«Voyage halluciné dans une dictature émotionnelle» est le sous-titre donné par Ruth Rosenthal et Xavier Klaine à leur spectacle Jérusalem Plomb durci, joué ce lundi soir dans le cadre du Festival Ring à Nancy.
Manifestement, Israël sait produire de grandes cérémonies quand il s’agit de commémorer le double anniversaire de sa création et de la réunification de Jérusalem : non seulement les shows militaro-artistiques organisés par l’Etat sont conçus pour émouvoir mais l’émotion est utilisée pour façonner les esprits.
Ici comme ailleurs mais plus encore dans cette ville où tout est symbole, la dictature de l’émotion enraye la pensée et ne milite pas en faveur de la démocratie.
Devant l’écran géant sur lequel sont projetées d’immenses images des célébrations et au son d’une musique écrasante, Ruth Rosenthal arpente la scène de sa frêle allure, soit pour y interpréter quelques délicates figures de danse de son enfance soit pour défiler au pas militaire qu’elle démilitarise aussitôt et rend dérisoire en jerkant sur une musique disco.
Encerclé de petits drapeaux israéliens, à la fois protection contre un danger extérieur et enfermement dans un espace clos, le corps de la comédienne s’embrase, sa voix se fait tumultueuse, sous le coup de la tyrannie des émotions qui l’agitent et l’assiègent. De l’enthousiasme à l’angoisse, de l’attendrissement à la douleur, c’est toute une palette d’émotions que l’artiste nous fait partager.
Ruth incarne la tragédie d’un peuple qui aspire à vivre démocratiquement et à penser librement. Mais comment la liberté et la démocratie pourraient-elles se déployer quand l’émotion commande l’esprit et que les corps gardent l’empreinte indélébile de la Shoah et de son impossible représentation, à quoi s’ajoute le danger terroriste ?
Dans cette chronique d’un déchirement, il est autant question de se demander quelle issue trouver à cet enfermement tragique que de se demander ce qui le rend possible. La fin de ce spectacle bouleversant plonge la salle dans un long moment de noir : serait-ce pour nous rappeler, avec Brecht, que « le ventre est toujours fécond, d'où sortit la bête immonde »? Il n’est personne qui ne soit concerné par cette interrogation et qui « demeure saisi de la question », selon la formule onusienne.
Mais les lumières se rallument et Ruth, bien vivante avec Xavier à ses côtés, vient saluer le public.
Prochaines représentations :
6 et 10 décembre 2011 Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles
30, 31 janvier et 1er février 2012 L’Espal, scène nationale, Le Mans