Merci à mon ami Michel Brun d’avoir proposé à votre lecture ce texte consacré à l’usage abusif de la notion de discrimination positive.
On peut ne pas partager toute son analyse mais il a sans aucun doute raison de s’indigner de cette nouvelle forme de discrimination qu’a pris le racisme, en lui accolant le qualificatif de « positif ».
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Michel dénonce ce qui est devenu l’équivalent d’une révolution culturelle envahissant l’Université et les médias . Cela porte un nom : le wokisme, une idéologie importée d’Outre-Atlantique et portée par des militants dont le discours fragmente l’unité républicaine en renvoyant les citoyens à une identité fondée sur leur origine, leur sexualité ou leur genre.
Je ne pense pas que cette nouvelle culture soit, comme Michel le laisse entendre, encouragée par nos dirigeants actuels. Bien au contraire. Voir à ce sujet, par exemple, la polémique provoquée il y a un an par les propos de Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, sur l’islamo-gauchisme ou les commentaires de Jean-Michel Blanquert, ministre de L’Education Nationale, qui définit le wokisme comme «un nouvel obscurantisme qui vient saper la démocratie et prépare les marches vers le totalitarisme ».
Le terreau idéologique de la discrimination positive est le victimisme au service du communautarisme ; elle fait primer une appartenance identitaire au détriment des qualités propres de la personne, de ses capacités, de sa responsabilité et de sa liberté.
La revendication de discrimination positive est une stratégie opportuniste visant à obtenir des passe-droits voire pour conquérir le pouvoir. Ici, toute différenciation est traitée comme une discrimination. Réserver des toilettes distinctes pour les Noirs et les Blancs est inadmissible mais cela n’empêchera pas L’UNEF de militer en faveur de l’organisation de réunions "interdites aux blancs".
Comme Michel Brun, je partage l’idée du caractère positif du métissage de la société française, à la condition que les valeurs qui fondent la République, la liberté, l’égalité, la fraternité demeurent notre socle commun.
On regrettera, avec Isabelle Berbéris dans L’art du politiquement correct, qu’aujourd’hui, le passage obligé de toute revendication contre la domination soit de faire spectacle de son statut de dominé, de sa misère, d’être « fier » d’avoir honte ». A quoi elle ajoute ce paradoxe du différentialisme, déjà bien identifié par Tocqueville : revendiquer l’égalité, non pas au-delà des différences, mais dans l’affirmation exacerbée de ces dernières. Cette maladie chronique de la démocratie exacerbe simultanément la haine de la différence et sa revendication. À mesure que s’accroît l’égalité, s’accroît la virulence du rejet de la différence.
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LES ABUS MÉDIATIQUES DE LA DISCRIMINATION POSITIVE : UN CHEMIN DÉVIANT VERS UNE SOCIÉTÉ MÉTISSE.
L’auteur de ces quelques lignes n’appartient à aucun parti et ne soutient aucune idéologie. Je ne parle ici qu’en mon nom, en prenant appui sur le discours analytique. Le discours analytique, au sens défini par Lacan, n’est pas un discours supplémentaire mais son objectif est de pointer la limite des autres discours et le rapport aux objets qui les fondent. C’est ainsi que le discours analytique pourra interroger la sémantique et les particularités du discours du maître, de l’universitaire, ou encore de l’hystérique.
Pour la petite histoire, ayant passé ma jeunesse en Afrique, j’ai été habitué à une société métissée et bigarrée et j’en ai fait mon miel. Mon seul racisme, à ce jour, ne concerne que la connerie. Étant entendu qu’elle n’a strictement rien à voir avec la couleur de la peau.
La discrimination positive est une expression paradoxale dans la mesure où elle associe deux termes apparemment incompatibles, tout en opérant un renversement de sens du mot discrimination. Quoi qu’il en soit, la discrimination positive se propose, à sa manière, de réparer les injustices. Soit, mais à trop appuyer sur son ressort elle risque de manquer sa cible. C’est ce que j’entends montrer ici.
Pour aller au plus court de sa définition, la discrimination positive est un moyen ou une attitude consistant à valoriser certaines minorités opprimées (ou s’estimant comme telles), ou à privilégier celles et ceux qui ont fait ou font encore l’objet d’un ostracisme racial et culturel. La dialectique de la discrimination positive se situe dans une même logique que celle qu’elle entend dénoncer, sous la forme inversée et insistante de la revalorisation de ce qui a été dévalorisé. Ce qui n’est pas sans conséquences lorsque le procédé confine à l’excès et qu’il ne tient pas compte des résistances de ceux auquel il s’adresse. C’est le cas en ce moment, et cela mérite d’être souligné.
C’est ainsi que la télévision d’Etat de l’Hexagone, via les interviews du type micro-trottoir, ou via la publicité, a accentué depuis plusieurs années une tendance consistant à accorder une priorité médiatique aux personnes originaires du Maghreb, puis, plus récemment, à celles issues d’Afrique noire. Ce sont ces dernières qui occupent désormais le devant de la scène.
Il y a même une troublante analogie de ce phénomène, voire un parallèle, avec la montée en puissance médiatique des LGBTQ, autrefois ostracisés, et qui, sous l’influence de la théorie du genre, s’efforcent d’instaurer de nouvelles normes identitaires en s’accrochant au train de la discrimination positive. Et en ce début d’année 2022 la promotion qui leur est faite est sans précédent sur les chaines nationales.
Pour continuer sur le thème de la diversité ethnique, il est à peu près certain que les régies publicitaires, les banques, les grandes entreprises, les établissements publics de toutes natures sont aux ordres. En ce sens, n’auraient-ils pas reçu « d’en haut » un cahier des charges qui leur dicte le style et les priorités de leur adresse au public ? Mais le phénomène a désormais pris une telle ampleur qu’il ne peut en aucun cas être un effet du hasard : être « Black » est d’abord « tendance», avant de devenir une norme identitaire incontournable. C’est si vrai que les publicitaires orientent de plus en plus la promotion de leurs produits vers une nouvelle cible, les couples mixtes et les familles qu’ils fondent. Toutes les origines ethniques y sont représentées, y compris les Asiatiques qui commencent à faire une timide apparition sur les écrans. On assiste même à une combinatoire, pour l’instant encore discrète, entre LBGTQ et toutes les nuances de couleurs de peau.
Depuis quelques mois l’insistance de la discrimination positive dans les médias est devenue une offensive magistrale contre le racisme, quasi paroxystique. Le battage médiatique autour de l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, pour méritée qu’elle soit, en est une autre illustration.
Que se passe-t-il en ce moment, sinon un véritable lavage de cerveau ? Sa finalité ne fait aucun doute : il s’agit de confiner progressivement le citoyen lambda dans une sorte de néo-ghetto idéologique, celui de la bien-pensance. Difficile de s’extraire de ces suggestions, répétées à l’envi sous forme d’un conditionnement progressif, insidieux, et imparable. Sur le fond, il s’agit en réalité de museler par anticipation toute réaction critique, voire haineuse, à l’égard de ceux qui ne ressemblent pas tout à fait au Français moyen, ces « aliens » susceptibles de devenir des envahisseurs ou d’être dangereux. Ceux que la police interpelle parfois pour délit de faciès.
C’est ainsi que nous assistons à une manipulation de l’opinion visant à dicter ce que doit être la bien-pensance, celle qui découle de l’application de la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Mais il suffit d’ouvrir les yeux pour réaliser que l’insistance du slogan est à la mesure de son défaut d’application.
Manipuler, mais comment et pourquoi ? Quels sont les probables enjeux d’une telle stratégie ?
Les techniques de persuasion des masses sont apparues en Europe à la fin du XIXème siècle, d’abord pour lutter contre les révoltes ouvrières. Elles se sont ensuite propagées aux États-Unis, notamment en vue de convaincre les citoyens d’engager l’Amérique dans la première guerre mondiale. Souvenons-nous de l’emblématique « Uncle Sam », affublé d’un haut-de-forme étoilé, pointant le doigt vers chaque sujet américain portant culotte, et lui intimant l’ordre de rejoindre l’armée des USA. Hypnose, quand tu nous tiens !
Ce que l’on sait peu sur l’origine de ces techniques, c’est qu’elles sont dues au neveu de Freud, Edward Bernays, qui fut l’inventeur de la propagande politique institutionnelle et de l'industrie des relations publiques…
Edward Bernays connut son heure de gloire outre-Atlantique. On peut le considérer comme le créateur du marketing et des méthodes de fabrique du consentement des foules. L’ouvrage qui le rendit célèbre parut aux USA sous le titre de « Propaganda ».
Aujourd’hui, en France, la diffusion de l’idéologie politique d’Etat emprunte les mêmes voies que celles du marketing, avec une particularité que l’on doit initialement à la pensée philosophique de Machiavel, dissociant morale et politique. Machiavel réfutait l’a priori de toute conception morale du pouvoir : selon lui le chef de l’état ne devait pas obéir à une morale fixe, mais s’adapter aux circonstances, à ce que Machiavel appelait la « fortune » (du latin « fortuna » signifiant la chance, le destin).
En dissociant la morale du pouvoir, Machiavel n’incitait pas le chef de l’Etat à radicalement s’affranchir de la morale, mais de ne le faire qu’en cas de nécessité. C’est ce qu’aujourd’hui on appellerait « le pragmatisme politique », ou encore le primat de la fin sur les moyens. En d’autres termes, la manipulation.
C’est très exactement ce qui se passe chez nous. Le pouvoir exécutif redoute peut-être les assauts de l’extrême droite à l’approche des futures présidentielles mais craint plus encore le déclenchement de pogroms en réponse aux exactions du terrorisme (attribuées aux migrants, bien entendu). Pour conjurer cette menace il essaie de faire croire au peuple, par l’image, que nous vivons harmonieusement dans une société multiethnique, pour ne pas dire multiraciale. Mais c’est faire fi de la réalité des inégalités et des tensions raciales permanentes qui font, entre autres, flamber les banlieues, désormais devenues territoires perdus de la République.
Le message subliminal adressé aux extrémistes, surtout de droite, est clair : la société française est désormais une société métisse, il faut s’y faire. Le temps de la suprématie blanche est révolu. Vous n’utiliserez pas les problèmes liés à l’immigration et à la couleur de peau pour en faire un argument électoral. Quelle que soit notre origine, nous sommes tous des Français, dès lors que nous en avons la nationalité par l’application du droit du sol. Et d’ailleurs, vous les extrémistes, confondez origine et identité. On ne choisit pas son origine, en revanche on construit son identité dans son pays d’accueil, identité soutenue par l’idéal égalitaire républicain…
On voit bien qu’il s’agit ici de désarmer la haine dans laquelle pourraient être trempés les bulletins de vote. Tout autant que de neutraliser l’incantation zémourienne selon laquelle « on n’est plus en France ».
Tenter d’éviter les conflits sociaux et les tensions raciales est sans doute louable, mais traiter les citoyens comme des enfants à qui on doit faire la leçon est plus discutable. Force est de constater qu’on préfère leur bourrer le crâne par imprégnation de slogans répétitifs et plus spécialement au moyen d’images récurrentes, valant discours. Images supposées formater à la longue l’opinion publique. Je ferai référence ici aux travaux de Konrad Lorenz, en éthologie et en psychologie. Pour Lorenz l’imprégnation est l’introjection, souvent définitive, d'un lien indissociable entre un déclencheur extérieur, faisant fonction de stimulus, et une réponse déclenchant un comportement instinctif. Cela vaut pour les oies, mais aussi les humains.
Le côté pervers de ce système de conditionnement par l’image, via la mobilisation de la pulsion scopique, c’est qu’il fait l’économie du registre du Symbolique, qui est celui du discours, de la dialectique, et du débat contradictoire. Et lorsque la parole est mise en échec, c‘est la violence qui s’impose et fait loi.
C’est en effet grâce au recours à l’Imaginaire, à l’injection répétitive dans le cerveau de formes visuelles prégnantes, que sont supposés devoir se « normaliser » auprès de l’opinion certains types physiques et morphologiques autrefois considérés comme minoritaires ou marginaux. Car le Français a maintenant cessé d’être un blanc caucasien dont les ancêtres étaient les Gaulois.
Mais le registre de l’imaginaire, dans la mesure où il est régressif par l’usage qui en est fait ici, contribue à mettre à l’écart la parole et le débat. L’image répétée agit dans l’esprit comme un mantra incantatoire, elle a valeur d’injonction. Elle conditionne la pensée et le comportement de celui qu’elle affecte. À ceci près que toute injonction produit un refoulement qui fera retour dans le réel sous forme de symptôme, et souvent dans la logique du pire. Ce faisant il n’est pas dit que les ostracisés y trouvent finalement leur compte.
Ma conclusion sera brève. Que la société française soit appelée à se métisser est une évolution incontournable. Et il n’est pas exclu que cela soit une bonne chose, ne serait-ce que sur le plan de la régénération génétique de la population. Seul l’avenir le dira.
Mais ce processus doit être le produit d’une évolution naturelle, et non pas d’un matraquage idéologique par l’image, insidieux et infantilisant. Procédé dangereux, s’il en est, finalement trop visible pour n’être pas repéré. Au risque, à terme, d’exaspérer les extrémistes pour qui « l’autre » constitue une menace à éradiquer…
Michel Brun
11 février 2022