"Attention à l’arrogance, vous êtes très sûr de vous", lance jeudi soir à la télévision Alain Juppé à François Hollande. Le lendemain du débat, Coppé enfourche le même argument, il a "découvert une vraie arrogance, qu'Alain Juppé a notée aussi". Et Xavier Bertrand n’est pas en reste qui « préfère quelqu'un qui fait preuve de sincérité, comme Nicolas Sarkozy, plutôt que quelqu'un qui a de l'arrogance, comme François Hollande ».
Voici donc la dernière trouvaille de l’UMP: l’adversaire socialiste est arrogant. Candidat présomptueux, il a l’audace de vouloir devenir chef de l’Etat, il ose demander à ses concitoyens de lui confier la direction du pays, s’avise de s’arroger le droit de devenir Président. Pour ceux qui, à l’UMP, considèrent que le pouvoir est leur chose, que tout leur est dû, et qu'il n'y a qu'une seule politique, la leur, la pilule Hollande est difficile à avaler.
Je parie que cette dénonciation de l’arrogance du candidat socialiste permettra bientôt aux aficionados sarkozystes de mettre en lumière, par contraste, la modestie de leur champion qui, entre fausses confidences et regrets sincères (?), évoquait, mardi, l’éventualité de la fin de sa carrière politique.
Dénoncer l’arrogance de l’autre, est-ce injurieux ? Ou est-ce une insulte ?
Est-ce injurieux ou insultant quand Jacques-Alain Miller moque François Hollande, « relooké Imperator » et écrit dans Le Point du 20 octobre 2011 que « le makeover de Hollande faisait rire. Plus maintenant : il symbolise la transformation politique de l'Homme-de-gauche-édition-2012. Ses premiers pas sont encore hésitants ? Normal, après une opération aussi lourde : une mue, une métamorphose à la Kafka, le lifting de tout le corps. Fade et flou face à une Aubry en noir et blanc, Hollande vainqueur a prononcé dimanche soir - pour la première fois, j'en jurerais - le mot "impérieux". Son discours était au diapason. Pour ainsi dire, Clemenceau perçait sous Flanby (...) Cette image de synthèse tiendra-t-elle la distance ? ».
Arrogant, relooké Imperator, Flanby, image de synthèse : des insultes ? des injures ?
Faire injure à quelqu’un, c’est d’abord commettre une injustice à son égard, c’est une offense par des paroles blessantes, un outrage alors que l’insulte tente de vous atteindre et de vous détruire dans votre existence de sujet.
Alain Didier-Weill (Les trois temps de la loi, Seuil, 1995) distingue radicalement l’injure de l’insulte : l’injure dit quelque chose de faux tandis que l’insulte nomme un réel que le sujet n’est pas en mesure de contester. L’insulte renvoie le sujet à un jugement portant sur ce qu’il est réellement, depuis toujours. C’est une affirmation.
Quand l’insulteur jouisseur, débordant de colère ou se contenant froidement (ça dépend de sa structure), déverse son flot d’insultes, on sent bien qu’il n’y a pas assez de mots pour dire l’insulte définitive, celle qui ferait mouche pour atteindre l’être de l’adversaire et le réduire à néant : le mot ultime fait défaut pour pouvoir dire ça. L’insulteur éructe ou persifle quand il n’a plus assez de mot pour métaboliser la colère qui l’étouffe.
Enfin, last but not least, l'insulte peut se cacher sous l’hypocrisie des bonnes manières et se donner les airs de raffinement qu’on trouve chez le dandy, l’esthète ou pire, le gommeux ou le bobo pédant.
Mais il y a aussi des psys qui revendiquent l’usage d’une certaine forme d'insulte dans la direction de la cure et qui considèrent que l’insulte est une coupure salutaire, notamment dans les discours prétentieux qui ignorent qu’ils sont insultants... . Politiquement incorrecte, l’insulte peut se révèler un remède possible contre les boursouflures narcissiques...