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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Le psychanalyste et le bruit

Publié le 8 Mars 2024 par Jean Mirguet in Psychanalyse et psychanalystes

Alors que les médias et le grand public se gargarisent des accusations de viols et d’agressions sexuelles portées contre Gérard Miller, le « psychanalyste star des plateaux télé », interrogeons-nous sur l’usage du titre de psychanalyste et sur les effets de l’usage de ce titre sur la psychanalyse elle-même.

"Gérard Miller, psychanalyste", ne cesse-t-on de lire et d’entendre … Oui, certainement, dans l’intimité de son cabinet, mais ailleurs ?

Est-il psychanalyste lorsque, dans un communiqué de presse, réfutant les accusations portées contre lui, il affirme comprendre que l’on puisse dire qu’un rapport inégalitaire existait avec les femmes bien plus jeunes que lui qu’il séduisait ? « Psychanalyste, universitaire, auteur, chroniqueur télé et radio, j’étais de fait un homme de pouvoir », dit-il. Il ajoute « qu’il y avait dès lors une dissymétrie “objective”, dont on peut se dire aujourd’hui qu’elle était rédhibitoire». Quid alors de sa place de psychanalyste dans cette dissymétrie ?

Est-il encore psychanalyste dans les multiples lieux où ses nombreux talents le conduisent ? Il enseigne, écrit, est réalisateur, acteur de cinéma et de théâtre, chroniqueur et éditorialiste à la radio et à la télé, militant politique.

Est-il psychanalyste partout et toujours ? Peut-on être psychanalyste partout et toujours ? À en faire son identité, à être psychanalyste à part entière, ne commet-on pas une usurpation ? Que deviennent le psychanalyste et la psychanalyse dans ce foisonnement d’activités et cette recherche persistante de l’audience ?

On pourra me rétorquer que, après tout, rien n’interdit à un homme comme lui de faire étalage de ses innombrables dons et de son habileté dans le vaste domaine de la représentation.

Rien n’interdit cela sauf que, quelque soit le lieu de ses interventions, sa qualité de psychanalyste, donc sa fonction de psychanalyste, toujours accolée à son nom, ne va pas sans poser la question d’un manquement à l’éthique.

Gérard Miller, élève de l’École fondée par Jacques Lacan et diffuseur avec d’autres de son enseignement,  n’ignore sans doute pas ce qu’énonçait Lacan dans une conférence prononcée en 1967 à Rome, connue sous le titre « La psychanalyse. Raison d’un échec » (Jacques Lacan, Autres écrits, 2001). Lacan y livre sa pensée sans détour : « Le bruit ne convient pas au psychanalyste, et moins encore au nom qu’il porte et qui ne doit pas le porter »

Ce jugement sans appel est la conséquence logique des préoccupations que Lacan a toujours eues concernant l’enseignement de la psychanalyse et la clinique analytique. Il faut rappeler qu’il avait fondé son École en vue d’un travail qui, je cite « - dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité ; – qui ramène la praxis originale de la psychanalyse dans le devoir qui lui revient en notre monde ; – qui par une critique assidue, y dénonce les déviations et les compromissions qui amortissent son progrès en dégradant son emploi».

Tout au long de son parcours, il n’aura de cesse de dénoncer les déviations, tels, par exemple, les effets de groupe.

Lacan ne courait pas après le succès de la foule ; pour lui, le psychanalyste n’est ni bateleur, ni comédien, ni cabotin. Le succès qu’il recherche est ailleurs, c’est celui du rapport de la tâche à l’acte : « La tâche, dit-il, c’est la psychanalyse. L’acte, c’est ce par quoi le psychanalyste se commet à en répondre. »

Les accusations auxquelles Gérard Miller est confronté, qui se multiplient, qui se répètent comme si elles revenaient toujours à la même place, attestent que quelque chose en lui n’a pas marché, ce qui est la définition même du symptôme. Des accusations qui viennent faire échec aux pratiques de celui cruellement surnommé « Divan le terrible ».

Un constat s’impose : celui d’une rencontre manquée, d’une rencontre ratée entre ce personnage bavard, tapageur et la psychanalyse.

Il est trop tôt pour mesurer les effets de cet événement sur les rapports du public et de la psychanalyse, déjà mise à mal et attaquée depuis quelques années.

Mais, ayant oublié ou refoulé ce que Lacan lui avait enseigné en matière d’éthique, Gérard Miller vient de rendre un fort mauvais service à cette science qu’il a piètrement servie.

 

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B
Je pense à Shakespeare et à sa comédie "Beaucoup de bruit pour rien". Voilà qui convient particulièrement à l'agitation médiatique, celle qui nourrit son quotidien de l'infamie, et qui s'en fait gloire...<br /> <br /> Gérard Miller n'est ni le premier, ni le dernier, à succomber aux charmes de la gouroutisation. Un de plus, à tort ou à raison, à se mettre sous la dent. Sous prétexte qu'il aurait manqué à son éthique, bla, bla, bla...<br /> <br /> Et pointer que l'intéressé est psychanalyste déclenche quelque chose de la jouissance. Une jouissance qui stigmatise le signifiant "psychanalyste", sur fond de propos de basse-cour, ceux qui font l'opinion.<br /> <br /> Qui est psychanalyste ? certainement pas celui qui revendique de l'être, car cela n'est pas un titre comme celui de médecin, d'ingénieur, ou de professeur, dont les fonctions sont strictement définies et réglementées par la loi.<br /> <br /> On ne peut pas officialiser le signifiant "psychanalyste" dans la mesure où il ne prend son sens que du rapport à l'inconscient, dans le cadre d'une rencontre singulière qui ne ressemble à nulle autre.<br /> <br /> Cela n'est pas parce que l'on se pare de ce signifiant que l'on mènera des cures authentiquement psychanalytiques, même s'il y a eu psychothérapie. En parallèle, cela n'est parce que l'on s'allonge sur un divan que l'on aura fait pour autant une psychanalyse.<br /> <br /> En substance, c'est dans un effet d'après-coup que l'on pourra dire qu'i y a eu du psychanalyste et de l'analysant. Dans une logique qui est celle de l'imprévisibilité. À la différence de l'acte médical qui lui, relève d'un protocole.<br /> <br /> Dès que je quitte mon fauteuil, je ne suis pas ou plus "psychanalyste", mais monsieur tout le monde avec ses qualités et ses défauts. Et dans ma pratique je ne le serai qu'avec quelques patients privilégiés. Il y faut une rencontre, de nos jours de plus en plus rare.<br /> <br /> Quel thérapeute est Monsieur Miller ? je n'en n'ai aucune idée, et il ne m'appartient pas d'en décider. Mais ce que je reproche aux médias, c'est de s'être emparé de cette affaire en toute méconnaissance de ce qu'est la psychanalyse, sa théorie et son exercice. Qui veut noyer son chien l'accuse d'avoir la rage, selon une réthorique chère aux pisse-copie. Et l'éthique du journaliste, qui devrait prendre comme phare la question de la vérité, ne pèse pas lourd devant les impératifs mercantiles.<br /> <br /> Maintenant, l'exercice de la psychanalyse rend-il vertueux ? Ceci est une autre affaire...
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J
Le signifiant "psychanalyste" est moins stigmatisé que fétichisé, par ceux-là même qui en font un support publicitaire. Quant au psychanalyste qui ne l'est plus une fois sorti de son fauteuil ... hum, hum, un fantasme de pureté ?? Pour qu’il y ait des analystes dignes de ce nom, il faut avant tout des analystes qui aient l’expérience de ce qu’est une analyse pour eux-mêmes. Pour ce qui est d’occuper la place de l’analyste, le savoir à propos de l’analyse ne compte pas pour gd chose.