Le film de Sophie Robert, Le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, s’attache à caricaturer la prise en charge psychanalytique de l’autisme. En manipulant les témoignages des psychanalystes interrogés, en tronquant des phrases sorties de leur contexte, la réalisatrice conforte ceux qui veulent éliminer la psychanalyse du travail thérapeutique avec les autistes.
Comme Caroline Eliacheff l’indiquait sur France Culture cette semaine, ce film est un abus de confiance et une escroquerie, au service de Vaincre l’autisme, l’association qui, depuis des années, mène la croisade contre les psychanalystes et milite en faveur des thèses neurologiques (génétiques) et des programmes de rééducation d’inspiration neuro-cognitiviste (méthode ABA).
Le film de Sophie Robert reprend la thèse éculée de la culpabilité de la mère dans la genèse de l’autisme et entretient l’idée que les psychanalystes culpabiliseraient les parents, avec la certitude que, seules, les méthodes éducatives seraient efficaces.
Or, la culpabilité portant sur les parents d’enfants autistes vient de l’idée psychologique simpliste que ce qui arrive à l’enfant vient des parents. Les psychanalystes ne partagent pas cette conception et c’est procéder à un mauvais procès que d’en faire des accusateurs des parents. Mais, on ne peut nier que ce type d’opinion rudimentaire a cours chez un certain nombre de professionnels candides et inexpérimentés, peu formés, se réclamant gauchement d’une psychanalyse psychologisée. « L’inconscient des psychologues est débilitant pour la pensée », note Lacan...
Cette semaine, lors de l’audience du procès contre le film, l’avocat des plaignants a déclaré qu’on ne pouvait pas faire dire à quelqu’un le contraire de ce qu’il n’avait pas dit, de ce qu’il pensait et de ce qu’il écrivait dans ses articles (rappelons que trois des psychanalystes interviewés demandent le retrait de leurs interviews ou, à défaut, l’interdiction du film, estimant que leurs propos ont été "défigurés" au montage).
C’est particulièrement vrai pour Alexandre Stevens, psychiatre et psychanalyste, fondateur en 1982 du Courtil, une institution belge accueillant des enfants et jeunes adultes psychotiques et névrosés graves. Dans un article paru dans les Feuillets du Courtil (n° 29, janvier 2008), intitulé « Aux limites du social : les autismes », il rappelle que le tableau clinique de l’autisme est fait d’une prévalence du repliement sur soi. Le sujet se ferme à ses proches ressentis comme l’envahissant. Cet envahissement peut se manifester par ce qui est éprouvé comme un excès de demandes ou de désir de la part de ceux qui s’adressent à lui d’une façon reçue comme intrusive. C’est la présence qui est excessive, surtout quand se fait sentir un trop-plein du regard ou de la voix. S’impose alors au sujet autiste la nécessité de se retirer ou de se mettre à l’abri pour mettre l’Autre à distance.
Cette mise à distance peut prendre différentes formes, comme par exemple une attaque contre l’Autre. Récemment, au cours d’une séance de supervision, des éducateurs d’ITEP me parlaient d’un jeune adolescent qui, faisant le chien alors que la psychologue venait le chercher pour un entretien, l’avait sévèrement mordue à la jambe.
Compte tenu des diverses formes prises par l’autisme, Alexandre Stevens demande s’il convient de parler de l’autisme ou des autismes. S’agit-il d’une maladie ou d’un style de vie singulier ? S’agit-il d’une psychose ou est-ce un handicap ? La cause est-elle organique, génétique ou à rechercher dans la façon dont un sujet accède à la parole, s’inscrit dans le lien social ? Est-ce la « réponse » d’un sujet à des difficultés ?
En parler comme d’une maladie implique l’existence d’une cause extérieure : cause physique, organique, génétique. Une telle cause existe peut-être, mais, jusqu’ici, la preuve n’en a pas été apportée.
Faire de l’autisme un handicap suppose une déficience provoquant une incapacité avec un accent porté sur le comportement, susceptible d’être rééduqué.
Puisqu’il a été observé, dans l’autisme, une séparation radicale des affects et de l’intellect, puisqu’ils parlent sans être impliqués dans ce qu’ils énoncent et sans que des émotions accompagnent leurs paroles, il y a une difficulté du travail concernant comment être présent pour eux ? Leur côté plutôt verbeux fait de leur parole une parole déconnectée de celui qui parle, une parole sans énonciation qui rend l’Autre absent. C’est ce qui fait dire à Lacan que les autistes n’arrivent pas à entendre ce que nous leur disons en tant que, justement, nous nous en occupons : c’est parce que nous nous en occupons qu’ils ne nous entendent pas donc qu’ils nous rendent inexistants. Il s’agit d’être présent sans trop l’être.
Sophie Robert s’est bien gardé de reprendre ces éléments pour ne retenir qu’une charge contre la psychanalyse et il est heureux qu’Arte ait refusé de diffuser son documentaire.
Mais il est tout aussi inutile de vouloir s’engager dans une bataille frontale avec les tenants des méthodes éducatives comportementales. Ce combat débouche inévitablement sur un « ou toi ou moi », à terme mortifère.
Une autre voie est proposée par la Coordination Internationale entre Psychothérapeutes psychanalystes s’occupant de Personnes avec Autisme (CIPPA) : http://old.psynem.org/Cippa/ .Cette association s’inscrit dans un esprit de constante articulation avec les autres approches et dans une démarche toujours intégrative et jamais exclusive des autres apports : stratégies éducatives, scolarité et approches rééducatives comme l'orthophonie, la psychomotricité, l'ergothérapie, etc... Elle insiste sur le travail de jonction effectué entre ses propres recherches, celles des sciences cognitives, des neurosciences et de la génétique.
N’est-il pas urgent que les psychanalystes inscrivent leur place dans cette conjugaison des approches ?