Il y a un an, les intégristes catholiques s’en prenaient au Théâtre de la Ville en perturbant les représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu, pièce de Romeo Castellucci. Le groupuscule Renouveau français et l'Institut Civitas, deux mouvements proches de l'extrême droite "dont le but est la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ" soutenaient ces manifestations de "jeunes catholiques", déjà à l'origine de la destruction, en avril 2011 à Avignon, d'une photographie de l'Américain Serrano, Piss Christ.
Ces jours-ci, manifestations semblables lors du Printemps de Septembre de Toulouse où a été retirée l'oeuvre de l’artiste marocain Mounir Fatmi, après les protestations de musulmans blessés de voir des passants marcher sur des versets du Coran, projetés au sol. Au coeur de la contestation : la projection de l'installation vidéo Technologia sur le sol du Pont-Neuf qui franchit la Garonne. Elle montre des cercles inspirés des "rotoreliefs" de Marcel Duchamp et tournoyant avec, à l'intérieur, des versets calligraphiés du Coran et des hadiths (paroles) du prophète Mahomet.
Au même moment et comme elle le fait chaque année depuis 1999, l'Organisation de la conférence islamique (qui regroupe 57 pays) vient de lancer une offensive diplomatique pour demander la reconnaissance en droit international du crime de blasphème.
De leur côté, des dignitaires religieux chiites iraniens ont réactivé la fatwa prononcée il y plus de vingt ans contre Salman Rushdie, lors de la parution de son roman Les Versets sataniques et augmentée de 500 000 dollars alors que se développe une agitation, souvent violente, provoquée par le film américain anodin, jugé blasphématoire contre la personne du prophète Mahomet.
De même, au Pakistan, la loi antiblasphème est utilisée de façon répétée pour justifier les persécutions contre les minorités chrétiennes.
Dans une récente tribune publiée dans Le Monde, Rachid Azzouz, agrégé d'histoire-géographie (il est ou a été inspecteur d'académie, inspecteur pédagogique régional d'histoire géographie et instruction civique), l’écrivaine Mazarine Pingeot, Philippe-Gabriel Steg, professeur de cardiologie, le réalisateur Mohamed Ulad et l’avocate Isabelle Wekstein (elle opère en duo avec la journaliste Souad Belhaddad dans des établissements scolaires difficiles pour inculquer des rudiments de civisme aux collégiens) soulignent, à la suite d’autres, que, en invoquant le blasphème, ce qui se joue au travers de ces phénomènes simultanés est la liberté d’expression. Isabelle Wekstein et Souad Belhaddad interviennent là où l'insulte - raciste de préférence - est le mode d'expression le plus fréquent, là où les préjugés et les réflexes communautaristes remplacent la culture et le raisonnement. Exemple : Mohammed, en 5e au collège Barbara-Hendricks d'Orange (Vaucluse), est plié de rire. Souad Belhaddad se plante devant lui et, tout sourire, lui lance : « Tu sais, Mohammed, quand je t'ai vu entrer dans la classe, je me suis dit, tiens, celui-là il a une tête de bougnoule, il a une gueule de sale Arabe ! » Le visage du garçon se fige, il se tasse sur sa chaise. La jeune femme poursuit d'un ton tranquille : « Tiens, "sale pute" ou "crevard de feuj", ça te fait rire. Mais quand on dit "sale Arabe", tu ne rigoles plus du tout ? Moi non plus, quand on m'a traitée de sale Arabe, cela ne m'a pas fait rire ».
Dans ce climat d’intolérance et de bêtise, toute politique d'apaisement ou de compromis avec les censeurs religieux constituerait une abdication. Comme le disait Churchill à l'attention du Premier ministre Chamberlain rentrant de Munich après avoir signé les accords avec Hitler : "Vous aviez le choix entre la paix et l'honneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre."
Prétendre qu’il faut se montrer responsable, comme l’ont avancé récemment le premier Ministre et son ministre des Affaires Etrangères est un encouragement à se taire ou à faire le dos rond alors qu’il s’agit de dire bien haut et sans ambiguïté notre refus de la censure et notre volonté de défendre la liberté d’expression.
Comme l'écrit André Gide dans son Journal, "il est certaine façon d'adorer Dieu qui fait l'effet d'un blasphème. Il
est certaine façon de nier Dieu qui rejoint l'adoration".