La
revue Esprit publie dans son numéro de novembre 2011 un article du neurobiologiste François Gonon, intitulé : « La psychiatrie
biologique : une bulle spéculative ? », à propos des recherches concernant la psychiatrie biologique et son cortège de faux espoirs et de questions essentielles. J’en propose un
résumé, mais je recommande la lecture de son intégralité (une vingtaine de pages), consultable en accès libre à http://esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=36379&folder2
La psychiatrie biologique soutient que tous les troubles mentaux peuvent et doivent être compris comme des maladies du cerveau. Certes, il existe des cas où des symptômes d’apparence psychiatrique ont des causes cérébrales identifiables et traitables grâce aux progrès de la neurobiologie, de l’imagerie cérébrale et de la neurochirurgie.
Mais peut-on en inférer que, bientôt, tous les troubles psychiatriques relèveront de la neurologie et seront traités en tant que tels ? Pour l’auteur de l’article, on peut en douter, compte tenu des incertitudes exprimées actuellement par les experts reconnus de la psychiatrie biologique dans les revues américaines les plus renommées. C’est le cas, par exemple, de Steven Hyman qui, dans un numéro d’octobre 2008 de Nature, écrit : « Aucune nouvelle cible pharmacologique, aucun mécanisme thérapeutique nouveau n’a été découvert depuis quarante ans. »
Mais, alors que l’origine de troubles comme la schizophrénie, la dépression ou la dépendance à l’alcool est un composé complexe associant biologie, psychologie et sociologie, il est remarquable de constater que pour le grand public, l’origine exclusivement neurobiologique de ces troubles est majoritairement admise. S’ajoute à cela la tendance de la psychiatrie américaine à imposer sa conception étroitement neurobiologique des maladies mentales.
Avec son a-théorisme, la publication en 1980 du DSM-3 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) a rompu avec les classifications précédentes, afin d’améliorer les diagnostics et faire entrer la psychiatrie dans le champ de la médecine scientifique. À l’époque, cet espoir pouvait sembler raisonnable puisque certains traitements ayant fait leurs preuves montraient qu’on pouvait agir sur le fonctionnement cérébral à l’aide d’une chimie appropriée.
Aujourd’hui, l’espoir fait place au doute : dans un article publié le 12 février 2010 dans Science, on peut lire que les responsables de l’American Psychiatric Association (APA) reconnaissent qu’aucun indicateur biologique n’est suffisamment fiable pour mériter de figurer dans la version 5 du DSM. De surcroît, le NIMH, principal organisme américain de recherche en psychiatrie biologique, propose de financer des recherches en dehors du DSM puisque « la classification des troubles a entravé la recherche ».
Il en va de même pour les avancées concernant les médicaments psychotropes, tout aussi décevantes, selon la revue Nature Neuroscience.
L’insuccès est également au rendez-vous à propos de la schizophrénie où n’a pas été mis en évidence d’anomalie génétique ; idem pour le TDAH (déficit d’attention avec hyperactivité).
Le constat est général : les effets génétiques paraissent de plus en plus faibles et comme l'énonce le docteur Sonuga-Barke, l’un des leaders de la pédopsychiatrie anglaise, « même les défenseurs les plus acharnés d’une vision génétique déterministe revoient leurs conceptions et acceptent un rôle central de l’environnement dans le développement des troubles mentaux ». Seul, fait exception l’autisme où 5% des cas sont expliqués par des anomalies génétiques.
Reste un aspect, connu depuis longtemps : celui de l’héritabilité des troubles psychiatriques, plus fréquents dans certaines familles que dans d’autres. Mais une héritabilité élevée n’implique pas nécessairement la seule cause génétique, celle-ci pouvant interagir avec l’environnement.
Ces considérations ont conduit Rudolph Uher à distinguer entre des maladies très invalidantes, peu fréquentes et à forte composante génétique probable d’une part, et des troubles fréquents et à forte composante environnementale d’autre part.
De ces recherches, François Gonon déduit que, dans l’état actuel des connaissances, il semble illusoire d’espérer découvrir une cible moléculaire spécifiquement responsable des troubles fréquents.
Quant aux médicaments psychotropes découverts dans les années 1950-1960, s’ils ont représenté un progrès majeur pour les troubles sévères, ils sont peu efficaces à long terme pour les troubles fréquents. Par exemple, le taux de rechute après un traitement antidépresseur est de 70%. Par contre, les psychothérapies sont considérées comme efficaces aux États-Unis, y compris celles se référant à la psychanalyse.
L’épigénétique, un nouvel axe de recherche de la psychiatrie biologique, est actuellement en plein essor. Il concerne les altérations de l’activité des gènes dues à des facteurs environnementaux. Par exemple, une maltraitance sévère dans l’enfance peut entraîner des modifications de l’activité génique profondes, durables et parfois transmissibles à la génération suivante. Dans un article de synthèse, plusieurs auteurs américains ont souligné que les études épigénétiques commençaient à révéler les bases biologiques de ce qui était connu depuis bien longtemps par les cliniciens : les expériences précoces conditionnent la santé mentale des adultes.
Revient ainsi sur le devant de la scène l’importance des facteurs de risque environnementaux des périodes pré et postnatale. En conséquence, les études épidémiologiques, qui ont mis en évidence les facteurs de risques sociaux et économiques, retrouvent du crédit. Il en va de même pour les actions préventives en direction des jeunes enfants et de leurs parents.
Suite du résumé dans quelques jours.