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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

L’étoile jaune ne peut pas servir d’étendard contre l’islamophobie

Publié le 16 Novembre 2019 par Jean Mirguet in Politique

Un collectif d’intellectuels s’indigne de l’utilisation, lors de la marche du 10 novembre, du signe distinctif que durent porter les juifs sous le nazisme

Tribune parue dans Le Monde du 15 novembre 2019 

 

Lors de la manifestation contre l’islamophobie qui s’est tenue dimanche 10 novembre à Paris, des manifestants, dont des enfants, arboraient sur leur manteau une étoile de David falsifiée, qui est en fait une étoile à cinq branches symbolisant les cinq piliers de l’Islam. Au centre de cette étoile on peut lire Muslim, et un croissant de lune est également attaché à l’une des branches. 

A ce sujet, Esther Benbassa déclare sur son compte Twitter à l’issue de la manifestation :
« Quant au port de cette étoile, et s’il n’était qu’un hommage aux souffrances passées des juifs et une mise en garde contre toute possible dérive ? (...) Que nos contemporains stigmatisés s’identifient à ces souffrances passées est tout à fait compréhensible. » 

Hommage aux millions de morts pendant la seconde guerre mondiale, assassinés parce que Juifs ? Et rappelons-le, contraints de porter l’étoile jaune sous peine d’être arrêtés et déportés ? 

L’étoile jaune (Judenstern « étoile des juifs » en allemand) est un signe de discrimination et de marquage imposé par l’Allemagne nazie aux juifs (à partir de l’âge de 6 ans) au cours de la seconde guerre mondiale et ce, dès 1941 en Allemagne. Elle devait être cousue en évidence sur le côté gauche du vêtement. 

Différencier les contextes 

Il nous paraît indispensable de différencier les contextes et les périodes afin d’éviter de propager un amalgame trompeur et dangereux, source de confusion pour le grand public et particulièrement pour nos jeunes dont, rappelons-le, 21 % disent n’avoir jamais entendu parler du génocide des juifs, selon un récent sondage réalisé par IFOP. L’étoile jaune arborée dans le contexte de cette manifestation connaît une véritable perte de sens. On gomme ainsi la politique de persécution qui a conduit à l’extermination des juifs. 

C’est une équivoque insupportable puisqu’elle incarne la pensée par slogans, en vogue depuis quelques années, selon laquelle les musulmans seraient les « nouveaux juifs ». C’est là présupposer une similitude entre le traitement des juifs sous le IIIe Reich et celui des musulmans dans une France accusée, de façon abusive, de pratiquer un « racisme d’Etat » et de voter des « lois liberticides ». Ose-t-on ainsi insinuer que les musulmans seraient aujourd’hui discriminés au même titre que l’ont été les Juifs pendant la Shoah ? 

Devons-nous rappeler ce qu’étaient la « solution finale » et les méthodes industrielles employées pour détruire les Juifs d’Europe ? Qui oserait affirmer sans rougir que la situation des musulmans dans la France contemporaine serait semblable à celle des Juifs qu’on menait à l’abattoir ? 

La photographie d’une enfant arborant, lors de cette manifestation, ce détournement symbolique de l’étoile jaune a soulevé, à juste titre, une vive émotion. Elle révèle un autre danger d’instrumentalisation, avec des conséquences imprévisibles lorsqu’elle pèse sur l’enfance. Nous appelons les organisateurs et les soutiens de cette manifestation à exprimer publiquement leur dénonciation de ce honteux détournement de signe. Leur silence serait tenu pour approbation. 

Nous souhaitons par ailleurs que le premier ministre, Edouard Philippe, et son gouvernement se montrent particulièrement vigilants face au risque d’embrigadement, quelle que soit la cause. 

 

Martine Benoit, référente racisme et antisémitisme, professeure d’études germaniques à l’université de Lille, directrice de la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société ; Amine Benjelloun, pédopsychiatre, Casablanca (Maroc) ; Claire Brisset, ex- Défenseure des enfants ; Elie Buzyn, chirurgien retraité, ancien déporté d’Auschwitz Buchenwald ; Emmanuel Debono, historien ; Jacques Ehrenfreund, professeur d’histoire du judaïsme allemand à l’université de Lausanne ; Yana Grinshpun, maître de conférences en sciences du langage, université Sorbonne nouvelle ; Nathalie Heinich, sociologue, CNRS ; Gunther Jikeli, professeur à l’université d’Indiana, Etats-Unis ; Roselyne Koren, professeure des universités en sciences du langage au département de français de l’université Bar-Ilan, Israël ; Joël Kotek, professeur de sciences politiques à l’université libre de Bruxelles ; Smaïn Laacher, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg ; Jean-Pierre Lledo, cinéaste ; Claude Maillard, psychanalyste, médecin, écrivain ; Céline Masson, référente racisme et antisémitisme, professeure des universités, Centre d’histoire des sociétés, des sciences et des conflits, université de Picardie Jules-Verne ; Isabelle de Mecquenem, référente racisme et antisémitisme, professeure agrégée en Inspe, université de Reims-Champagne-Ardenne, membre du Conseil des sages de la laïcité ; Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire de l’éducation nationale ; Ziva Postec, réalisatrice et chef monteuse du film « Shoah » ; Patricia Sitruk, directrice générale de l’Œuvre de secours aux enfants ; Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, CNRS 

 

 

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