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QUE PUIS-JE SAVOIR ?

Tenter de percevoir les mouvements profonds qui décident de la marche de l’histoire.

Le meilleur des mondes trans

Publié le 3 Janvier 2023 par Gérard Biard dans Gente et sexualité

Article de Gérard Biard, paru dans Charlie Hebdo du 28 décembre :

La croisade des militants trans contre Caroline Eliacheff et Céline Masson continue. Impossible pour ces pédopsychiatres et psychanalystes de venir parler publiquement de leur livre La Fabrique de l’enfant-transgenre (Éditions de l’Observatoire), dans lequel elles analysent en détail les dangers du prosélytisme transactiviste sur les jeunes enfants et les dérives qu’il peut entraîner. Notamment quand il les incite à s’engager dans des transitions de sexe par chirurgie ou traitement hormonal. Chaque débat, chaque conférence engendre une avalanche d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux, avec à la clé, trop souvent, l’annulation pure et simple.

Un palier a toutefois été franchi le 15 décembre, lors de leur intervention au Café Laïque de Bruxelles. Des militants cagoulés on fait irruption lors du débat et, outre les agressions physiques et verbales habituelles, ont balancé des excréments dans le local et sur les participants. Plus précisément des merdes de chat et de chien mélangées à de la litière. Dans L’Express du 19 décembre, une cinquantaine d’universitaires et d’intellectuels signaient une tribune pour dénoncer cette attaque. Sans surprise, le mot « fascisme » y est prononcé. Pour une fois, il n’est pas usurpé : balancer de la merde sur les communistes faisait partie des jeux favoris des fascistes italiens.

Dans les geôles des dictatures, on laisse les victimes baigner dans leur merde et leur pisse. On retrouve les excréments dans les outils d’humiliation et d’avilissement de tous les régimes totalitaires de la planète. Dans Salò ou les 120 Journées de Sodome, de Pasolini, le « cercle de la merde » précède juste le « cercle du sang », celui des tortures et des exécutions… Est-ce cela qu’ont voulu nous dire les petits nervis qui ont fait irruption dans le Café Laïque ?

Lorsqu’il est adulte et responsable, un citoyen doit être libre de faire ce qu’il veut de son corps et de sa sexualité, si cela ne nuit à personne. Mais dès lors qu’il prétend faire de son « ressenti » un modèle de société, le débat est indispensable. Or le débat, c’est précisément ce que refusent ces activistes, avec des méthodes d’intimidation qui sentent de plus en plus, au minimum, le camp de rééducation. Tout récemment, le seul groupe lesbien qui demeurait encore affilié au centre LGBT de Paris, les Senoritas, a été exclu – du coup, le centre n’est plus que GBT –, au motif qu’il serait « transphobe ». C’est vrai que pour parler d’identité sexuelle, on est mieux entre hommes… Ces militants font le ménage au nom de la transphobie comme d’autres le font au nom de la pureté ethnique. Ils auraient tort de se gêner puisque, désormais, la transidentité est devenue le sujet plus hype qui soit, et qu’il est du dernier chic parisien d’afficher une identité sexuelle « fluide ».

Dans un reportage diffusé le 11 décembre sur France Inter, on apprend qu’entre 2010 et aujourd’hui, en Suède, les demandes d’enfants voulant changer de sexe ont augmenté de 2 300 % (!). Certes, on peut tout mettre sur le dos des pesticides et des perturbateurs endocriniens. Mais on peut aussi y voir le résultat spectaculaire d’un lobbying agressif, dans un contexte politique et institutionnel très favorable. Alors qu’une campagne militante bat son plein contre un auteur de bandes dessinées accusé de pédophilie pour avoir simplement dessiné ses fantasmes, on ouvre micros, plateaux de télévision et colonnes de journaux à des individus dont le seul but est d’intervenir sur la sexualité d’enfants et d’adolescents. Des institutions déroulent même le tapis rouge pour leur donner la parole, croyant, on espère de bonne foi, qu’il ne s’agit là que de lutter contre les discriminations subies par les personnes trans. C’est un lieu commun, mais il est bon de le rappeler, vu les circonstances : toutes les idéologies totalitaires visent la jeunesse en priorité. •

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Quand la prudence est pervertie ...

Publié le 14 Décembre 2022 par Jean Mirguet dans Le commun

Par une étrange alchimie de communication, la capacité à anticiper les coupures de courant s’est transformée en aveu d’inconséquence, tandis que la prudence s’est pervertie en alarmisme suspect, regrette dans sa chronique salutaire du 12 décembre, Stéphane Lauer, éditorialiste au Monde.

Une fois n’est pas coutume, le quotidien qui, plus souvent qu’à son tour, n’hésite pas à produire des unes racoleuses et alarmistes, publie une chronique démontrant que le catastrophisme est vendeur et que le monde médiatique se plait à ne retenir que ce qui cloche, privilégiant les ratages à ce qui marche.

On ne peut s’empêcher de penser que, décidément, nos compatriotes réagissent parfois en enfants gâtés, attendant de l’Etat et du gouvernement, quel qu’il soit, qu’ils résolvent tous les problèmes. Ils leur attribuent fantasmatiquement un pouvoir omnipotent et illimité, autrement dit une toute-puissance.

 

BLACK OUT MORAL

« La France a peur », lançait en février 1976 Roger Gicquel en ouverture du journal télévisé de TF1. La France de 2022, elle, a plutôt tendance à adorer se faire peur. En témoigne le débat sur la potentielle pénurie d’électricité cet hiver.

Il a suffi d’une communication ministérielle maladroite, d’une prise de parole intempestive d’Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution électrique, d’une mauvaise foi caractérisée et d’un opportunisme malsain de la part des oppositions et enfin d’un pays à fleur de peau pour qu’un simple dispositif administratif destiné à anticiper d’éventuelles coupures aussi courtes que planifiées se transforme en scénario digne d’Armageddon. Alors que nous ne sommes pas encore à la mi-décembre, la France est déjà sur le point de disjoncter, non par manque d’électricité, mais par défaut de bon sens et de rationalité.

Dès le printemps, le risque de tension sur le réseau électrique cet hiver était connu. Une conjonction d’aléas de court terme et un manque de vision énergétique ont fragilisé notre production d’électricité, dont plus des deux tiers sont d’origine nucléaire. Sur les 56 réacteurs disponibles, seize sont toujours à l’arrêt. Certains font l’objet d’une maintenance qui a pris du retard en raison des confinements dus à la crise pandémique, d’autres présentent des problèmes de corrosion qui nécessitent de longues réparations.

La situation est inconfortable, mais pas insurmontable. D’abord, la situation s’améliore : le nombre de réacteurs à l’arrêt a été divisé par deux depuis septembre. Ensuite, la France importe de l’électricité produite par ses voisins. Cela coûte très cher car la guerre en Ukraine a fait exploser les prix de l’énergie, mais le mécanisme d’un marché européen si souvent décrié a le mérite d’exister, quoi qu’en pensent ses contempteurs.

Distinguer le probable du possible

Pour le reste, notre approvisionnement doit miser sur les énergies alternatives, les caprices de la météo et la capacité des Français à maîtriser leur consommation. Concernant les premières, le sous-investissement se paye cash. La fluctuation des températures et l’adhésion des Français à la sobriété énergétique sont plus aléatoires et conduisent le réseau de transport d’électricité (RTE) à envisager en cas de pic de consommation des opérations de délestage, c’est-à-dire de coupures temporaires et pilotées.

Motif d’espoir dans cet océan de mauvaises nouvelles : les Français ont compris les enjeux. En novembre, ils ont réduit de 10 % leur consommation d’électricité.

Mais par une étrange alchimie de communication, la capacité à anticiper s’est transformée en aveu d’inconséquence, tandis que la prudence s’est pervertie en alarmisme suspect. Dans une société qui s’est habituée à ce que la puissance publique prenne systématiquement en charge les aléas du quotidien, tout en faisant du principe de précaution la pierre angulaire de toute prise de décision, une partie de l’opinion est aujourd’hui incapable de distinguer le probable du possible, de faire le tri entre un scénario extrême et celui qui a 99 % de chances de se produire. Les mêmes qui reprochent au gouvernement de chercher à faire peur pour pallier ses errements auraient été les premiers à fustiger son manque d’anticipation si tous les cas de figure n’avaient pas été envisagés.

De toute évidence, la parole gouvernementale n’a pas réussi à résoudre cette quadrature du cercle. L’acmé de l’emballement méticuleusement entretenu par les chaînes d’information en continu a été atteint lorsqu’un porte-parole d’Enedis a laissé croire qu’en cas de coupure de courant, les personnes sous respirateur artificiel ne sont pas un public prioritaire, alors qu’ils font évidemment l’objet d’une prise en charge spécifique.

Un florilège d’outrances

La maladresse en dit long sur la nervosité ambiante à laquelle les oppositions ont cédé en se livrant à un florilège d’outrances, chacune agitant ses épouvantails favoris. Quand Eric Ciotti, alors pas encore président du parti Les Républicains (LR), n’hésite pas à comparer la France à l’Union soviétique, Marine Le Pen alerte sur la tiers-mondisation de l’Hexagone et Ségolène Royal s’indigne que « la cinquième puissance mondiale » en soit arrivée là. Cette façon de larmoyer sur le déclin national est une posture confortable qui évite à chacun d’assumer ses propres impensés sur la politique énergétique.

Pendant des années, pour une bonne partie de la gauche et des écologistes, l’urgence était de fermer les réacteurs qui nous font aujourd’hui défaut, pas de se préoccuper de l’allongement de leur durée d’exploitation. Se plaindre aujourd’hui de l’état du parc nucléaire revient à se prévaloir de sa propre turpitude.

A droite, les critiques des partisans du tout nucléaire sont tout aussi irrecevables. Il suffit d’écouter les arguments donquichottesques du Rassemblement national et d’une partie de LR consistant à fustiger l’éolien. Les pénuries actuelles sont aussi le résultat d’un manque criant d’investissements dans ce domaine. C’est surtout en soutenant de telles options énergétiques que la comparaison avec l’Union soviétique prend tout son sens.

Le ton pris par ce débat est à la fois dangereux, contreproductif et indigne. Dangereux, parce qu’il alimente la propagande poutinienne qui exploite toutes les dimensions de la crise énergétique, même quand celle-ci n’a rien à voir avec les sanctions contre la Russie.

Il est contreproductif parce que ce n’est pas la panique qui permettra de passer l’hiver. Les Français craignent d’être pris au dépourvu par des coupures inopinées de courant ? Comment se fait-il alors que sur trente millions de ménages, moins de deux millions ont téléchargé l’application écoWatt, qui permet de connaître trois jours à l’avance les pics de tension et de se préparer à d’éventuelles coupures qui ne dureront pas plus de deux heures dans une journée ? C’est là qu’intervient l’indécence du catastrophisme ambiant : certains Ukrainiens, eux, n’ont même pas deux heures d’électricité par jour. Le black-out, s’il survient, sera surtout moral.

 

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Un horizon possible sur terre

Publié le 19 Novembre 2022 par Jean Mirguet dans Le commun

Le sociologue Jean Viard était l’invité, ce midi sur France Inter, de l’émission Le grand face à face.

Pour lui, la question  est d’avoir une pensée qui nous fasse avancer et de ne pas casser le commun de la planète et le désir de vivre. Parce que l'homme, dit-il, avance par son désir, il n'avance pas par ses besoins. Il faut donc avancer en renforçant le désir, et le diriger dans la bonne direction. Il faut dessiner un horizon.

Sans doute, y a-t-il lieu de prendre ses propos à la lettre puisque le besoin et le désir constituent deux des trois termes d’un triptyque dont le troisième est la demande.

Dès que nous sommes dans la parole et le langage, nous avons affaire au triptyque besoin - demande – désir.

Il y a quelque chose que nous connaissons bien, c’est qu’une demande ne peut jamais être totalement satisfaite, comme telle. Lorsqu’elle est radicale, par exemple dans l’amour, il existe toujours un reste qui demeure inexaucé et toute demande comporte toujours son fond de déception car, derrière la demande, il y a toujours autre chose qui est demandé.

Or, c’est dans cet écart entre la demande et le besoin que, sous l’effet du désir, peut s’ébaucher une autre demande adressée à celui ou celle susceptible de procurer la satisfaction attendue, demande qui en passe par la parole et le langage. Au fond, le désir interprète la demande.

Dans l’ordre de la vie sociale, c’est, dit Jean Viard,  le désir ou le rêve qui donnent l’idée qu’il y a un horizon possible sur la terre. « Le réel, dit-il, se saisit par le récit qui le met en désir et en mouvement ». A l’encontre des déclinistes et autres collapsologues, il explique que le réel se réduit à l'obscénité de son état dans les moments où l'on est en manque d'histoires. C’est le moment où « il est de bon ton de se parer des vertus du pragmatisme, voire de se nourrir d'images de mort et d'effondrement qui étouffent notre créativité et mènent à la violence et à la recherche de boucs émissaires».

Au-delà de la crise qui nous déstabilise, jamais la société n'a changé aussi vite. Pour Jean Viard, il faut analyser à la fois le recul de nos grandes appartenances de classes et de nations, le rôle nouveau de l'art de vivre, du bonheur privé, des habitudes et des identités. Son livre, La France dans le monde qui vient, invite à comprendre notre culture de mobilité, le réchauffement climatique, la place nouvelle du travail, la pression d'un monde en permanence co-­informé et le développement extraordinaire d'une société collaborative, liée par des réseaux tous les jours plus nombreux.

Oui : le monde s'unifie, la terre chauffe, la société se morcelle mais internet nous relie.
Comment alors penser les formes politiques de cette société et de ce monde-là ? Comment penser l’individu devenu plus tribal que social ? De quelle manière réinventer du récit politique ?

A propos de la Coupe du Monde de football au Qatar, il déclare dans une interview qu’ « il est normal de regarder les conséquences négatives et de voir si on aurait pu faire autrement. Mais l'humanité est en train de se construire comme humanité. Pendant la grande pandémie, on a été 5 milliards à avoir les mêmes comportements. Avant la pandémie, il y avait presque 1 milliard et demi de touristes internationaux, et on va très vite arriver à 2 ou 3 milliards. Pourquoi c'est important ? Parce que la crise climatique que l'humanité a induite, et notamment l'humanité des pays du Nord, cette crise a besoin d'une bagarre commune.

La guerre climatique est un commun, et donc ce commun a besoin de vivre, d'avoir des émotions, que ce soit des émotions artistiques, parce qu'on regarde les mêmes films, parce qu'on lit les mêmes livres, parce qu'on a des leaders qui nous fascinent, que ce soit Mandela, en Afrique du Sud, Lula au Brésil, etc. Donc on a besoin de ce commun et de le construire comme objet culturel, c'est essentiel. Le sport est un des grands moments de cette construction, notamment parce que c'est populaire, et là, c'est la première Coupe du monde dans un pays arabe. Cela est des plus importants.

Ça aurait pu être négocié autrement. Le monde a changé, bien entendu. Je crois qu'il faut dire les choses sur le positif, et un peu arrêter de systématiquement critiquer, de donner le nombre d'avions qui se déplacent, etc. Il y a des millions de gens qui prennent l'avion tous les jours. Dès qu'il y a un phénomène culturel festif, départs en vacances, festivals, etc, on sort l'impact écologique, et c'est normal d'essayer de le limiter. Mais il est beaucoup plus faible par exemple que celui des vaches, qui pèse 5% du CO2 en France et qui pètent, si je peux me permettre, l'équivalent du CO2 de 15 millions de voitures.

Donc oui, il y a une hiérarchie. Je crois qu'il faut sauver les plaisirs de la vie, créer du commun et ça, ça n'a pas de prix". 

 Jean Viard : un penseur résolument positif, optimiste, qui insiste sur l'urgence de penser et de retrouver un récit commun.

 

 

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Troubles dans la sexualité … vers une psychanalyse non dogmatique

Publié le 7 Novembre 2022 par Jean Mirguet dans Psychanalyse et psychanalystes

Avec la publication de son dernier livre, Vers une psychanalyse émancipée, aux Editions La Découverte, la psychanalyste Laurie Laufer nous propose un questionnement  particulièrement stimulant qui pourrait bien venir troubler le dogmatisme et certains commentaires circulaires freudiens et/ou lacaniens.

Pour l’auteur, il existe aujourd’hui un enjeu de taille, celui de « l’émancipation de la psychanalyse elle-même, d’un soulèvement face à ses propres dogmes, d’une liberté à la barbe des énoncés canoniques », à une époque où les analyses de Foucault, les identités de genre, les mouvements LGBTQI+ et les études queers inventent d’autres perspectives en matière de genre et de sexualité. Quid de l’Oedipe, de l’ « envie du pénis », de la « différence des sexes » ? Comment la psychanalyse peut-elle prendre en compte les évolutions sociales sans s’en trouver dénaturée ? Comment peut-elle se laisser instruire par un autre discours, qui ne soit pas un discours autoréférencé ?

Pourtant, il n’est pas rare d’entendre des psychanalystes se faire les détenteurs de normes sexuelles et sociales ou s’ériger en experts de la vie psychique : pour eux, l’homoparentalité, la PMA, la transidentité sont à comprendre comme des symptômes du règne de l’individualisme contemporain … en somme, ce qui s’écarte de la bonne conduite est pathologisé avec le risque, pour la psychanalyse, de devenir un modus vivendicomportemental.

Ne pas dialoguer pas avec les théories féministes contemporaines et les mouvements trans ne présente-t-il pas le risque de passer à côté de ce que peut nous enseigner ces expériences érotiques et politiques inédites ?

Dans son livre, Laurie Laufer soutient que c’est en redevenant une théorie critique et inventive, en prenant langue avec ces nouveaux savoirs et pratiques, que la psychanalyse a chance de renouer avec l’émancipation. C’était d’ailleurs déjà l’ambition de Lacan qui incitait le psychanalyste à « rejoindre la subjectivité de son époque » car la psychanalyse n’est pas hors-histoire.

Pour quiconque a expérimenté une psychanalyse, les normes révèlent leur caractère conventionnel et arbitraire. La pratique analytique confronte le sujet à une réalité qui déborde le domaine du normatif et du biologique. C’est ce trop plein que les discours normatifs aspirent à contrôler et c’est à ces restes indomptables que s’adresse la psychanalyse qui s’affirme comme une pratique à l’envers des normes.

Comme tout savoir, le savoir psychanalytique est constitué historiquement et n’échappe pas à l’institution d’un pouvoir normalisant.

Pour penser le statut des normes dans la psychanalyse, Laurie Laufer prend un large appui sur le travail de Foucault. Celui-ci a, en effet, sévèrement critiqué la pratique normalisante de la psychanalyse, située à la pointe des dispositifs de pouvoir contemporains.

A l’opposé de Foucault, Lacan n’a cessé de se doter de concepts permettant de concevoir ce que la jouissance implique toujours de non symbolisable et de non normé, d’excès et de dérèglement (l’objet petit a, la jouissance féminine supplémentaire et « pas-toute » phallique, la jouissance hors-sens du sinthome).

Il revient alors au psychanalyste de questionner son rapport au savoir et aux normes qui peuvent découler de sa pratique. « Je voudrais vous donner cette règle de première approximation, dit Lacan en 1970, - la référence d’un discours, c’est ce qu’il avoue vouloir maîtriser. Cela suffit à le classer dans la parenté du discours du maître ». Le discours de l’analyste, lui, « doit se trouver à l’opposé de toute volonté, au moins avouée, de maîtriser. Je dis au moins avouée, non pas qu’il ait à la dissimuler, mais puisque, après tout, il est facile de redéraper toujours dans le discours de la maîtrise ».

Il évoque également le « discours de la synthèse, discours de la conscience qui maîtrise ».

La critique de Laurie Laufer reprenant les thèses foucaldiennes affirme que ce discours de la conscience fait prévaloir le discours de la norme sur le discours du droit. C’est un glissement de la loi vers la morale qui, écrit-elle, « rectifie par la médicalisation une conduite et un comportement que le champ social et politique considère comme anormaux ». « Nous sommes entrés, écrit Foucault, dans la société de la norme, de la santé, de la médecine, de la normalisation qui est notre mode essentiel de fonctionnement maintenant ». On psychologise les choses c’est-à-dire qu’on les médicalise » puisque, par pensée médicale, Foucault entend une façon de percevoir les choses qui s’organisent autour de la norme.

Avec Michel Foucault, Laurie Laufer affirme que la pratique freudienne n’a pas échappé, comme dispositif, à cette normalisation des conduites, même si Freud a dépathologisé le fait sexuel humain en promouvant le continuum normal-pathologique et si Lacan a mis en évidence les modes de jouissance de la sexuation. Toutefois, les lignes de fracture, les divergences entre Lacan et Foucault demeurent indépassables, même si l’un et l’autre donnent à la subjectivation une place prépondérante dans le dédale des normes et accordent une place majeure à la singularité, à l’énonciation et à un rapport éthique au corps.

Une fois liquidé le préjugé de la guérison de l’homosexualité, Freud puis Lacan ont soutenu l’accès des homosexuels à la pratique psychanalytique, le premier en montrant que la guérison de l’homosexualité est sans objet pour la psychanalyse, le second, en étant le premier à garantir la pratique psychanalytique d’homosexuels ayant rejoint l’École Freudienne de Paris.

Cela n’a pas empêché des psychanalystes français de prendre parti contre le PACS ou contre le mariage pour tous et les différentes formes de parentalités. Aujourd’hui encore, affirme Laurie Laufer, nombre de psychanalystes – certains homophobes - considèrent toujours que les homosexuels et les transgenres présentent une pathologie psychique et qu’ils ne peuvent pratiquer la psychanalyse.

Pour Laurie Laufer, ce qui pose problème n’est pas tant le désir homosexuel qui reste une variante de la sexualité, chacun se débrouillant avec lui pour bricoler une position subjective. Ce qui pose problème, ce sont, écrit-elle, « les fantasmes et les discours du monde hétérosexuel sur ce qu’on imagine être l’ »homosexualité », non pas comme identité sexuelle mais comme position politique (…) Lorsque les homosexuels, les queers, les transgenres, les trans souhaitent se marier, élever des enfants, la boussole de la psychanalyse s’affole. Or, l’ « honneur politique de la psychanalyse » est rappelé par les théoriciens sur le genre qui s’inscrivent dans les pas de Foucault. Il ne s’agit pas d’ériger comme identité une pratique sexuelle, il s’agit d’en faire un acte politique. »

De nos jours, affirme Laurie Laufer, les psychanalystes sont amenés à travailler avec l’ « identité » homosexuelle en tant que stratégie politique qui permet une reconnaissance des droits, la déconstruction des identités, la fluidité du genre. Les termes de « sexualité », « homosexualité », « perversion » n’ont plus le sens qu’ils avaient au temps de Freud, les configurations familiales et sexuelles ont changé.

Dans son Histoire de la sexualité, Michel Foucault écrit que « la sodomie – celle des anciens droits civil ou canonique – était un type d’actes interdits ; leur auteur n’en était que le sujet juridique. L’homosexuel du 19ème siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie (...) Il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée – le fameux article de Westphal en 1870, sur les « sensations sexuelles contraires » peut valoir comme date de naissance – moins par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce ».

L’homosexuel, un hérétique devenu une catégorie … ce qui fait dire à Michel Foucault que « nous ne sommes rien d’autre que ce qui a été dit ». Dire ce que l’on est ne serait donc rien d’autre qu’être ce qui est dit, être porteur d’une « identité » sexuée qui, aujourd’hui, se dessine en une myriade de genres.

Laurie Laufer cite le philosophe espagnol Paul B. Preciado, théoricien de l’abolition des différences entre les sexes, des genres et des sexualités qui, après s’être considéré comme une femme lesbienne puis comme gouine trans et garçon-fille, a décidé de choisir le masculin pour s’identifier. Sa pratique, écrit-elle,  est étrangère à l’emprise des discours médicaux, psychiatriques, psychanalytiques ou autres et passe par le corps comme lieu d’une vérité subjective.

Cette vérité ne se laisse pas attraper par le langage, elle va au-delà, elle le déborde, ce qui oblige à inventer des manières de le signifier. Preciado évoque sa « sortie » du genre binaire, sortie du régime de la différence sexuelle. « Sortir », commente L. Laufer, n’est pas seulement tenter de s’échapper de l’impasse du sexuel et de la différence sexuelle, c’est aussi une « sortie du placard ».

Ainsi, le jeu des signifiants entre eux - ce jeu qui oriente le devenir d'un individu, ses discours et ses actes - se rend maître des « identités » sexuées et les fait voler en une myriade d’éléments. Est remis alors au cœur de l’invention freudienne ce qui en constitue tout le sel : les troubles dans la sexualité.

Dans une interview récente donnée au Monde, Laurie Laufer insiste pour dire qu’ « il n’y a pas d’analyse pour les LGBTQI + car cela sous-entendrait qu’il y a un « eux », et un « nous » universel. En revanche, il peut y avoir des contextes de discrimination et d’oppression qui produisent des effets réels. Mais si une personne souffre ou a envie de parler à quelqu’un, de s’inventer, de retrouver des capacités d’agir et d’aimer, un élan érotique, alors la psychanalyse peut être une expérience intéressante. Judith Butler parle de l’agency – la puissance, la capacité d’agir – ainsi : « Qu’est-ce que je fais avec ce que l’on fait de moi ? » Pour le dire autrement, que fait-on avec les assignations dans lesquelles on est enfermé ? Pour l’expérience analytique, j’ajouterais : comment fais-je avec ce que je ne sais pas de moi-même ? ».

 

 

 

 

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LES DANGERS DE LA THÉRAPIE DITE « DE CONVERSION »

Publié le 24 Octobre 2022 par Jean Mirguet dans Psychothérapies

Qu’est-ce qu’une « thérapie de conversion » ? En quoi les psychothérapies qui explorent le malaise des adolescents qui se questionnent sur leur identité sexuée ne sont pas des thérapies de conversion.

Qu’est-ce qu’une thérapie de conversion ?

La thérapie de conversion appelée encore « thérapie de réorientation sexuelle » est un ensemble de méthodes coercitives très diverses qui visent à modifier, à réprimer l’orientation sexuelle de personnes homosexuelles afin de les « convertir » à l’hétérosexualité. Cette torture psychologique voire physique (électrochocs, exorcisme etc..) a été pratiquée par des professionnels de la santé et par des religieux ou des sectes notamment aux Etats-Unis.

La loi sur les thérapies de conversion

Le 25 janvier 2022, la loi d'interdiction des thérapies de conversion est définitivement adoptée, inscrivant dans le code pénal un délit spécifique, passible de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
 

En quoi cette loi concerne l’identité de genre ?

Le législateur a associé dans la même loi la répression de l’orientation sexuelle à celle de l’identité de genre :
Art.225-4-13 Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, vraie ou supposée, d'une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
 
Toutefois il est précisé :
« L'infraction prévue au premier alinéa n'est pas constituée lorsque les propos répétés invitent seulement à la prudence et à la réflexion, eu égard notamment à son jeune âge, la personne qui s'interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe. »
 
COMMENTAIRES
 
Nous approuvons sans réserve l’interdiction des thérapies de conversion pour les homosexuels. Ceux-ci ne doivent subir aucune contrainte en raison de leur orientation sexuelle et être acceptés et respectés et écoutés dans leur questionnement au même titre que tout autre.
La situation des transgenres n’est pas de même nature. Elle implique des transformations du corps qui pour certaines sont irréversibles. Elle comprend la prise d’hormones et le plus souvent s’accompagne d’actes chirurgicaux. L’homosexuel ne demande rien à la médecine tandis que le transgenre demande le plus souvent une prise en charge médicale à vie, voire chirurgicale, remboursée par la sécurité sociale. Dès lors, cette prise en charge concerne la société dans son ensemble donc chacun d’entre nous. Les jeunes qui se disent transgenres éprouvent un profond malaise dans leur corps de fille ou garçon et affirment qu’il ou elle ne serait pas né(e) dans le
« bon corps ». Il ou elle demande dès lors à en changer, considérant qu’ils ont été «assignés » à un sexe dont ils ne veulent pas au nom de leur ressentis et de leur droit à l’autodétermination.
 
Un adulte décide pour lui-même ce qui est bon pour lui mais un mineur ? Toutes les nuances peuvent exister entre transitions sociales et médicales, mais une confusion existe entre sexe et genre : une transition médicale demandée au nom du changement de genre qui implique des modifications sur le sexuel, la sexualité, et le corps sexué, à court, moyen ou long terme n’est- elle pas une « conversion » ? Un mineur (qui n’a généralement encore aucune expérience sexuelle) peut-il décider sur son seul ressenti d’en passer par des traitements médicaux qui ont des conséquences dont certaines sont irréversibles sur sa santé, son développement neurocognitif, son insertion sociale future, ses possibilités de procréation sans prendre un peu de temps de réflexion ?
Les « ressentis » sont à entendre et non à prendre à la lettre sans les intégrer dans le récit d’un patient et de sa famille. Les ressentis sont labiles d’autant plus à cet âge de métamorphoses psychiques et physiques où de très nombreux adolescents se questionnent sur leur identité sexuée. Une transition médicale peut s’entendre, pour nombre d’entre eux, comme une volonté de changer d’orientation sexuelle : une fille qui aime une fille deviendrait un garçon qui aime une fille.
 
Les personnes de plus en plus nombreuses qui reviennent à leur sexe natal quelques années plus tard, se plaignent amèrement du mode de prise en charge dit «transaffirmatif » consistant à accompagner le désir exprimé par le jeune sans les interroger plus avant. Ils dénoncent les enrôlements rapides sans évaluation de leur psychopathologie ou de leur traumatisme notamment dans le cadre dit « d’un consentement éclairé » problématique dans des conditions de souffrance psychique. Elles soulignent qu’elles auraient eu besoin d’un accompagnement qui leur permette d’explorer leurs souffrances psychiques. Nombre d’entre elles disent que, si elles se traduisent par la demande de changement de genre, en fait elles ne concernaient pas le genre. Elles se sont rendues compte que, pour 60 à 70% d’entre elles, leur dysphorie était liée à leur psychopathologie et pas au genre. Ainsi, et c’est la demande de jeunes qui en ont été privés et qui en ont pâti, accueillir cette demande dans un cadre psychothérapeutique exploratoire et bienveillant ne relève aucunement de la thérapie de conversion comme la loi le précise. Cette prise en charge a pour but de permettre à ces jeunes de comprendre la nature de leur malaise, d’aller mieux psychiquement, et ainsi de faire des choix, quels qu’ils soient, en dehors de toute pression.
 
La notion de « demande » au sens psychanalytique a été pervertie au profit d’une demande d’autorisation à avoir accès aux traitements médicaux et s’inscrit dans une demande effrénée de réponses immédiates symptomatiques de nos temps présents et constatées dans d’autres registres très prisés par les adolescents : consommation numérique massive et addictions diverses etc… Dans tous ces cas, le registre émotionnel immédiat et les circuits de la récompense sont sollicités sans qu’aucune limite soit posée par des adultes.
 
Le psy se retrouve pris dans une démarche idéologique qu’il le veuille ou non, à devoir satisfaire cette « demande ». Ainsi dans les consultations dédiées, il est préconisé d’accompagner la demande et de ne pas l’interroger.
Cette demande risque de cautionner un passage à l’acte médico-psychologique chez un adolescent en proie à des questionnements subjectifs. En tant que professionnels, l’éthique nous amène à respecter une temporalité fiable, dans les entretiens et séances psys pour tenter d’aider un jeune à éclairer le sens de sa demande.
 
Une information récente datant du 28 juillet 2022, annonce la fermeture de la plus importante et renommée clinique du genre pour enfants et adolescents en Europe – le GIDS Gender Identity Development Service – après qu’un rapport d’une pédiatre le Dr. Hilary Cass, ait révélé, dans sa mission d’expertise pour la NHS (National Health Service : la Santé publique du Royaume- Uni), les dysfonctionnements du GIDS. Notamment la prise en charge inadaptée proposée à ces jeunes qui souffrent de nombreux troubles psychopathologiques (troubles anxio-dépressifs, troubles du comportement alimentaire, autisme, TDAH, traumatismes divers…). Par ailleurs, les bloqueurs de puberté sont largement pointés du doigt face au manque d'études scientifiques et cliniques sur les effets à court, moyen et long terme aussi bien sur le développement neurocognitif que sur le plan somatique (lettre du Dr Cass publié le 19 juillet dernier et adressé à la NHS Englandhttps://cass.independent-review.uk/wp-content/uploads/2022/07/Cass- Review-Letter-to-NHSE_19-July-2022.pdf).
 
Dès lors accompagner cette demande de changement de sexe fondée sur les seuls ressentis est fortement remis en question comme seule solution à un malaise adolescent. Écouter, interpréter, laisser du temps au temps ne peut d’aucune façon être assimilé à une thérapie de conversion.
 

Ce texte a été signé par  l’Observatoire La Petite Sirène, l’ALI, Association Lacanienne Internationale, le Mouvement du Coût freudien et Psychanalyse Actuelle.

 

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Une responsabilité historique

Publié le 13 Avril 2022 par Jean Mirguet dans Politique

« Une responsabilité historique » : c’est sous ce titre que Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, signe l’éditorial de l’édition du mardi 12 avril.

Pour la troisième fois en l’espace de 20 ans, l’extrême-droite sera présente, le dimanche 24 avril, au second tour de l’élection présidentielle. C’est une répétition à laquelle il ne saurait être question de s’habituer et qui ne doit pas être sous-estimée puisque, écrit-il, « la marge qui protège notre démocratie du pire ne cesse de s’amenuiser ».

« Pour l’heure, il convient de parer au plus urgent et d’afficher un refus sans faille à la menace qui grandit. Nombre de candidats défaits ont usé, dimanche soir, de termes variés pour exprimer leur opposition à Marine Le Pen. Pour Le Monde, ce rejet de l’extrême droite ne peut souffrir aucune ambiguïté. Nous avons rappelé, avant le scrutin, que le Rassemblement national était tout aussi opposé à nos valeurs qu’à l’intérêt national.

L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République constituerait une agression contre l’Etat de droit, une régression de la prise en compte de la catastrophe climatique, une révision de nos alliances extérieures au pire moment, alors que l’atroce guerre imposée par Vladimir Poutine à l’Ukraine achève de dévoiler la vraie nature d’un régime avec lequel la candidate a été si complaisante.

En bonne logique, la seule manière efficace d’œuvrer pour sa défaite est d’appeler à voter pour Emmanuel Macron ».

 

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Un vote réaliste

Publié le 6 Avril 2022 par Jean Mirguet dans Politique

A la suite de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, j’avais dit aux amis de gauche qui questionnaient  (déjà !) la légitimité de son élection qu’ils feraient bien de faire attention car, se faisant, ils étaient entrain de scier la branche sur laquelle ils étaient assis.

Force est de constater que je ne me suis pas trompé étant donné la déroute déroutante d’Anne Hidalgo.  A trop camper dans l’opposition systématique et stérile à Macron, voilà ce qui arrive : on perd toute crédibilité et on déroule un tapis rouge aux extrêmes, qu’ils viennent de la droite ou de la gauche.

Ces dimanches 9 avril et 24 avril, nous allons choisir un avenir pour notre pays, confronté à la menace de l’extrême-droite. Menace également de celui qui, au 2ème tour de 2017  a mis Le Pen et Macron sur un pied d’égalité en ne donnant pas de consigne de vote et qui, face aux crimes de Poutine, prône le non-alignement de la France.

Pour choisir un avenir respectueux de la démocratie et des valeurs de la République -la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité - il va falloir se situer clairement, ne pas céder à la confusion entretenue par la mauvaise foi des LePen, Zemmour et autre Mélenchon. Il va falloir voter en étant réaliste, au sens de Raymond Aron pour qui  le réalisme consiste à considérer la menace.

Dans Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz (Arcades Gallimard, 2002), Primo Levi indique que la distinction bonne foi/mauvaise foi est empreinte d’optimisme et de confiance dans l’homme et qu’elle présuppose une lucidité mentale qui est le fait d’un petit nombre alors que plus nombreux sont ceux qui se fabriquent une réalité qui les arrange. « Le passé leur pèse ; ils éprouvent de la répugnance pour les choses faites ou subies, et ont tendance à leur en substituer d’autres. La substitution peut commencer avec un scénario inventé, mensonger, restauré, mais moins pénible que la réalité (…) La distinction entre le faux et le vrai perd progressivement ses contours et l’homme finit par croire entièrement au récit qu’il a fait si souvent et qu’il continue à faire encore, limant et retouchant ici et là les détails les moins crédibles, ou s’accordant mal entre eux, ou incompatibles avec le tableau des événements acquis : la mauvaise foi initiale est devenue bonne foi. Le passage silencieux du mensonge à autrui à celui qu’on se fait à soi-même est utile : qui ment de bonne foi ment mieux, joue mieux son rôle, est cru plus facilement par le juge, par l’historien, par le lecteur, par sa femme, par ses enfants ».

Mon choix pour Emmanuel Macron était clair en 2017. Il l’est toujours en 2022. Je souhaite qu’il en aille de même pour vous.

 

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« Nous sommes des psychologues et nous ne serons jamais des vendeurs de soins psychiques »

Publié le 31 Mars 2022 par Collectif dans Psychologues

Alors que le dispositif MonPsy entrera en vigueur le 5 avril, plus de 2 000 psychologues dénoncent, dans une tribune au « Monde », la gabegie du gouvernement et expliquent pourquoi ils entendent boycotter ce protocole, qu’ils étaient pourtant nombreux à appeler de leurs vœux.

Ce dispositif permettra de bénéficier du remboursement de 8 séances d'accompagnement psychologique par an. Les honoraires sont fixés à 30 € (40 € pour la première séance), sans dépassement autorisé, et remboursés à 60 % par l'Assurance maladie.

 

Depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron et Olivier Véran se félicitent d’une réforme concernant le remboursement de consultations auprès d’un psychologue qu’ils présentent avec emphase comme une avancée historique pour les personnes en situation de détresse psychique.

Que l’on ne s’y trompe pas. Beaucoup de psychologues sont favorables à un dispositif de remboursement des séances au nom d’une égalité d’accès aux soins psychiques. Et puis, ne boudons pas notre plaisir : notre métier est enfin reconnu d’utilité publique, loin des clichés sulfureux qu’il charrie encore parfois. Pour autant, le dispositif MonPsy, qui entrera en vigueur à partir du 5 avril, est inacceptable et dangereux pour nous comme pour nos futurs patients.

L’ensemble de la profession n’a cessé de le dire, mais nos demandes et propositions sont restées lettre morte. Si bien que nous, psychologues libéraux et exerçant en institution, sommes aujourd’hui déterminés à boycotter ce protocole dont nous étions pourtant nombreux à louer les motifs initiaux.

Le service public de la santé psychique déconsidéré

A titre liminaire, nous rappellerons au président de la République et à son ministre des solidarités et de la santé que le libre accès au soin psychique prodigué par des psychologues existe dans son principe noble, inconditionnel et gratuit, depuis une soixantaine d’années au sein de structures hospitalières et médico-sociales publiques.

Or ces établissements ne sont plus en capacité d’effectuer leur mission (les listes d’attente pour la prise en charge de nouveaux patients varient de plusieurs mois à quelques années) parce que les gouvernements successifs les ont laissés progressivement dépérir en limitant leurs moyens et en transformant leur esprit.

Jamais en France le service public de la santé psychique n’a été à ce point malmené et déconsidéré : fermeture de services de psychiatrie dans la fonction publique hospitalière, exclusion systématique de notre métier dans les revalorisations salariales, maltraitance de psychologues structurellement sous-payés, usés et démissionnaires du fait de procédures les soumettant à des contraintes incessantes et dénuées de sens.

La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine

Dans ce contexte désolant, le dispositif promu par l’exécutif à destination du secteur libéral a tout de la poudre aux yeux jetée à des fins purement électoralistes. Qu’on en juge plutôt. En premier lieu, les séances ne seront remboursées que sur adressage préalable d’un médecin. Dans notre pratique quotidienne, une orientation du médecin est parfaitement compatible avec notre exercice.

De fait, les médecins, majoritairement non formés à la prise en charge de la souffrance psychique dans son versant psychothérapique, nous envoient régulièrement des patients pour avis et suivi dans ce qui est une collaboration confraternelle nécessaire et féconde. Mais l’adressage (qui n’est ici rien d’autre qu’une prescription déguisée) est une affaire différente : il dit ce qui est bon pour un patient et commande une exécution par un professionnel de santé.

A ce titre, il est antagoniste à toute démarche de soin psychique, laquelle s’inscrit dans un moment – le bon moment pour un patient – et dans une rencontre : la bonne rencontre entre le patient et son thérapeute. La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine et de chimie, elle est aussi une affaire d’humanité, et les sciences humaines ont toute leur place dans la prise en charge de la souffrance psychique, à côté de la science médicale et sans nul besoin de lui être inféodée.

Une méconnaissance stupéfiante de la profession

La préservation de l’accès libre et direct aux psychologues doit être clairement garantie. D’autre part, les remboursements seront limités à une portion congrue de la population (250 000 personnes la première année, soit 0,5 % de la population) et en fonction des troubles. En effet, seuls « les troubles d’intensité légère à modérée » seront concernés, et les patients en burn-out ou prenant un traitement antidépresseur, souffrant de troubles alimentaires ou d’une addiction, seront de facto exclus de cette prise en charge.

Quand les personnes seront plus gravement touchées, où trouveront-elles l’aide nécessaire ? Faudra-t-il attendre qu’elles soient hospitalisées pour être accompagnées décemment, si cela est encore possible ? Le troisième danger de ce dispositif réside dans le fait qu’il ne propose le remboursement que de huit séances par an au maximum. Huit, pas une de plus ! Cela montre une méconnaissance stupéfiante de notre profession et de ce qu’est une psychothérapie.

Certaines thérapies courtes sont tout à fait fructueuses, et ce sont de toute façon les patients qui décident in fine du nombre de séances dont ils auront besoin. Mais pour que tout ce qui est douloureux et complexe puisse se dire, pour que l’élaboration de ce qui entrave puisse advenir, nos patients ont souvent besoin de plus de huit séances.

Vers la paupérisation de la profession

Si le nombre de séances annuelles remboursées est limité à huit, comment allons-nous clore de manière imposée ce qui a commencé à s’ébaucher ? « Vous vous êtes livrés tout l’été ? Eh bien ! payez maintenant !  » Ou bien : « Revenez l’an prochain même si vos souffrances sont toujours aussi aiguës. » Comment maintenir un lien de confiance avec nos patients qui devront alors payer de leur poche (s’ils en ont les moyens) pour continuer leur thérapie ?

Cette rupture dans la continuité des soins est impossible à valider sur les plans éthique et thérapeutique, et nous demandons un rehaussement significatif du nombre de séances remboursées. Quatrième problème enfin, le montant des huit séances remboursées a été fixé à trente euros, sans dépassement possible. Cette décision est lourde de conséquences parce qu’elle condamne l’ensemble de la profession à une paupérisation sans précédent.

En temps ordinaire, le tarif d’une séance de thérapie est de soixante euros en moyenne. Ce n’est pas un montant anodin, mais c’est ce qui nous permet de recevoir sept ou huit patients par jour tout en payant nos charges, le loyer de notre cabinet, nos formations et nos supervisions.

Impossible de suivre correctement les patients

Par ailleurs, dans notre pratique quotidienne, nous adaptons déjà nos tarifs aux moyens de nos patients : trente euros la séance, et même parfois moins. Si nous pouvons le faire, c’est précisément parce que d’autres patients ont les moyens de payer plus. On pourrait nous rétorquer que l’afflux de patients, lié au dispositif de remboursement, permettrait de compenser la perte sèche subie par les psychologues.

A ceci près qu’il est rigoureusement impossible de faire ce métier correctement si nous recevons les patients à la chaîne. Nous refusons de recevoir de quinze à vingt patients par jour, entre vingt et trente minutes au maximum, au risque de nous abîmer dans ce rythme et d’abîmer nos patients avec.

La survie de la profession, et d’un soin psychique dans le respect d’une éthique professionnelle et d’une qualité d’écoute, est menacée si des psychologues ubérisés acceptent ce dispositif contraint du début à la fin. La Cour des comptes, dans son rapport qui appelle à la généralisation du dispositif de remboursement des séances de psychothérapie («  Les parcours dans lorganisation des soins de psychiatrie », février 2021), semble pourtant percevoir le caractère ubuesque de la situation lorsqu’elle énonce que « la contrainte dans les soins mine l’alliance thérapeutique, reconnue comme précieuse dans le traitement ».

Pour préserver l’éthique et l’humanité

L’autre ironie amère de la situation est que l’on nous dit tous les jours, en cette période de pandémie, à quel point notre travail est précieux et, pourtant, jamais nous n’avons eu le sentiment d’être autant méprisés. Victimes de la reconnaissance de notre métier, il nous faudrait désormais l’exercer au rabais. Et ce au motif que l’Etat ne se donne plus les moyens de financer les institutions publiques dont la mission est d’intervenir gratuitement pour les publics les plus fragiles.

Notre colère n’est en rien la traduction d’un quelconque réflexe corporatiste. Par-delà ces questions brûlantes soulevées par notre profession, nous sommes aussi solidaires de tous les professionnels exerçant un métier au cœur de l’humain : soignants, enseignants, travailleurs sociaux, magistrats, etc. Comme nous, ils sont touchés mais luttent sans relâche pour préserver l’éthique et l’humanité qui fondent leurs pratiques.

S’il y a destruction de nos métiers et perte de sens de nos missions, il se produira un désastre pour celles et ceux qui font appel à nous. Nous sommes et resterons des professionnels responsables de notre éthique et autonomes dans nos méthodes et pratiques. Nous ne sommes ni des robots ni des clones, et nous ne gérons ni des flux ni des stocks. Nous sommes des psychologues et nous ne serons jamais des vendeurs de soins psychiques.

Là où l’exécutif s’érige aujourd’hui en gestionnaire tatillon de l’intime, nous continuerons de prendre en charge la souffrance psychique d’êtres humains dont les problématiques, parce qu’elles sont diverses, complexes et singulières, ne seront jamais réductibles à un protocole contraint et standardisé.

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Les premiers signataires de cette tribune sont : Alain Abelhauser, professeur des universités en psychopathologie clinique, ancien vice-président de l’université Rennes-II, président du Séminaire interuniversitaire européen d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUEERPP) ; Solenne Albert, psychologue clinicienne ; Stefan Chedri, psychologue, psychothérapeute, psychanalyste ; Albert Ciccone, professeur de psychopathologie et psychologie clinique (université Lyon-II), psychologue, psychanalyste, membre du directoire du SIUEERPP ; Sebastien Firpi, psychologue clinicien hospitalier, psychanalyste, formateur en travail social, doctorant en psychopathologie clinique et psychanalyse, membre de l’Appel des appels ; Magali Foynard, psychologue spécialisée en neuropsychologie, psychothérapeute ; Isabelle Galland, psychologue clinicienne, présidente de l’Association des psychologues freudiens ; Nathalie Georges, membre de l’Association des psychologues freudiens, psychanalyste ; Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie à l’université, psychanalyste, essayiste, président de l’association Appel des appels ; Elise Marchetti, psychologue clinicienne, formatrice, chargée d’enseignements (université de Lorraine) ; Camille Mohoric-Faedi, psychologue clinicienne, M3P, #manifestepsy ; Patrick Ange Raoult, psychologue clinicien, psychologue conseil, psychothérapeute, docteur en psychologie, professeur HDR de psychopathologie, secrétaire général du SNP, directeur de publication de la revue Psychologues et Psychologies ; Catherine Reichert, psychologue clinicienne, psychothérapeute ; Claude Schauder, psychologue, psychanalyste, ancien professeur associé des universités en psychopathologie clinique, expert auprès de la Cours pénale internationale, président de l’association Lire Dolto aujourd’hui, membre de l’Appel des appels ; Ari Szwebel, psychologue clinicien, psychanalyste ; Frédéric Tordo, psychologue clinicien, docteur en psychologie clinique, M3P, #manifestepsy ; Michel Vandamme, psychologue des personnels hospitaliers, docteur en psychologie.

La liste compète des signataires : https://fr.scribd.com/document/565764943/L-appel-des-2000-psychologues

 

 

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Discrimination positive

Publié le 14 Février 2022 par Jean Mirguet, Michel Brun dans Politique

Merci à mon ami Michel Brun d’avoir proposé à votre lecture ce texte consacré à l’usage abusif de la notion de discrimination positive.

On peut ne pas partager toute son analyse mais il a sans aucun doute raison de s’indigner de cette nouvelle forme de discrimination qu’a pris le racisme, en lui accolant le qualificatif de « positif ».

Michel dénonce ce qui est devenu l’équivalent d’une révolution culturelle envahissant l’Université et les médias . Cela porte un nom : le wokisme, une idéologie importée d’Outre-Atlantique et portée par des militants dont le discours fragmente l’unité républicaine en renvoyant les citoyens à une identité fondée sur leur origine, leur sexualité ou leur genre.

Je ne pense pas que cette nouvelle culture soit, comme Michel le laisse entendre, encouragée par nos dirigeants actuels. Bien au contraire. Voir à ce sujet, par exemple, la polémique provoquée il y a un an par les propos de Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, sur l’islamo-gauchisme ou les commentaires de Jean-Michel Blanquert, ministre de L’Education Nationale, qui  définit le wokisme comme «un nouvel obscurantisme qui vient saper la démocratie et prépare les marches vers le totalitarisme ».

Le terreau idéologique de la discrimination positive est le victimisme au service du communautarisme ; elle fait primer une appartenance identitaire au détriment des qualités propres de la personne, de ses capacités, de sa responsabilité et de sa liberté.

La revendication de discrimination positive est une stratégie opportuniste visant à obtenir des passe-droits voire pour conquérir le pouvoir. Ici, toute différenciation est traitée comme une discrimination. Réserver des toilettes distinctes pour les Noirs et les Blancs est inadmissible mais cela n’empêchera pas L’UNEF de militer en faveur de l’organisation de réunions "interdites aux blancs".

Comme Michel Brun, je partage l’idée du caractère positif du métissage de la société française, à la condition que les valeurs qui fondent la République, la liberté, l’égalité, la fraternité demeurent notre socle commun.

On regrettera, avec Isabelle Berbéris dans L’art du politiquement correct, qu’aujourd’hui, le passage obligé de toute revendication contre la domination soit de faire spectacle de son statut de dominé, de sa misère, d’être « fier » d’avoir honte ». A quoi elle ajoute ce paradoxe du différentialisme, déjà bien identifié par Tocqueville : revendiquer l’égalité, non pas au-delà des différences, mais dans l’affirmation exacerbée de ces dernières. Cette maladie chronique de la démocratie exacerbe simultanément la haine de la différence et sa revendication. À mesure que s’accroît l’égalité, s’accroît la virulence du rejet de la différence.

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LES ABUS MÉDIATIQUES DE LA DISCRIMINATION POSITIVE : UN CHEMIN DÉVIANT VERS UNE SOCIÉTÉ MÉTISSE.

L’auteur de ces quelques lignes n’appartient à aucun parti et ne soutient aucune idéologie.  Je ne parle ici qu’en mon nom, en prenant appui sur le discours analytique. Le discours analytique, au sens défini par Lacan, n’est pas un discours supplémentaire mais son objectif est de pointer la limite des autres discours et le rapport aux objets qui les fondent. C’est ainsi que le discours analytique pourra interroger la sémantique et les particularités du discours du maître, de l’universitaire, ou encore de l’hystérique.

Pour la petite histoire, ayant passé ma jeunesse en Afrique, j’ai été habitué à une société métissée et bigarrée et j’en ai fait mon miel. Mon seul racisme, à ce jour, ne concerne que la connerie. Étant entendu qu’elle n’a strictement rien à voir avec la couleur de la peau.

La discrimination positive est une expression paradoxale dans la mesure où elle associe deux termes apparemment incompatibles, tout en opérant un renversement de sens du mot discrimination. Quoi qu’il en soit, la discrimination positive se propose, à sa manière, de réparer les injustices. Soit, mais à trop appuyer sur son ressort elle risque de manquer sa cible. C’est ce que j’entends montrer ici.

Pour aller au plus court de sa définition, la discrimination positive est un moyen ou une attitude consistant à valoriser certaines minorités opprimées (ou s’estimant comme telles), ou à privilégier celles et ceux qui ont fait ou font encore l’objet d’un ostracisme racial et culturel. La dialectique de la discrimination positive se situe dans une même logique que celle qu’elle entend dénoncer, sous la forme inversée et insistante de la revalorisation de ce qui a été dévalorisé. Ce qui n’est pas sans conséquences lorsque le procédé confine à l’excès et qu’il ne tient pas compte des résistances de ceux auquel il s’adresse. C’est le cas en ce moment, et cela mérite d’être souligné.

C’est ainsi que la télévision d’Etat de l’Hexagone, via les interviews du type micro-trottoir, ou via la publicité, a accentué depuis plusieurs années une tendance consistant à accorder une priorité médiatique aux personnes originaires du Maghreb, puis, plus récemment, à celles issues d’Afrique noire. Ce sont ces dernières qui occupent désormais le devant de la scène.

Il y a même une troublante analogie de ce phénomène, voire un parallèle, avec la montée en puissance médiatique des LGBTQ, autrefois ostracisés, et qui, sous l’influence de la théorie du genre, s’efforcent d’instaurer de nouvelles normes identitaires en s’accrochant au train de la discrimination positive.  Et en ce début d’année 2022 la promotion qui leur est faite est sans précédent sur les chaines nationales.

Pour continuer sur le thème de la diversité ethnique, il est à peu près certain que les régies publicitaires, les banques, les grandes entreprises, les établissements publics de toutes natures sont aux ordres. En ce sens, n’auraient-ils pas reçu « d’en haut » un cahier des charges qui leur dicte le style et les priorités de leur adresse au public ?  Mais le phénomène a désormais pris une telle ampleur qu’il ne peut en aucun cas être un effet du hasard : être « Black » est d’abord « tendance», avant de devenir une norme identitaire incontournable. C’est si vrai que les publicitaires orientent de plus en plus la promotion de leurs produits vers une nouvelle cible, les couples mixtes et les familles qu’ils fondent. Toutes les origines ethniques y sont représentées, y compris les Asiatiques qui commencent à faire une timide apparition sur les écrans. On assiste même à une combinatoire, pour l’instant encore discrète, entre LBGTQ et toutes les nuances de couleurs de peau.

Depuis quelques mois l’insistance de la discrimination positive dans les médias est devenue une offensive magistrale contre le racisme, quasi paroxystique. Le battage médiatique autour de l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, pour méritée qu’elle soit, en est une autre illustration.

Que se passe-t-il en ce moment, sinon un véritable lavage de cerveau ?  Sa finalité ne fait aucun doute : il s’agit de confiner progressivement le citoyen lambda dans une sorte de néo-ghetto idéologique, celui de la bien-pensance. Difficile de s’extraire de ces suggestions, répétées à l’envi sous forme d’un conditionnement progressif, insidieux, et imparable. Sur le fond, il s’agit en réalité de museler par anticipation toute réaction critique, voire haineuse, à l’égard de ceux qui ne ressemblent pas tout à fait au Français moyen, ces « aliens » susceptibles de devenir des envahisseurs ou d’être dangereux. Ceux que la police interpelle parfois pour délit de faciès.

C’est ainsi que nous assistons à une manipulation de l’opinion visant à dicter ce que doit être la bien-pensance, celle qui découle de l’application de la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Mais il suffit d’ouvrir les yeux pour réaliser que l’insistance du slogan est à la mesure de son défaut d’application.

Manipuler, mais comment et pourquoi ? Quels sont les probables enjeux d’une telle stratégie ?

Les techniques de persuasion des masses sont apparues en Europe à la fin du XIXème siècle, d’abord pour lutter contre les révoltes ouvrières. Elles se sont ensuite propagées aux États-Unis, notamment en vue de convaincre les citoyens d’engager l’Amérique dans la première guerre mondiale. Souvenons-nous de l’emblématique « Uncle Sam », affublé d’un haut-de-forme étoilé, pointant le doigt vers chaque sujet américain portant culotte, et lui intimant l’ordre de rejoindre l’armée des USA. Hypnose, quand tu nous tiens !

Ce que l’on sait peu sur l’origine de ces techniques, c’est qu’elles sont dues au neveu de Freud, Edward Bernays, qui fut l’inventeur de la propagande politique institutionnelle et de l'industrie des relations publiques…

Edward Bernays connut son heure de gloire outre-Atlantique. On peut le considérer comme le créateur du marketing et des méthodes de fabrique du consentement des foules. L’ouvrage qui le rendit célèbre parut aux USA sous le titre de « Propaganda ».

Aujourd’hui, en France, la diffusion de l’idéologie politique d’Etat emprunte les mêmes voies que celles du marketing, avec une particularité que l’on doit initialement à la pensée philosophique de Machiavel, dissociant morale et politique. Machiavel réfutait l’a priori de toute conception morale du pouvoir : selon lui le chef de l’état ne devait pas obéir à une morale fixe, mais s’adapter aux circonstances, à ce que Machiavel appelait la « fortune » (du latin « fortuna » signifiant la chance, le destin).

 En dissociant la morale du pouvoir, Machiavel n’incitait pas le chef de l’Etat à radicalement s’affranchir de la morale, mais de ne le faire qu’en cas de nécessité. C’est ce qu’aujourd’hui on appellerait « le pragmatisme politique », ou encore le primat de la fin sur les moyens. En d’autres termes, la manipulation.

C’est très exactement ce qui se passe chez nous. Le pouvoir exécutif redoute peut-être les assauts de l’extrême droite à l’approche des futures présidentielles mais craint plus encore le déclenchement de pogroms en réponse aux exactions du terrorisme (attribuées aux migrants, bien entendu). Pour conjurer cette menace il essaie de faire croire au peuple, par l’image, que nous vivons harmonieusement dans une société multiethnique, pour ne pas dire multiraciale. Mais c’est faire fi de la réalité des inégalités et des tensions raciales permanentes qui font, entre autres, flamber les banlieues, désormais devenues territoires perdus de la République.

Le message subliminal adressé aux extrémistes, surtout de droite, est clair : la société française est désormais une société métisse, il faut s’y faire. Le temps de la suprématie blanche est révolu. Vous n’utiliserez pas les problèmes liés à l’immigration et à la couleur de peau pour en faire un argument électoral. Quelle que soit notre origine, nous sommes tous des Français, dès lors que nous en avons la nationalité par l’application du droit du sol. Et d’ailleurs, vous les extrémistes, confondez origine et identité. On ne choisit pas son origine, en revanche on construit son identité dans son pays d’accueil, identité soutenue par l’idéal égalitaire républicain…

On voit bien qu’il s’agit ici de désarmer la haine dans laquelle pourraient être trempés les bulletins de vote. Tout autant que de neutraliser l’incantation zémourienne selon laquelle « on n’est plus en France ».

Tenter d’éviter les conflits sociaux et les tensions raciales est sans doute louable, mais traiter les citoyens comme des enfants à qui on doit faire la leçon est plus discutable. Force est de constater qu’on préfère leur bourrer le crâne par imprégnation de slogans répétitifs et plus spécialement au moyen d’images récurrentes, valant discours. Images supposées formater à la longue l’opinion publique. Je ferai référence ici aux travaux de Konrad Lorenz, en éthologie et en psychologie. Pour Lorenz l’imprégnation est l’introjection, souvent définitive, d'un lien indissociable entre un déclencheur extérieur, faisant fonction de stimulus, et une réponse déclenchant un comportement instinctif.  Cela vaut pour les oies, mais aussi les humains.

Le côté pervers de ce système de conditionnement par l’image, via la mobilisation de la pulsion scopique, c’est qu’il fait l’économie du registre du Symbolique, qui est celui du discours, de la dialectique, et du débat contradictoire. Et lorsque la parole est mise en échec, c‘est la violence qui s’impose et fait loi.

C’est en effet grâce au recours à l’Imaginaire, à l’injection répétitive dans le cerveau de formes visuelles prégnantes, que sont supposés devoir se « normaliser » auprès de l’opinion certains types physiques et morphologiques autrefois considérés comme minoritaires ou marginaux. Car le Français a  maintenant cessé d’être un blanc caucasien dont les ancêtres étaient les Gaulois.

Mais le  registre de l’imaginaire, dans la mesure où il est régressif par l’usage qui en est fait ici, contribue à mettre à l’écart la parole et le débat. L’image répétée agit dans l’esprit comme un mantra incantatoire, elle a valeur d’injonction. Elle conditionne la pensée et le comportement de celui qu’elle affecte.  À ceci près que toute injonction produit un refoulement qui fera retour dans le réel sous forme de symptôme, et souvent dans la logique du pire. Ce faisant il n’est pas dit que les ostracisés y trouvent finalement leur compte.

Ma conclusion sera brève. Que la société française soit appelée à se métisser est une évolution incontournable. Et il n’est pas exclu que cela soit une bonne chose, ne serait-ce que sur le plan de la régénération génétique de la population. Seul l’avenir le dira.

Mais ce processus doit être le produit d’une évolution naturelle, et non pas d’un matraquage idéologique par l’image, insidieux et infantilisant. Procédé dangereux, s’il en est, finalement trop visible pour n’être pas repéré. Au risque, à terme, d’exaspérer les extrémistes pour qui « l’autre » constitue une menace à éradiquer…

Michel Brun

11 février 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vous avez dit conservateur ?

Publié le 23 Janvier 2022 par Jean Mirguet dans Politique

Comment se nommer politiquement lorsqu’on est hostile à toute forme de violence, convaincu qu’il faut protéger l’essentiel de ce qui constitue notre nation : l’ordre républicain, la laïcité, la langue, la culture, les Lumières, la richesse de notre héritage historique, littéraire, philosophique sans parler des droits chèrement acquis que sont l’égalité hommes-femmes, le droit à l’avortement, le droit au blasphème, etc… ?

Lorsque nous avons la conviction que ces valeurs doivent être défendues avec fermeté sous peine de disparaître dans la soumission aux idéologies à la mode, la paresse et la lâcheté de la pensée politique, devenons-nous des néo-conservateurs , nous qui, autrefois, nous réclamions de la Gauche ?

La question mérite d’être posée lorsqu’on découvre sous la plume de tel ou tel éditorialiste qu’être en désaccord avec la culture woke ou la cancel culture est l’expression d’une pensée de droite voire d’extrême-droite : des publications comme Le Monde ou Télérama sont de plus en plus coutumières de ce type de jugements, soit sous-entendus ou allusifs soit clairement affirmés. Le wokisme, le racialisme, l’intersectionnalité ont le vent en poupe.  

L’époque n’est plus où ce qui fut la Gauche républicaine et laïque défendait avec force l’héritage des Lumières. Aujourd’hui, une autre gauche, plus radicale et proche des extrêmes, irréconciliable avec la précédente comme l’avait diagnostiqué Manuel Valls, a « abandonné la nation aux nationalistes, l’intégration aux xénophobes et la laïcité aux communautaristes » (Jean Daniel, Réconcilier la France) et promeut les identités sexuelles, ethniques et religieuses.

Aujourd’hui, étant donné les abîmes dans lesquels elle s’est laissée entraîner, cette gauche est devenue minoritaire dans l’opinion publique, mais se montre surtout présente, comme l’analyse le philosophe et historien Marcel Gauchet dans une interview donnée à la Revue des Deux Mondes de février, dans le monde universitaire et culturel où elle semble procéder surtout de la persistance de la toute-puissance infantile encouragée par l’éducation actuelle.

Etre rangé parmi les néo-conservateurs relève-t-il d’une droitisation de la société, comme on l’entend de plus en plus souvent dire ? Ce catalogage signifie-t-il que la question de l’identité culturelle y est centrale ?

Pour Marcel Gauchet, l’identité culturelle relève de l’héritage de l’histoire nationale et ce qu’il appelle « la sensibilité conservatrice » se retrouve dans le rejet de la culpabilisation du passé national, dans le refus de la repentance. Il en déduit que cela a provoqué le basculement des gens de gauche vers la droite qui ne supportent pas le procès anachronique permanent fait au passé, d’où son diagnostic de droitisation de la société.

Il rejoint ainsi les propos que je dénonce plus haut : la caricature consistant à faire des gens de gauche old style (sic !) des conservateurs de droite voire d’extrême-droite, comme s’il fallait absolument être enfermé dans l’une ou l’autre des grandes familles politiques (ce qui suppose qu’on continue, comme lui, à les concevoir comme réelles  puisqu’il juge que le clivage droite-gauche n’est pas mort même s’il s’est brouillé et complexifié).

Selon Franz-Olivier Giesbert dans son tome 1, Le Sursaut, de l’Histoire intime de la Ve République, De Gaulle aurait confié à son mémorialiste Alain Peyrefitte que « la droite, c’est routinier, ça ne veut rien changer, ça ne comprend rien. Seulement, on l’entend moins. Elle est moins infiltrée dans la presse et dans l’université. Elle est moins éloquente. Elle est plus renfermée (…). Tandis que la gauche, c’est bavard, ça a des couleurs. Ça fait des partis, ça fait des conférences, ça fait des pétitions, ça fait des sommations, ça se prétend du talent. C’est une chose à quoi la droite ne prétend pas. On a un peu de honte d’être de droite, tandis qu’on se pavane d’être de gauche » (voir, par exemple, les interventions ridicules de Jadot, Aubry de gauche et Bardella d’extrême- droite, au Parlement Européen à Strasbourg ce mercredi, rappelés à l’ordre par La Présidente du PE, après avoir sombrés, toute honte bue, dans la médiocre politique politicienne nationale).

De Gaulle tenait ces propos en juillet 1964 … prés de 58 ans plus tard, le tableau s’est inversé : on parade à droite et bientôt on rasera les murs à gauche. Mais surtout, on en vient à avoir honte d’être de gauche  et non pas … d’être devenus des conservateurs ! 

Qu’on se le tienne pour dit : les hypothétiques néo-conservateurs ne sont pas prêts de rentrer dans le rang !

 

 

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