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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Psychanalystes, ne soyons pas sectaires ! par Marie-Noëlle Clément

Publié le 6 Mars 2012 par Marie-Noëlle Clément in Psychanalyse et psychanalystes

Marie-Noëlle Clément est psychiatre, directeur de l'hôpital de jour pour enfants du Cerep à Paris.
Article publié dans l'édition du Monde du 7 mars 2012, veille du jour où la Haute Autorité de Santé doit rendre ses recommandations dans le traitement de l'autisme.

 

En France aujourd'hui, la plupart des enfants autistes sont pris en charge dans des institutions du secteur sanitaire et médico-social. Ces structures sont nées après 1950 au croisement de deux mouvements : l'éducation nouvelle, qui considérait l'apprentissage comme un facteur de progrès global de la personne, et la psychothérapie institutionnelle. A l'origine, la psychanalyse n'était donc pas au coeur du projet de ces institutions, et beaucoup ont d'ailleurs été fondées par des psychopédagogues.

Quelle est la prise en charge d'un enfant autiste aujourd'hui dans un hôpital de jour ? Il s'agit toujours d'une approche pluridisciplinaire, adossée au trépied thérapeutique, éducatif, pédagogique. A quel niveau la psychanalyse intervient-elle ? Elle est le socle commun sur lequel les professionnels s'appuient dans le travail d'élaboration qu'ils mènent ensemble autour des enfants.

Cet outil de réflexion est compatible avec la question de l'organicité des troubles, avec la structuration des prises en charge et avec leur évaluation. Il ne s'agit pas en effet de "laisser les enfants exprimer leurs symptômes", comme on le caricature trop souvent, mais de leur proposer des activités structurées avec des médias adaptés à chacun, et d'intégrer de nouveaux outils de symbolisation tels que les supports imagés.

Malheureusement, les choses ont pris une tournure radicale il y a peu à la suite de la diffusion du documentaire de Sophie Robert Le Mur. Qu'y voit-on ? Des psychanalystes choisis pour répondre précisément à l'image d'Epinal véhiculée dans le grand public : propos abscons, interprétations caricaturales, description de séances où le psychanalyste attend que l'enfant autiste exprime un désir... Après la plainte de plusieurs praticiens interviewés, leurs interventions ont été retirées du film (décision rendue par le tribunal de grande instance de Lille le 26 janvier).

Les coupes effectuées au montage et dénaturant leurs dires sont en effet inadmissibles, mais indépendamment d'elles, et en tant que médecin directeur d'une institution à orientation psychanalytique accueillant des enfants autistes, je ne peux pas cautionner la plupart des propos tenus dans ce film. De plus, en demandant l'interdiction du Mur ou en s'en réjouissant, les psychanalystes perdent de vue ce qui fait l'essence même de leur approche. Dans le travail analytique, l'analyste se questionne toujours sur la part qu'il prend dans les réactions de son patient.

Or à quoi assiste-t-on ? A une attitude corporatiste dans laquelle certains psychanalystes se disent persécutés, mais jamais ne s'interrogent sur ce que cette tempête médiatique questionne dans leurs pratiques. Le jugement est brandi comme un étendard et le film a perdu du même coup ce qui aurait pu constituer son seul intérêt : susciter parmi nous une remise en cause de la prise en charge des enfants autistes. Nous ne pouvons aujourd'hui ignorer l'apport des sciences cognitives et des neurosciences dans nos prises en charge, de même que nous nous devons de soumettre nos pratiques aux exigences de l'évaluation.

Nos institutions doivent poursuivre leurs évolutions pour rester fidèles au caractère innovant qui a présidé à leur création. Et il ne suffit pas que beaucoup d'entre nous mènent ce combat quotidien dans leurs institutions, encore faut-il pouvoir assumer et défendre la nécessité d'une approche intégrative dans un milieu où l'adversité entre psychanalyse et cognitivisme est vive. Depuis Le Livre noir de la psychanalyse (éd. Les Arènes, 2005), les psychanalystes se sentent ouvertement attaqués par les tenants des techniques cognitives et comportementales ; ce serait un peu vite oublier que la situation est en miroir de celle qui prévalait dans les années 1970, époque où la psychanalyse était hégémonique et ne se privait pas de discours humiliants à l'encontre des collègues cognitivistes.

L'idée convenue selon laquelle ceux-ci traitaient les êtres humains comme des rats de laboratoire a d'ailleurs encore de beaux restes aujourd'hui, lorsque certains psychanalystes prétendent avoir l'apanage d'une approche "humaine" ou "humaniste" de l'autisme. Sans aller jusque-là, beaucoup parmi nous considèrent qu'il existerait une différence ontologique entre ces deux types d'approches qui les rendrait inconciliables. Dans une dizaine d'établissements français du secteur sanitaire et médico-social, nous nous apprêtons pourtant à implanter des classes expérimentales destinées aux enfants autistes, reposant sur une approche pédagogique structurée à visée subjectivante.

Dans ce projet mené en partenariat avec l'association de prévention de l'autisme PreAut, nous refusons donc un choix exclusif entre approche psychodynamique et programmes de stimulation cognitive, mais souhaitons justement évaluer, grâce à un protocole de recherche, dans quelle mesure les deux approches peuvent se soutenir l'une l'autre.

Le problème n'est pas aujourd'hui que la psychanalyse soit attaquée. Il résiderait plutôt dans la réaction offusquée de beaucoup d'entre nous, qui serait banale dans tout autre corps professionnel, mais qui va à l'encontre de l'essence même de notre discipline. Que sommes-nous devenus si nous sommes incapables de nous remettre en question et d'envisager la part que nous avons jouée dans le déchaînement actuel autour de l'autisme ?

Et comment pouvons-nous, en tant que psychanalystes, en appeler à faire taire la mémoire ? Dire que la culpabilisation des mères d'enfants autistes appartient au passé et qu'il faut considérer le présent, c'est convoquer une amnésie consensuelle qui nie la portée de l'histoire dans toute aventure humaine, alors même que c'est précisément ce à quoi s'attache la psychanalyse - permettre à chacun de se situer dans une histoire personnelle, familiale et collective.

Et c'est faire comme si la psychanalyse avait déjà évolué, et que les critiques portées contre elle seraient injustes ou concerneraient un passé révolu. Hélas, bien que sur le terrain des efforts soient menés pour concilier les pratiques, les écoles psychanalytiques instituées refusent bien souvent de reconnaître que d'autres disciplines pourraient tenir la clé de difficultés qu'elles peinent à résoudre.

Changeons d'abord nos pratiques pour intégrer les données de l'expérience, et nous ferons évoluer la théorie ensuite. Après tout, Freud en son temps n'a pas fait autre chose. Et cessons de vouloir considérer les nouvelles pratiques disponibles, notamment dans le champ de l'autisme, à l'aune des théories psychanalytiques existantes, construites en référence à d'autres pratiques et à d'autres connaissances.

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