au profit de la particularité de chacun mais s’ensuit que ce sont alors l’autorité, l’altérité et l’antériorité qui ne sont plus au programme. Ce dont d’ailleurs tout le monde se plaint !

L’enfant n’est ni autonome, ni d’emblée responsable ; alors le mettre à la même place que l’adulte est un non-sens. Son trajet est d’avoir à “grandir”, c’est-à-dire de renoncer à sa toute-puissance d’enfant.

 

 

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Antisémitisme : « Comment désirer vivre quand l’idée de l’humanité, que chacun porte en soi, est dévastée ? »

Publié le 11 Novembre 2023 par Belinda Cannone dans Racisme et antisémitisme

Réanimer l’esprit des dreyfusards, c’est ce à quoi appelle, dans une tribune au « Monde », l’écrivaine Belinda Cannone, bouleversée par les massacres du Hamas le 7 octobre en Israël, par la guerre à Gaza et par la résurgence de l’antisémitisme qui s’ensuit.

« Comment désirer vivre quand l’idée de l’humanité, que chacun porte en soi, est dévastée», quand « le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde »(B. Brecht), quand le pogrom commis dans les kibboutz, à Be’eri, Kfar Aza, au festival Supernova a vu déferler le jouissance mortifère des barbares islamistes du Hamas et qu’ont été célébrées, comme le dit Claudel, « les monstrueuses orgies de la haine » ?

« Deux ans après le procès de Klaus Barbie pour crime contre l’humanité (1987), j’ai écrit mon premier roman, L’Adieu à Stefan Zweig (réédition chez Points, 2013), dans lequel j’avais mis en scène une narratrice, Marthe, qui s’interrogeait sur le suicide de l’écrivain le plus fameux d’Europe, en 1942, alors qu’il était à l’abri au Brésil. Je faisais l’hypothèse que plus qu’à sa dépression ce suicide, comme celui de plusieurs intellectuels et artistes de cette période, était lié à la blessure insupportable que constituait le spectacle de l’humanité avilie de 1942.

En effet, comment désirer vivre, se demandait Marthe, cinquante ans plus tard, quand l’idée de l’humanité, que chacun porte en soi, est dévastée ? Je suis entrée en littérature par cette première question, à partir de la Shoah, dont on ne parlait encore pas beaucoup dans ma jeunesse, et dont la découverte m’avait obligée à reconsidérer l’enseignement humaniste, beau mais naïf, de mon père. Non, la raison et le bon sens ne suffisaient pas à corriger le monde, il existait aussi un principe de haine, une pulsion de mort, à l’œuvre dans les sociétés, et les violences antisémites du milieu du XXe siècle en portaient témoignage. Il fallait partir de là pour comprendre ce que signifiait être humain sur la Terre.

Opposer l’intime et le personnel

Il en résultait cette seconde interrogation, capitale : même si, personnellement, je ne suis pas concernée, comment vivre lorsque je suis attaquée dans l’intime, ce creux de l’être où nichent l’image et le lien avec l’humanité ? Comment trouver la joie de vivre quand on se met à trembler devant les dérives de nos semblables, qu’ils deviennent justement trop dissemblables pour qu’on ne s’en sente pas affreusement étranger ? Chacun n’est pas seul, isolé dans son ego, il est relié, et il a besoin de souscrire à cette humanité de laquelle il fait partie, intimement.

Depuis trente ans, ces questions n’ont cessé de me tarauder, et je leur ai trouvé une formulation satisfaisante pour moi dans l’opposition que je propose entre l’intime et le personnel. Certaines dimensions de l’existence sociale ne me concernent pas personnellement (par exemple, je ne suis pas juive), mais elles m’affectent dans l’intime (dans mon humanité).

Depuis le pogrom du 7 octobre 2023, le plus grand et le plus barbare massacre de personnes juives depuis la Shoah, j’assiste avec effroi au retour en Occident du vieux démon, l’antisémitisme. Sous le couvert de l’antisionisme, nouvel oripeau d’une vieille haine, on refuse de considérer le piège dans lequel le Hamas a fait tomber Israël en provoquant, par un carnage insoutenable, sa réaction violente, ou par exemple en installant, semble-t-il, des infrastuctures militaires sous le grand hôpital Al-Shifa de Gaza.

J’ai honte de constater que l’émotion des pays occidentaux est très sélective, s’attachant quasi exclusivement au sort des Gazaouis. Je suis, moi aussi, bouleversée par ce qui leur arrive. Quel humaniste pourrait se résigner à voir des enfants mourir sous les bombes ? Pour autant, on ne peut pas se résoudre à des simplifications hasardeuses. Les abominations du 7 octobre, ce crime contre l’humanité, sont horrifiantes. Et je suis affolée par ce que raconte de nous l’inversion, cette ruse de la pensée haineuse, qui fait des premiers agressés, les Israéliens, des « nazis ». Ne voit-on pas des jeunes pleins de bons sentiments hisser, dans les manifestations propalestiniennes, des banderoles « Queers for Palestine » ? Ce serait drôle si ce n’était pas sinistre, quand on sait que les homosexuels sont pourchassés et tués à Gaza.

L’inaction des gens de bien

On raconte que quand on demandait au père d’Emmanuel Levinas, juif de Lituanie, pourquoi il avait choisi de s’installer en France, il répondait : parce que là vit un peuple qui s’est déchiré pour défendre un juif contre l’injustice.

A ce jour, plus de 1 100 actes antisémites ont été recensés en France depuis le 7 octobre. C’est pourquoi il est urgent de réanimer l’esprit des dreyfusards, urgent que nous, artistes, écrivains ou personnes publiques, proclamions notre horreur devant ce qui voudrait se rejouer. Nous savons que la seule chose qui permet au mal de triompher, c’est l’inaction des gens de bien. Agissons, ou au moins parlons, protestons. Que l’enténèbrement du monde ne passe pas par notre silence. Sans quoi aucune joie ne sera possible, car elle dépend de l’image de l’humanité que nous portons dans l’intime. Il est insupportable que les Français juifs se sentent isolés et abandonnés. Comme l’acteur Philippe Torreton l’a magnifiquement écrit, après « Je suis Charlie », il faut proclamer, d’une façon ou d’une autre, « Je suis juif ».

Belinda Cannone est écrivaine. Elle a notamment écrit « La Tentation de Pénélope. Une nouvelle voie pour le féminisme » (Pocket, 2019) et « Le Nouveau Nom de l’amour » (Stock, 2020).

 

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Voir ce que l'on voit … et ne pas se taire

Publié le 28 Octobre 2023 par Le Printemps Républicain dans Israël et Palestine

Les démocrates républicains partageront, à n’en pas douter, les termes de ce texte du Printemps Républicain, daté du 27 octobre 2023 et que je vous invite à diffuser le plus largement possible.

"On connaît la phrase de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l'on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit ». Et parce qu’aujourd’hui nous voyons bien, nous voulons dire clairement ce qui se voit si bien :  

Le 7 octobre dernier, les attaques terroristes du Hamas contre la population israélienne ont créé une onde de choc qui résonne dans les sociétés européennes comme dans le monde entier et dont on peine encore à mesurer l’étendue. Pourtant, nous savons ce qu’il s’est passé ce jour là. 

Le 7 octobre 2023, le mouvement terroriste Hamas a non seulement commis un attentat de grande ampleur, il a surtout perpétré un pogrom antisémite, le pire massacre de Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale rappelant pour beaucoup les méthodes des Einsatzgruppen lors de la Shoah par balles. Partout où sont passés les tueurs du Hamas, tout le monde a été méthodiquement assassiné, brulé, décapité, violé, démembré ou enlevé pour être réduit en esclavage. 35 de nos concitoyens ont été tués dans cet attentat et 9 autres sont retenus prisonniers à Gaza. 

Une volonté génocidaire rendue plus abjecte encore par la mise en scène des massacres et leur diffusion quasiment en direct sur les réseaux sociaux. Un « pogrom 2.0 » qui sidère l’opinion mondiale autant qu’il la clive soulevant pour une partie d’entre elle un réflexe antisémite immédiat – ce qui était ans doute l’un des buts recherchés.

De fait, les images qui nous arrivent sont terribles. Elles n’appellent que le recueillement et la peine. Mais le moment est si grave qu’il nous a semblé qu’il était de notre responsabilité, en tant que républicains de gauche, de dire aussi tout ce qu’on l’on voit en ce moment.

Nous avons vu le leader autoproclamé de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, refuser de qualifier le Hamas de « terroriste », ne lui concédant que des « crimes de guerre » immédiatement équilibrés dans son esprit par la riposte israélienne ; puis attaquer indignement la Présidente de l’Assemblée nationale avec des paroles qui sont celles d’un antisémite. 

Dans la foulée de leur mentor, nous voyons certains élus de gauche prendre fait et cause pour le Hamas élevé au rang de « résistance palestinienne » ; une rhétorique qui permet d’absoudre les massacres sans le dire explicitement. On pense bien sûr ici à la cheffe de file des Insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot,  mais aussi aux députés Danièle Obono, David Guiraud et Thomas Portes ; ils ne sont malheureusement pas les seuls… C’est en réalité la haine d’Israël qui les transforme en soutien de l’idéologie islamiste du Hamas et en relais zélés de sa propagande, comme si tout sens de la nuance avait abandonné ces gens pourtant doués de raison et de sensibilité. 

Nous voyons, en France, des manifestations propalestiniennes au cours desquelles sont scandés des slogans purement et simplement antisémites. Crier « Palestine : De la mer au Jourdain » n’est pas une critique du « sionisme » ou de la politique du gouvernement israélien, c’est tout bonnement demander la destruction définitive d’Israël. Sans compter le nombre de pancartes complotistes niant la réalité du massacre de bébés israéliens, par exemple. 

Plus largement encore, nous avons vu dans les capitales européennes flotter le drapeau d’Al Qaida et de l’Etat islamique. Nous avons vu, chez nous et ailleurs dans le monde, des étudiants juifs harcelés et attaqués. Nous voyons des jeunes gens a prioribien éduqués arracher les affichettes montrant le visage et donnant le nom des otages retenus à Gaza. 

Résultat, en France, le nombre d’actes antisémites constatés par le ministère de l’Intérieur a bondi et dépasse en bientôt trois semaines le nombre total d’actes répertoriés durant toute l’année 2022. Nos concitoyens juifs sont inquiets, c’est légitime. Pourtant cette situation devrait créer un sursaut et il n’en est rien. La société ne réagit pas. Pire, on nous presse de ne pas « importer le conflit israélo-palestinien » en France. La belle affaire ! C’est l’antisémitisme qui se révèle et flambe à son contact…

Pourquoi ? Pourquoi une telle incapacité à faire preuve d’un réflexe de simple humanité face à ces crimes ? La réponse est simple, basique : il s’agit d’Israël. Donc des juifs… Et l’antisémitisme couve encore dans nos sociétés : un « vieil » antisémitisme issu du catholicisme et du nationalisme d’extrême-droite qui voit Rivarol féliciter Jean-Luc Mélenchon mais aussi un « nouvel » antisémitisme issu du monde arabo-musulman que l’on a vu à l’œuvre lors des attentats de 2012 et 2015 en France.

La rhétorique de l’extrême gauche proclame « toutes les vies se valent ». Oui, toutes les vies se valent, mais les bourreaux et les victimes ne se valent pas. Il y a un agresseur, le Hamas, et un agressé, Israël. Une rhétorique redoutable se met en place qui consiste à dire qu’il y a alors une victime qui se défend comme elle peut, les Palestiniens, et donc un coupable - et un seul : Israël. Israël, mais en fait les Juifs, sinon pourquoi les pourchasser dans le monde entier ? 

Israël parlons-en. Soutenir Israël aujourd’hui ne veut pas dire soutenir la politique du gouvernement Israélien. Cela signifie seulement que nous compatissons à ce que subit la population attaquée de la sorte. Nous, Français, savons ce que ce que signifie être touché par le terrorisme islamiste. En revanche, notre compassion ne vaut pas caution de bombardements indiscriminés qui toucheraient les populations civiles palestiniennes et créeraient de nouveaux drames ; elle ne vaut pas soutien à la colonisation ni aux crimes perpétrés par les Colons dans les Territoires occupés ; elle ne donne pas quitus au gouvernement pour mener les réformes antidémocratiques qu’il prévoyait. 

Si Israël a le droit de se défendre, Israël n’a pas tous les droits et ne saurait ignorer ses devoirs : ce pays et son peuple, Juifs comme Arabes, ne peuvent décemment plus vivre avec un voisin comme le Hamas – il doit être défait. Mais cet objectif ne donne aucun permis de tuer des civils et, au contraire, Israël a le devoir de tout faire pour les protéger et même les délivrer du joug du Hamas. Car si Gaza est bien une prison à ciel ouvert, les hommes du Hamas en sont les gardiens impitoyables qui se fondent cyniquement au milieu de ces civils prisonniers. 

Face à toutes ces visions qui nous heurtent et nous désespèrent, le Printemps Républicain ne peut qu’appeler au rassemblement et à la concorde. Pour l’unité des Français autour d’un réflexe d’humanité, pour le sursaut de la gauche contre l’antisémitisme, ce « socialisme des imbéciles » qu’elle avait su rejeter pour s’unir et se refonder au moment de l’Affaire Dreyfus, nous appelons tous ceux qui « voient » à faire front ensemble". 

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A écouter également l'entretien d'Eugénie Bastié avec Alain Finkielkraut et Abnousse Shalmani à propos du retour de l'antisémitisme en Occident : https://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/d%C3%A9bat-finkielkraut-shalmani-l-antis%C3%A9mitisme-existe-dans-toutes-les-extr%C3%AAmes-gauches-du-monde/ar-AA1iP8on
 

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L’honneur perdu de la gauche française

Publié le 17 Octobre 2023 par Jean Mirguet dans Racisme et antisémitisme

Chacun en fait le triste constat : ce qui se passe en ce-moment au sein de la gauche française est grave. Depuis les attaques terroristes du Hamas contre Israël, Mélenchon et les siens (hormis quelques rares exceptions) se refusent à qualifier ces actes d’inhumanité. Encore récemment, la députée LFI Obono persiste en qualifiant le Hamas de « groupe politique islamiste » qui « résiste à une occupation pour la libération de la Palestine », provoquant la saisine à son encontre du Procureur de la République par le ministre de l’Intérieur « pour apologie du terrorisme ».

La complaisance répugnante de la gauche radicale à l’égard de l’antisémitisme n’est pas nouvelle : souvenons-nous du soutien de ce parti à Jeremy Corbin, de l’accueil chaleureux réservé au rappeur antisémite Médine, de l’accusation portée contre le président du CRIF d’être d’extrême-droite, de sa constance à identifier le Hamas comme un mouvement de «résistance palestinienne ».

Pour cette « gauche », l’abject cynisme et la couardise n’ont décidément aucune limite.

 

Face à se spectacle affligeant, que font les coalisés de la Nupes et, en particulier, le Parti Socialiste ? Dans la suite de l’accord électoral qui l’a vue naître et qui s’est essentiellement traduit par une commune détestation du Président Macron, de jour en jour, leurs relations deviennent de plus en plus conflictuelles. Depuis le refus de leur partenaire LFI de reconnaître les exactions criminelles du Hamas, les désaccords grandissent, rendant inévitable une décision de dissolution, seule solution honorable leur permettant de retrouver un minimum de dignité.

Là où il s’agirait de trancher promptement,  ils s’interrogent, discutent, se tâtent, mégotent, tergiversent, finassent, louvoient. Quand vont-ils décider de s’affranchir de la tutelle des Insoumis ? Quand vont-ils cesser de se fourvoyer,  de se compromettre, de se dévoyer ? Quand vont-ils prendre acte de cette donnée et en tirer les conclusions : les racismes et l’antisémitisme d’extrême-droite et d’extrême-gauche s’additionnent ?

Quand vont-ils cesser de se déshonorer et retrouver un minimum de dignité ? Quid de l’honneur de la gauche ?

 

Par les effets de l’ordre alphabétique, le dictionnaire produit d’étonnantes rencontres. C’est ainsi que dans le Dictionnaire Historique de la Langue Française, le mot honneur voisine avec celui de honte.

Entre l’honneur et la honte se nouent des liens indissolubles puisque c’est de l’absence de honte que naît la perte de l’honneur. C’est ainsi que Lacan s’exprime quand il débute la dernière leçon de son Séminaire, L’envers de la psychanalyse, en juin 1970, en disant : « Il faut bien le dire, mourir de honte est un effet rarement obtenu ».

Autrement dit, la honte, spécialement en politique et en France, est aujourd’hui jetée aux oubliettes. Elle a disparu de certaines consciences même si l’inflation des demandes de pardon, les repentirs, les regrets, les excuses qui se manifestent depuis de nombreuses années pourrait laisser penser l’inverse.

Faudrait-il oublier la honte de la Shoah, celle du stalinisme, celle consécutive au génocide arménien, celle liée à l’agression de Poutine contre l’Ukraine, celle que fait subir Xi Jinping aux Ouïghours, etc, etc… ?

On mesure ce qui résulte de cet effacement de la honte : la progression de l’antisémitisme, le retour des intégrismes, l’impudence sans vergogne des radicaux et des extrémistes pour qui la loi du plus fort devient la seule ligne de conduite.

Avec l’évanouissement de la honte, force est de constater que l’honneur, en tant que « principe moral d’action qui porte une personne à avoir une conduite conforme (quant à la probité, à la vertu, au courage) à une norme sociale et qui lui permette de jouir de l’estime d’autrui et de garder le droit à sa dignité morale » (définition du dictionnaire), a déserté les rangs de la gauche.

 

Le mot honneur (longtemps au féminin) apparaît en ancien français à la fin du XIe siècle. En particulier dans la Chanson de Roland, avec les deux sens qu’il gardera longtemps : une terre qui assure à son possesseur pouvoir, prestige et richesse ; une qualité, une dignité propre à tel ou tel individu, exprimant et soutenant sa réputation.

En substance, l’honneur est une réputation, un patrimoine symbolique, presque spirituel, qu’au Moyen-Age, tout chevalier se devait d’accroître pour ensuite le transmettre à son lignage.

L’honneur est donc un bien moral qui se transmet après avoir été conquis dans la lutte et qui permet à la fois d’acquérir la considération d’autrui et de conserver sa propre respectabilité.

« L’honneur est la récompense de la vertu, accordée aux gens de bien » nous dit Aristote, mais plusieurs siècles plus tard, l’honneur devient, sous la plume de Montesquieu, une demande, celle des préférences et des distinctions et rien ne s’oppose alors à ce que le vicieux l’obtienne, du moment que les conséquences sont heureuses pour la collectivité.

 

Deux versants de l’honneur donc, l’un reposant sur une conception humaniste au service d’un sujet, l’autre sur une conception utilitariste au service du politique.

Ces deux versants de l’honneur correspondent à l’opposition entre l’honneur des anciens et celui des modernes. On dit que l’honneur régnait chez les Grecs et les Romains car il fallait, comme l’écrit Tacite, « mériter sa mort ».

Aujourd’hui, l’honneur des modernes consisterait plutôt à délivrer ces derniers des obligations de l’honneur. Il est triste de constater que tous ceux qui continuent à vouloir sauvegarder cet étrange objet politique qu’est la Nupes ont décidé de s’affranchir de ces obligations et de se satisfaire  des discours idéologiques qui confondent Français juifs et extrême-droite israélienne et « mélangent, comme l’indique Jacques Attali, trois concepts : antisémitisme, antisionisme et « antibibisme », c’est-à-dire la critique d’un gouvernement israélien de droite ».

Honte à eux qui participent, activement par leurs propos ou passivement par

 leur silence, à l’apologie du terrorisme. Si leur indécence voire leur jouissance nous est tant insupportable, c’est sans doute qu’elle franchit les bornes de la pudeur, qu’elle atteint notre pudeur …

Gageons donc que la disparition de la Nupes redonne un peu de force aux vertus de la honte et de l’honneur, celles que la gauche n’aurait jamais dû abandonner.

 

 

 

 

 

 

 

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Le péril de la déshumanisation

Publié le 14 Octobre 2023 par Jean Mirguet dans Israël et Palestine

Chers amis,

Si vous n’en avez pas eu l’occasion, je vous invite à lire cette tribune du philosophe Abdennour Bidar, parue hier dans Le Monde.

Il s’agit, à mes yeux, d’un texte capital appelant à l’union sacrée à la suite des massacres perpétrés par les terroristes du Hamas puis à son impact, ce vendredi, avec l’assassinat à Arras, du professeur de lettres Dominique Bernard.

Abdennour Bidar exhorte chacun à se sentir concerné par la gravité de l’événement, à identifier et assumer sa responsabilité républicaine, à ne pas se taire et à agir.

Il appelle, en particulier, les autorités musulmanes de France à faire entendre leur voix et à ne pas se contenter de prises de parole désespérément incapables d’échapper à l’ambiguïté ou à la demi-mesure. Il importe d’échapper au piège du silence qui pourrait, à terme, devenir synonyme de complaisance.

Abdenour Bidar invite au bien-dire, à la parole décente puisqu’à l’inverse, écrit-il, « il est indécent d’entendre, ces derniers jours, des déclarations qui voudraient expliquer ce qui s’est passé en arguant de la situation intolérable faite par Israël aux habitants de la bande de Gaza, ou de tout ce que l’on peut reprocher à l’extrême droite israélienne nationaliste ou ultraorthodoxe (…) Il y a un temps pour chaque chose, une éthique du juste moment, et c’est cette temporalité qui doit être respectée. En de pareilles heures, il s’agit de condamner et de compatir, et non pas de relancer un débat ni de prétendre l’élargir, ce qui ne fait que noyer l’horreur dans le relativisme (…) Nous ne pouvons pas faire comme si cet événement ne nous convoquait pas, personnellement et collectivement, alors qu’il doit nous engager au motif de notre humanité même. Car c’est ici la déshumanisation du monde qui est le péril, une nouvelle fois hélas, dans notre modernité ensauvagée ».

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Le philosophe Abdennour Bidar sur l’attaque du Hamas contre Israël : « Vite, une parole claire et forte des représentants de la communauté musulmane de France ! »

Tribune Le Monde, 14/10/2023

Abdennour Bidar

Philosophe spécialiste de l’islam

Pas de « oui mais ». Oui, en tant qu’intellectuel musulman, je condamne sans réserve, sans ambiguïté et sans aucune hésitation les massacres et prises d’otages perpétrés par le Hamas, et je les dénonce comme une pure barbarie et sauvagerie absolument injustifiables.

A cette condamnation, j’ajoute immédiatement l’expression de ma compassion envers tous les Israéliens, toutes les victimes de toutes nationalités, qui sont mes sœurs et frères en humanité, en pensant particulièrement aux enfants, aux femmes, aux personnes âgées, à tous les innocents qui ont été fauchés par cette violence et qui, pour les survivants, continuent de la subir dans des conditions qu’il est difficilement supportable d’imaginer.

Je suis également très alarmé de constater que, du côté musulman, se fasse attendre à ce point une prise de parole à la hauteur de la gravité des faits. Je ne voudrais pas que dure trop longtemps ce silence aussi assourdissant, ou bien que nous n’entendions que des prises de parole désespérément incapables d’échapper à l’ambiguïté ou à la demi-mesure. J’appelle donc les autorités musulmanes de France à réagir enfin.

Poison de cet événement

Attention toutefois, il s’agit de le faire vite, mais aussi de le faire bien, c’est-à-dire de façon décente. Car il est à l’inverse indécent d’entendre, ces derniers jours, des déclarations qui voudraient expliquer ce qui s’est passé en arguant de la situation intolérable faite par Israël aux habitants de la bande de Gaza, ou de tout ce que l’on peut reprocher à l’extrême droite israélienne nationaliste ou ultraorthodoxe.

Cela, parfaitement entendable en soi, n’est pas recevable aujourd’hui : il y a un temps pour chaque chose, une éthique du juste moment, et c’est cette temporalité qui doit être respectée. En de pareilles heures, il s’agit de condamner et de compatir, et non pas de relancer un débat ni de prétendre l’élargir, ce qui ne fait que noyer l’horreur dans le relativisme.

Vite, donc, une parole claire, forte, responsable et courageuse des représentants de la communauté musulmane de France ! Des intellectuels, des engagés, des citoyens de culture musulmane ! Cette parole est indispensable, requise, cruciale, tandis qu’à l’inverse demeurer dans le silence serait inexcusable.

Je m’insurge, aussi, contre ceux qui, en France et de par le monde, voudraient faire de cette barbarie une cause religieuse, en l’occurrence la cause de l’islam. Non ! Non, l’islam ne saurait être légitimement invoqué ici, et personne n’a le droit de se réclamer de l’islam pour commettre ou prétendre fonder en raison l’irrationalité de tels actes. Aucune sacralité n’exonère leurs auteurs du sacrilège qui est le leur, à l’encontre de la personne humaine, de l’humanité, et d’une religion l’islam qu’ils prétendent servir alors qu’ils l’assassinent.

Plus largement que l’islam, aucune autre « cause idéologique » ne peut justifier ces actes. La cause palestinienne, si défendable, nécessaire et cruciale qu’elle soit, ne peut pas être légitimement évoquée pour pardon de l’horreur du mot face à l’horreur commise « relativiser » la gravité de ces massacres qui sont des crimes contre l’humanité. A ce titre, c’est la conscience humaine mondiale qui doit être accablée par ces actes, et c’est hélas notre humanité tout entière qui est perdante ici, d’autant plus que le poison de cet événement commence à se répandre un peu partout sur la planète.

Fraternité républicaine

Déjà en France, en effet, nous venons d’être les témoins sidérés de son impact, avec l’assassinat abject du professeur d’Arras vendredi 13 octobre. Face à cela, j’appelle à l’union sacrée. Tout cela risque de faire beaucoup pour notre vivre-ensemble déjà trop fragilisé, voire pour notre paix civile. A cet égard, notre responsabilité collective est aussi immense qu’urgente. Ne nous laissons pas diviser ! Nous devons empêcher de toutes nos forces que ne se déchaînent ici les rejets de l’autre, les replis sur soi, le racisme et l’antisémitisme, les haines et les violences qui nous gangrènent déjà et qui sont toujours plus invraisemblablement excités par telle radicalité religieuse ou tel extrémisme politique.

J’appelle tout particulièrement mes coreligionnaires musulmans à n’avoir en ces temps dangereux et face un avenir aussi incertain que des attitudes et des paroles de paix en toutes circonstances, exemplaires envers tous nos concitoyens. Et je les invite à manifester tout spécialement leur soutien à nos concitoyens juifs, si terriblement affectés par ce qui s’est passé, de la manière la plus active, claire, large, en descendant dans la rue avec eux, en allant à leur rencontre.

Une fois de plus, c’est notre fraternité républicaine qui est en jeu ! Il faut veiller à ce que cette énième mise à l’épreuve ne soit pas pour elle le coup de grâce. Face à ce risque, chacun doit identifier et assumer sa part propre de responsabilité.

Du côté politique, tous partis et toutes fonctions ensemble, c’est le moment de prononcer des discours d’une tout autre envergure. De rappeler publiquement nos fondamentaux éthiques à l’ensemble de la communauté nationale : à savoir que, quelles que soient l’origine, la couleur de peau, la conviction ou la croyance, toutes ses composantes sont membres de la fraternité républicaine. Ce qui veut dire que nous devons pouvoir compter les uns sur les autres, non seulement en termes de respect et de tolérance, mais aussi de solidarité et d’empathie en acte.

Déshumanisation du monde

Un événement comme celui-ci risque de faire entre nous tellement de dégâts supplémentaires en termes de déchirements du corps social que cette parole politique doit se faire entendre afin de réassurer la solidarité du peuple français. Cependant, là encore, quelle prise de parole, ces derniers jours, a été à la hauteur de cet enjeu, a su s’élever à une dimension supérieure, notamment en fixant le cap clair de ces fondamentaux ?

La même responsabilité républicaine est également celle des chefs des communautés culturelles ou religieuses. Mais elle est bien, plus globalement encore, celle de toutes celles et de tous ceux qui, dans notre société, occupent une position de responsabilité, du niveau national au niveau local : des médias aux différents encadrements d’institutions publiques et d’entreprises privées, des chefs d’établissement aux professeurs de l’enseignement public et privé.

Personne, face à un tel événement, ne saurait réclamer d’être « hors-sol », c’est-à-dire exonéré de sa responsabilité républicaine : chacune et chacun est sommé par la gravité de l’événement, et de ses conséquences possibles, à prendre la parole et à agir au lieu de se dire frileusement « ce n’est pas ici le lieu », « ça ne fait pas partie de mes attributions », etc.

Nous ne pouvons pas faire comme si cet événement ne nous convoquait pas, personnellement et collectivement, alors qu’il doit nous engager au motif de notre humanité même. Car c’est ici la déshumanisation du monde qui est le péril, une nouvelle fois hélas, dans notre modernité ensauvagée.

Abdennour Bidar est philosophe et spécialiste de l’islam. Il s’intéresse tout particulièrement aux évolutions de la vie spirituelle dans le monde contemporain. Il est notamment l’auteur de "Les Cinq Piliers de l’islam et leur sens initiatique", Albin Michel.

 

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