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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

La pandémie, ses maux, leur traitement

Publié le 23 Mai 2020 par Jean Mirguet in Politique

La pandémie nous rappelle quotidiennement une vérité qu’ordinairement nous négligeons ou que nous feignons d’oublier : l’existence du mal. Or, de quels maux le coronavirus est-il le nom ?

 

Le premier de ces maux est la recrudescence des actes de malveillance : arnaques, actes de criminalité, de cybercriminalité, les pirates informatiques profitant de la pandémie pour mener des cyber attaques cibléesPar exemple, Interpol a émis une alerte sur le fait que des organisations criminelles écoulent des masques contrefaits, des gels hydro alcooliques de mauvaise qualité. On voit aussi certaines sociétés proposer la décontamination des logements privés ; prétextant qu’elle serait obligatoire, ils profitent de cette situation pour s’introduire frauduleusement au domicile des gens. D’autres proposent des tests de dépistage du coronavirus sans avoir autorité ou compétence pour le faire. Ou encore, profitant de l’élan de solidarité d’aide aux personnels soignants, des plateformes d’appel aux dons, frauduleux, sont organisés. Enfin, nombreux sont les cas d’actes de cybercriminalité qui vont du simple “hameçonnage” aux fausses commandes ou aux modifications de virements bancaires frauduleux…

 

D’autres actes de malveillance se multiplient : la propagation de fausses informations, de  théories du complot, de faux conseils de traitement et de prévention qui nuisent au combat des autorités pour endiguer la pandémie. Ce qui conduisait, dès février, l'Organisation mondiale de la santé a alerter sur l'"infodémie massive" qui entourait le Covid-19, à savoir une surabondance d'informations, pas toujours vraies ou exactes, avec les mêmes canulars qui apparaissent en Asie, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine. 

Si certains créent et partagent délibérément du contenu mensonger, à des fins conspirationnistes, d’autres relaient, a priori sans "malveillance" mais avec une dose de naïveté ou de crédulité (quand ce n’est pas une couche de bêtise confondante) proprement stupéfiante, des affirmations en ignorant qu'elles sont fausses. 

 

Pour d’autres encore, qui font montre d’ingénuité, leur jeu plus ou moins pernicieux a pour effet de décrédibiliser la parole publique, ce qui ne les empêchera pas ensuite de dénoncer l’incurie, l’incompétence, l’inaction, les mensonges du gouvernement. On en trouve un exemple récent dans les propos injurieux d’Ariane Mnouchkine qui fait la démonstration qu’on peut avoir un immense talent dans son domaine et se ridiculiser dès qu’on se laisse aller à la médiocre polémique politicienne et à la démagogie.

 

Avec la mise en place des mesures de confinement puis de déconfinement, l’étendue du virus de la malhonnêteté intellectuelle s'intensifie, avec une mésinformation qui touche tout le monde, y compris les gens cultivés. 

On voit, comme le note Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix, se produire une surenchère de plaintes devant les tribunaux et de recours administratifs contre l’Etat, jugé insuffisamment protecteur. Cette judiciarisation de la crise se double d’une cascade de critiques agressives et malveillantes, de pétitions contre ceux qui nous gouvernent. 

Sans doute faudra-t-il plus tard faire le bilan des erreurs, fautes, maladresses commises mais, pour l’heure, cet emballement de procès est stupéfiant et révélateur, observe la journaliste, d’une sorte de panique morale qui s’est emparée de notre société : on se plaint d’être exclu d’une protection qu’on critique autant qu’on la désire.

Mais qui aura la modestie de reconnaître que, face à cette catastrophe inédite, les services publics ont plutôt fonctionné, qu’il n’y pas eu de rupture dans l’approvisionnement alimentaire, que le système de santé a tenu (dans les conditions que l’on sait) et que le gouvernement a fait son travail dans le domaine des aides. 

 

Ce concert de manifestations hostiles est révélateur de la façon dont, en France, nous supportons les risques et exerçons nos responsabilités individuelles. Il en dit long sur la fièvre de passions haineuses et irascibles qui, depuis presque deux ans, s’est emparée de notre pays, faisant d’Emmanuel Macron et de sa politique, le bouc émissaire systématique de tout ce qui cloche, le coupable des malheurs collectifs et individuels. Ses détracteurs sont légion, les réquisitoires pleuvent, ce qui est légitime dans le jeu démocratique mais qui rend perplexe quand tout, l’accessoire comme l’essentiel, devient prétexte à dénigrement. Etonnante « morale civile », pour reprendre l’expression de Marc Bloch dans L’Etrange défaite qui ajoutait   « A nos erreurs est-il plus commode paravent que les fautes d’autrui ? ».

 

Si l’Autre est l’incarnation de la faute voire du mal, c’est souvent en raison de la puissance qui lui est prêtée. Le fantasme de l’Autre tout-puissant le rend imaginairement détenteur de possibilités infinies, exerçant une emprise sur le monde extérieur, seul à décider du cours des choses. Il est l’effet d’une pensée magique au service de l'illusion dans laquelle nous serions réduits à n’être que de simples marionnettes. 

Que l’Autre soit imaginé comme tout-puissant, invulnérable, implique l’ignorance de l’existence de ses limites. Il est fantasmé comme ne connaissant ni bornes ni défaillances, indemne de toute erreur et sachant tout.

Or, la pandémie et ses conséquences nous mettent face à la redoutable réalité des limites de la puissance des connaissances scientifiques et des progrès de la technique que nous connaissions depuis le milieu du XIXème siècle. Comme le formulent Jean-Luc Nancy et Jean-François Bouthors dans une tribune que Le Monde vient de publier, la maîtrise de notre destin personnel et collectif n’est plus à portée de main. 

La fiction de cette puissance infinie, incapable d’autolimitation est sérieusement ébranlée. On le constate dans les effets des dégâts environnementaux, de la consommation croissante d’énergie et, soulignent les auteurs, du « vertige des questions que la science se pose à elle-même lorsqu’elle établit que ses progrès les plus pointus la placent au bord d’un non-savoir abyssal ». 

Emil Nolde, Hohe Sturzwelle, 1948

Avec ce virus, nous voici placés dans une immense précarité. « Il a, poursuivent-ils, collé la possibilité de la mort sous nos yeux, nous plaçant devant l’impensable et l’inconnu par excellence. Ce n’est pas simplement la finitude de l’existence qui nous est difficilement supportable, c’est le non-savoir face auquel nous nous trouvons (…) Le « gouvernement par les nombres » - pour reprendre les termes du juriste Alain Supiot – se trouve mis en échec par le « retour » de la mort comme horizon ineffaçable »… cruelle expérience de castration, pourraient ajouter les psychanalystes.

Pour JL Nancy et JF Bouthors, l’inconnu de cette catastrophe nous commande, non pas de croire en ceci ou en cela ou de construire des plans sur la comète pour l’après, mais « d’oser prendre le risque de vivre en situation de non-savoir ». Accepter de laisser entamer notre prétention à la maîtrise (« je maîtrise ! »… quelle détestable expression), se rendre « disponible à l’inconnu qui vient ». 

Face à l’incertitude, il nous est proposé de se risquer à vivre, en se débrouillant et en construisant collectivement et individuellement nos propres inventions … dans une démocratie, seul régime en mesure de « donner un corps politique à cet acte de foi radicalement laïc ». La démocratie n’a pas pour visée de résorber l’inaccessible ou l’impensé mais « elle peut offrir la partage à voix égales du poids de la finitude et du non-savoir ». 

« Le démocrate est modeste. Il avoue une certaine part d’ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné. Et à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu’il sait par ce qu’ils savent », écrivait Camus  au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, cet autre événement producteur de mal.

 

 

 

 

 

 

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M
Jean,<br /> C'est bien commode, confortable pour moi de retrouver ma pensée "dépliée" dans les mots des autres, des tiens en l'occurrence. Rien à ajouter, sinon citer un extrait de "l'humeur des jours" du 15 mai dans La Croix, chronique tenue par Bruno FRAPPAT intitulée "L'après de l'avant" : ....l'un des éléments qui expliquent ce sentiment de "déjà vu" que l'on pressentait mais que l'on aurait rêvé d'éviter, c'est la quantité d'invariants que l'on trouve au cœur de l'espèce humaine. Il y a toujours ces traces de "barbarie universelle" que détectait Barbey d'Aurevilly, au milieu du XIX° siècle, mais aussi heureusement, ces trésors d'humanité et d'altruisme qui, dans les pires catastrophes, se manifestent y compris là où on les attend pas.....Dans une main, le fil des évènements, dans l'autre, ma boussole...A bientôt. Amitiés.
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