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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

psychiatrie

COMMUNIQUÉ : NON A L’ABANDON DU SANITAIRE AU SÉCURITAIRE EN PSYCHIATRIE

Publié le 9 Août 2018 par Jean Mirguet dans Psychiatrie

Paris, le 23/07/2018
 
 
Les organisations signataires, représentant usagers patients familles et professionnels de la Psychiatrie, tiennent à faire connaître leur totale opposition à la proposition du groupe de
travail sur les missions des ARS d'abandonner aux préfets le suivi des procédures de soins sans consentement.
 
Les ARS assurant un rôle sanitaire essentiel d'appui et d'intermédiaire avec les établissements hospitaliers, ce transfert de compétence conduirait de fait à faire passer la
loi de 2011 du registre sanitaire (relevant du ministère de la Santé) au registre sécuritaire (relevant du ministère de l’Intérieur), alors qu’il concerne des malades présentant des
troubles graves justifiant des soins sans consentement. Il s'agirait alors d'une régression historique sans précédent en France des relations entre les citoyens et leur administration
dans le domaine des soins, niant l'évolution de la discipline depuis le XIXème siècle au mépris de toute considération éthique.
Cette proposition, présentée comme anodine sur la base d'arguments de "tri" en matière de veille et de sécurité sanitaire, n'est pas sans rappeler des épisodes de triste mémoire voulant assujettir des décisions médicales aux prérogatives des préfets : combien de fois faudra-t-il rappeler, et notamment au ministère de l'Intérieur, que les malades mentaux ne sont ni des délinquants en puissance ni des terroristes radicalisés comme nous avons été amenés à le dénoncer à maintes reprises (articles 18 à 24 de la loi de prévention de la délinquance ou première version de la loi de 2011 sur les soins sans consentement, travaux sur la mise en place des cellules de prévention de la radicalisation) ?
Comment ne pas voir aussi dans le décret du 23 mai 2018 concernant l'utilisation d’HOPSYWEB la même intentionnalité désormais au grand jour de la part des préfectures de disposer d’un regard direct sur la situation des personnes hospitalisées sans consentement et de faire ainsi des professionnels, médecins et équipes soignantes, ainsi que des administrations hospitalières leurs subordonnés dans un rôle de supplétifs d’une administration chargée ouvertement d'une forme de contrôle social.
Une fois encore est à l’œuvre l'instrumentalisation de la psychiatrie, à laquelle on sait à cette occasion assigner un rôle auquel elle s'est toujours refusé, et dont les prémices s’inscrivaient déjà dans la feuille de route du 28 juin 2018. Les discours officiels regorgent des termes de démocratie sanitaire, de citoyenneté, de bienveillance, de bien être mental et l'on se gargarise de méthodes de déstigmatisation alors que dans le même temps œuvre sans férir le déploiement d’une logique sécuritaire décomplexée.
C'est pourquoi les organisations signataires tiennent à affirmer solennellement leur détermination à s'opposer avec force à une proposition dont chacun devrait mesurer l'atteinte qu'elle représente pour les libertés individuelles dans le pays qui se veut celui des droits de l'Homme.
 
Marc BETREMIEUX
Président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)
Rachel BOCHER
Président de l'Intersyndicale des Praticiens Hospitaliers de France (INPH)
Jean-Jacques BONAMOUR DU TARTRE
Président de la Fédération Française de Psychiatrie (FFP)
Jacques BORGY,
Secrétaire général du Syndicat National des Psychologues (SNP)
Stéphane BOURCET
Président de l’Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)
Michel CLAUDON
Président de la Conférence Nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement des Centres Hospitaliers Universitaires
Michel DAVID
Président de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitenciere de Psychiatrie (ASPMP)
Claude FINKELSTEIN
Présidente de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers en Psychiatrie (FNAPSY)
Thierry GODEAU
Président de la Conférence Nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement des Centres Hospitaliers
Pascal MARIOTTI,
Président de l’Association des Etablissements du service public de Santé Mentale (AdESM)
Gladys MONDIERE et Benoit SCHNEIDER
Co-président de la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie (FFPP)
Christian MULLER
Président de la Conférence Nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement des Centres Hospitaliers Spécialisés
Annick PERRIN-NIQUET
Présidente Comité d’Etudes des Formations Infirmières et des Pratiques en Psychiatrie (CEFIP)
Marie-Jeanne RICHARD
Présidente de l’Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (UNAFAM)
Norbert SKURNIK
Président de la Coordination Médicale Hospitalière (CMH)
Michel TRIANTAFYLLOU
Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)
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La psychiatrie publique est devenue un enfer

Publié le 14 Juin 2018 par Daniel Zagury dans Psychiatrie

Dans une tribune au « Monde » du 12/06/2018, Daniel Zagury, psychiatre et psychanalyste, chef de service dans un hôpital psychiatrique de Seine-Saint-Denis, dénonce l’état de délabrement des soins psychiatriques. Il appelle à remettre les professionnels au centre du jeu.

A force d’être annoncé, le désastre de la psychiatrie publique se déroule sous nos yeux. Les pouvoirs publics seraient bien avisés d’en prendre la mesure, car ce n’est probablement que le premier soubresaut d’une lente agonie par asphyxie économique, mais aussi par abandon, car la dimension budgétaire n’est pas seule en cause.

Au regard de l’histoire de la psychiatrie française, comme au regard de la force de la vocation de ceux qui choisissent de venir en aide aux plus vulnérables, qui sont souvent les plus démunis, on peut gager que les soignants en psychiatrie ne quitteront pas silencieusement le navire en perdition et qu’ils feront connaître, par tous les moyens, l’état de délabrement honteux du soin en psychiatrie publique.

L’insatisfaction professionnelle n’est pas le pire. Il faut y ajouter la honte de ce qu’ils sont contraints de faire chaque jour, la culpabilité de tourner le dos au métier qu’ils avaient choisi, la rage de constater la surdité et l’aveuglement des puissances tutélaires qui ne les protègent plus, mais se retournent contre eux, souvent avec cynisme et cruauté. Ils savent que c’est à eux que l’on imputera le moindre incident, alors même qu’ils dénoncent des conditions d’activité globalement dysfonctionnelles.

On récuse ce qu’ils éprouvent. On nie ce qu’ils dénoncent. Ainsi, leur souffrance n’est pas légitime puisque les indicateurs ne seraient pas alarmants ! L’hôpital fictionnel s’est totalement coupé de l’hôpital réel. A force de cracher des injonctions normatives, des guides de bonnes pratiques, des recommandations, des protocoles dont tous les soignants savent qu’ils sont inapplicables, voire parfois franchement ridicules, la bureaucratie s’est interdit à elle-même d’y comprendre quoi que ce soit.

Faut-il, dans la plus pure logique consumériste, donner un questionnaire de satisfaction au malade scandaleusement contentionné pendant plusieurs jours aux urgences de l’hôpital général, faute de place en service de psychiatrie ?

Citoyens vulnérables maltraités

Bien sûr, ce n’est pas le même désastre partout. Il y a encore quelques dispositifs soignants qui survivent péniblement, héritiers du formidable mouvement qui a accompagné la fin de l’asile pendant plus d’un demi-siècle. Et il y a encore des directions solidaires de leurs agents, tout aussi impuissantes d’ailleurs. Mais il faut avoir le courage de regarder la vérité en face, comme le contrôleur des lieux de privation de liberté vient de nous le rappeler.

Aujourd’hui en France, on abuse outrageusement de l’isolement et de la contention. Toutes les unités sont saturées et le dispositif global du soin est désarticulé. Le psychotique agité encombre les urgences. On presse le psychiatre de garde de l’hospitaliser. Il n’y a pas de lit disponible. On l’attache, parfois plusieurs jours, le temps qu’une place se libère. Les cadres infirmiers s’invectivent. Les médecins se disputent. Les patients sont catapultés, parfois sans le minimum de bilan clinique et biologique exigible. Le contexte n’est pas propice à la lucidité diagnostique. Des erreurs médicales graves sont commises.

N’importe quel administrateur ou psychiatre de garde vous le confirmera : c’est devenu l’enfer. Si l’hôpital est saturé, les centres d’accueil sont trop encombrés pour recevoir les malades dans des délais raisonnables. Les files actives des centres médico-psychologiques enflent démesurément, diminuant la fréquence du suivi, facilitant les rechutes. L’interne de garde passera plus de temps à chercher un lit, ce qui porte le joli nom de bed management, qu’à écouter le patient. Quant aux accompagnements, aux sorties, aux temps d’échanges qui humanisent le soin, il faut y renoncer.

Il serait trop long d’analyser ici toutes les erreurs successives accumulées jusqu’à ce que ce qui a été ​annoncé tant de fois dans l’indifférence se produise. La maladie de la psychiatrie relève de la polypathologie, et son traitement ne consistera pas en un remède unique. La rupture du contrat social entre le pays et sa psychiatrie publique n’a pas seulement des causes financières. Je me contenterai de souligner deux points avec force.

Il faut redonner aux soignants la vraie place qui est la leur. L’une des singularités de la psychiatrie est que chacun croit pouvoir en donner une opinion avisée. La psychiatrie doit être faite et défaite par tous, clamait Roger Gentis, dans l’élan de l’antipsychiatrie. Son vœu a été réalisé, mais de façon pervertie. La psychiatrie appartient aujourd’hui aux gestionnaires, aux économistes de la santé, aux juges, aux laboratoires pharmaceutiques, aux professionnels du fait divers, aux politiques...

Qu’on laisse une place à ceux qui en ont fait leur métier et qu’on écoute leurs doléances et leurs propositions. Ils ne se plaignent pas aujourd’hui de leur salaire, mais de la façon dont sont maltraités les citoyens les plus vulnérables au pays de Pinel et d’Esquirol.

Réconcilier le pays avec les malades et les soignants

Il faut limiter la bureaucratie aveugle dont le langage mécanique a métastasé jusque dans les esprits de certains soignants. N’a-t-on pas systématiquement voulu transformer les cadres infirmiers en manageurs ? En ne parvenant plus à penser ce qu’il advient au niveau des lieux de soins, entre les soignants et dans la relation soignants/patients, on s’interdit de comprendre, donc de réagir de manière ajustée.

En croyant que des schémas venus d’en haut vont miraculeusement s’adapter harmonieusement à la réalité de terrain, on ne fait que précipiter la catastrophe. Est-ce trop demander à nos contrôleurs, nos superviseurs, nos décideurs de quitter leurs bureaux pour venir voir comment nous travaillons et dialoguer avec nous ? Ont-ils à ce point peur de constater le gouffre entre leurs graphiques et la réalité vivante des services ?

 

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Le DSM, un frein à la recherche

Publié le 11 Mars 2014 par Jean Mirguet dans Psychiatrie

Reprenant le point de vue du Dr N. Ghaemi exerçant à Boston, Etats-Unis (« Psychopathology for what purpose ? », Acta Psychiatrica Scandinavica, 2014), un article du Dr Alain Cohen dans le Journal International de Médecine estime que les « échecs » du DSM (ouvrage de référence, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux est publié par la Société américaine de psychiatrie) devraient constituer un « appel » incitant les psychiatres européens à « se réveiller » pour réinvestir leur fructueux héritage de psychopathologie.

Selon l’auteur, deux courants principaux se dégagent, dans les critiques formulées contre le DSM-5.

D’un côté, certains contestent sa tendance à « catégoriser » les symptômes psychiques, comme s’ils étaient toujours « médicalement et scientifiquement fondés », alors qu’ils représentent surtout des « constructions sociales. » Dénonçant notamment son parti pris du « pragmatisme », ce premier type de critiques « jette le doute » sur la validité biologique et scientifique de certains critères, même pour la maladie maniaco-dépressive ou la schizophrénie. Car à force de se vouloir libre de toute entrave théorique, le DSM se limite « explicitement au champ du pragmatique », loin d’une construction scientifique : les diagnostics reposeraient alors sur ce que les décideurs du DSM estiment être « meilleur ou pire pour la profession », pour les campagnes d’assurances en matière de protection sociale, pour des contextes médico-légaux, ou pour préciser quelles approches thérapeutiques seraient à recommander ou au contraire à proscrire. Le primat de ces critères pragmatiques déjouerait « nos meilleures preuves scientifiques », et conduirait parfois à des définitions susceptibles d’encourager « le recours à des médicaments » (pensons par exemple aux troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité), des « poursuites judiciaires » (comme avec l’évocation du syndrome de stress post-traumatique) ou les décisions des gouvernements de moins rembourser certains traitements.

Mais sans surprise, le cours naturel des maladies ne se conforme pas toujours à cette vision « pragmatique » des leaders d’opinion de l’American Psychiatric Association, éditrice du DSM, et « les études (génétiques, biologiques, pharmacologiques) échouent souvent » à confirmer les catégories du célèbre manuel où l’auteur voit un « problème majeur » : du fait de son versant exclusivement pragmatique, le DSM aurait « ruiné la recherche en psychiatrie pour deux générations. »

L’autre reproche fait au DSM est inverse du précédent : « il constituerait un problème, non parce qu’il serait trop médical, mais au contraire pas assez », et ne reposant pas strictement sur des considérations éprouvées par une science objective, il entraverait une vision vraiment scientifique des maladies mentales.

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