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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Indicible haïku

Publié le 17 Juin 2011 par Jean Mirguet in Poésie

Autant extraordinaire qu'intraduisible, autant innommable qu'insensé, l'objet a du Docteur Lacan est, comme la poésie, un des noms de l'indicible : l'essence ultime des choses, la Chose, un réel en somme.

La parole, le langage habillent ce réel dont nous ne savons rien, si ce n'est, selon Nietzsche, à travers les constructions fictives qui sont celles que le langage permet.

A la différence de notre discours occidental, de notre bavardage souvent prompt à expliciter, à arpenter la moindre parcelle de signification, à coloniser le terrain au nom de la raison organisatrice, la délicatesse du haïku déborde les digues du sens. Il s'inscrit dans "un système symbolique inouï, entièrement dépris du nôtre", que Roland Barthes appelle le sytème Japon.

En témoigne Bashô, cité par Maurice Coyaud dans Fourmis sans ombre, le Livre du haïku, qui se refuse à dire la trop évidente beauté du Mont Fuji et l'évoque un jour de brouillard :

Brume et pluie

Fuji caché. Mais cependant je vais

Content

"Gardez-vous de comprendre" recommandait Jacques Lacan : une indication donnée à celui qui, à trop vouloir donner de sens, masque le réel.

"Il n'y a rien à ajouter au haïku qui vient éclore sur les lèvres du voyageur" écrit Maurice Coyaud ; "il n'a pas besoin d'une syllabe de plus pour dire ce qu'il a à dire ; rien ne saurait l'augmenter, lui donner davantage de sens : il est, tel quel, autorité pure, qui n'a elle-même à s'autoriser de rien".

Fragile, évanescent, précaire, "il s'enroule sur lui-même, le sillage du signe qui semble avoir été tracé s'efface : rien n'a été acquis, la pierre du mot a été jetée pour rien : ni vagues ni coulée de sens" (Roland Barthes, L'empire des signes).

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