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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Quand la prudence est pervertie ...

Publié le 14 Décembre 2022 par Jean Mirguet dans Le commun

Par une étrange alchimie de communication, la capacité à anticiper les coupures de courant s’est transformée en aveu d’inconséquence, tandis que la prudence s’est pervertie en alarmisme suspect, regrette dans sa chronique salutaire du 12 décembre, Stéphane Lauer, éditorialiste au Monde.

Une fois n’est pas coutume, le quotidien qui, plus souvent qu’à son tour, n’hésite pas à produire des unes racoleuses et alarmistes, publie une chronique démontrant que le catastrophisme est vendeur et que le monde médiatique se plait à ne retenir que ce qui cloche, privilégiant les ratages à ce qui marche.

On ne peut s’empêcher de penser que, décidément, nos compatriotes réagissent parfois en enfants gâtés, attendant de l’Etat et du gouvernement, quel qu’il soit, qu’ils résolvent tous les problèmes. Ils leur attribuent fantasmatiquement un pouvoir omnipotent et illimité, autrement dit une toute-puissance.

 

BLACK OUT MORAL

« La France a peur », lançait en février 1976 Roger Gicquel en ouverture du journal télévisé de TF1. La France de 2022, elle, a plutôt tendance à adorer se faire peur. En témoigne le débat sur la potentielle pénurie d’électricité cet hiver.

Il a suffi d’une communication ministérielle maladroite, d’une prise de parole intempestive d’Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution électrique, d’une mauvaise foi caractérisée et d’un opportunisme malsain de la part des oppositions et enfin d’un pays à fleur de peau pour qu’un simple dispositif administratif destiné à anticiper d’éventuelles coupures aussi courtes que planifiées se transforme en scénario digne d’Armageddon. Alors que nous ne sommes pas encore à la mi-décembre, la France est déjà sur le point de disjoncter, non par manque d’électricité, mais par défaut de bon sens et de rationalité.

Dès le printemps, le risque de tension sur le réseau électrique cet hiver était connu. Une conjonction d’aléas de court terme et un manque de vision énergétique ont fragilisé notre production d’électricité, dont plus des deux tiers sont d’origine nucléaire. Sur les 56 réacteurs disponibles, seize sont toujours à l’arrêt. Certains font l’objet d’une maintenance qui a pris du retard en raison des confinements dus à la crise pandémique, d’autres présentent des problèmes de corrosion qui nécessitent de longues réparations.

La situation est inconfortable, mais pas insurmontable. D’abord, la situation s’améliore : le nombre de réacteurs à l’arrêt a été divisé par deux depuis septembre. Ensuite, la France importe de l’électricité produite par ses voisins. Cela coûte très cher car la guerre en Ukraine a fait exploser les prix de l’énergie, mais le mécanisme d’un marché européen si souvent décrié a le mérite d’exister, quoi qu’en pensent ses contempteurs.

Distinguer le probable du possible

Pour le reste, notre approvisionnement doit miser sur les énergies alternatives, les caprices de la météo et la capacité des Français à maîtriser leur consommation. Concernant les premières, le sous-investissement se paye cash. La fluctuation des températures et l’adhésion des Français à la sobriété énergétique sont plus aléatoires et conduisent le réseau de transport d’électricité (RTE) à envisager en cas de pic de consommation des opérations de délestage, c’est-à-dire de coupures temporaires et pilotées.

Motif d’espoir dans cet océan de mauvaises nouvelles : les Français ont compris les enjeux. En novembre, ils ont réduit de 10 % leur consommation d’électricité.

Mais par une étrange alchimie de communication, la capacité à anticiper s’est transformée en aveu d’inconséquence, tandis que la prudence s’est pervertie en alarmisme suspect. Dans une société qui s’est habituée à ce que la puissance publique prenne systématiquement en charge les aléas du quotidien, tout en faisant du principe de précaution la pierre angulaire de toute prise de décision, une partie de l’opinion est aujourd’hui incapable de distinguer le probable du possible, de faire le tri entre un scénario extrême et celui qui a 99 % de chances de se produire. Les mêmes qui reprochent au gouvernement de chercher à faire peur pour pallier ses errements auraient été les premiers à fustiger son manque d’anticipation si tous les cas de figure n’avaient pas été envisagés.

De toute évidence, la parole gouvernementale n’a pas réussi à résoudre cette quadrature du cercle. L’acmé de l’emballement méticuleusement entretenu par les chaînes d’information en continu a été atteint lorsqu’un porte-parole d’Enedis a laissé croire qu’en cas de coupure de courant, les personnes sous respirateur artificiel ne sont pas un public prioritaire, alors qu’ils font évidemment l’objet d’une prise en charge spécifique.

Un florilège d’outrances

La maladresse en dit long sur la nervosité ambiante à laquelle les oppositions ont cédé en se livrant à un florilège d’outrances, chacune agitant ses épouvantails favoris. Quand Eric Ciotti, alors pas encore président du parti Les Républicains (LR), n’hésite pas à comparer la France à l’Union soviétique, Marine Le Pen alerte sur la tiers-mondisation de l’Hexagone et Ségolène Royal s’indigne que « la cinquième puissance mondiale » en soit arrivée là. Cette façon de larmoyer sur le déclin national est une posture confortable qui évite à chacun d’assumer ses propres impensés sur la politique énergétique.

Pendant des années, pour une bonne partie de la gauche et des écologistes, l’urgence était de fermer les réacteurs qui nous font aujourd’hui défaut, pas de se préoccuper de l’allongement de leur durée d’exploitation. Se plaindre aujourd’hui de l’état du parc nucléaire revient à se prévaloir de sa propre turpitude.

A droite, les critiques des partisans du tout nucléaire sont tout aussi irrecevables. Il suffit d’écouter les arguments donquichottesques du Rassemblement national et d’une partie de LR consistant à fustiger l’éolien. Les pénuries actuelles sont aussi le résultat d’un manque criant d’investissements dans ce domaine. C’est surtout en soutenant de telles options énergétiques que la comparaison avec l’Union soviétique prend tout son sens.

Le ton pris par ce débat est à la fois dangereux, contreproductif et indigne. Dangereux, parce qu’il alimente la propagande poutinienne qui exploite toutes les dimensions de la crise énergétique, même quand celle-ci n’a rien à voir avec les sanctions contre la Russie.

Il est contreproductif parce que ce n’est pas la panique qui permettra de passer l’hiver. Les Français craignent d’être pris au dépourvu par des coupures inopinées de courant ? Comment se fait-il alors que sur trente millions de ménages, moins de deux millions ont téléchargé l’application écoWatt, qui permet de connaître trois jours à l’avance les pics de tension et de se préparer à d’éventuelles coupures qui ne dureront pas plus de deux heures dans une journée ? C’est là qu’intervient l’indécence du catastrophisme ambiant : certains Ukrainiens, eux, n’ont même pas deux heures d’électricité par jour. Le black-out, s’il survient, sera surtout moral.

 

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